L'enseignement supérieur français sous la menace de l’ingérence de la Chine

Elsa Sabado Publié le
L'enseignement supérieur français sous la menace de l’ingérence de la Chine
Un rapport parlementaire pointe l'influence que la Chine aimerait exercer sur l'enseignement supérieur français. // ©  laurent h. mercier/Adobe Stock
Un rapport parlementaire a été publié le 8 octobre dernier pour alerter quant aux velléités d’ingérence de la Chine dans l'enseignement supérieur français. Il propose des solutions pour protéger les libertés académiques et éviter la captation des connaissances et technologies par les agents de l'Etat chinois.

A l'heure où le Parti communiste chinois vient de renforcer le pouvoir du président Xi Jinping, il règne en France une certaine inquiétude quant aux tentatives d'ingérence de l'"empire du milieu" dans son enseignement supérieur. Le 8 octobre dernier, le rapport "Les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences", fruit d'une mission d'information parlementaire dirigée par le sénateur André Gattolin, membre du groupe LREM du Sénat, a été publié.

"Dès 2016, alors que le Dalaï Lama, chef spirituel tibétain, vient en visite en France, de multiples pressions sont exercées sur les établissements pour qu'ils refusent de le recevoir", retrace le rapporteur. En 2020, les offensives de la Chine contre l'île de Taïwan enveniment encore la situation.

Alors qu'un groupe de sénateurs projette de se rendre à Taïwan, l'ambassade de Chine en France se fend de messages agressifs à leur égard, et Antoine Bondaz, chercheur à la "Fondation pour la recherche stratégique" prend la défense des parlementaires sur Twitter. En retour, il reçoit un flot d'injures de l'ambassade : "Petite frappe", "Hyène folle", "vilain" Cette brusque montée de fièvre est à l'origine de l'ouverture de la mission d'information.

Menace sur les libertés académiques françaises

"La Chine tente d'influer sur l'image qu'on renvoie d'elle en France. Il y a cette mésaventure d'Antoine Bondaz, mais il y a aussi, notamment à Sciences po, des étudiants chinois qui réfèrent à leur ambassade des critiques qui émanent de leurs professeurs pendant les cours. On entend que les chercheurs s'auto-censurent, de peur de faire une croix sur leurs futurs visas et leurs recherche", détaille André Gattolin, dont le rapport dénonce, parmi les stratégies d'influence, le façonnage de l'image ou de la réputation d'un Etat par l'instrumentalisation des sciences sociales.

Le rapport pointe le maillage territorial des 17 instituts Confucius en France, qui, en diffusant l'enseignement de la langue chinoise, se font aussi le relai de la superpuissance. "Il faut relativiser l'influence de ces instituts, qui sont trop surveillés pour pouvoir faire quoi que ce soit", estime Antoine Bondaz.

"Les insultes à mon propos, qui ne visaient même pas mon travail, mais ma personne, constituent le passage d'un cap. C'est une caricature non représentative de la politique chinoise à l'étranger, liée à la personnalité de l'ambassadeur. Mais il y a tout de même une dynamique de diffusion du récit national chinois qui avait cours auparavant surtout à Taïwan et en Corée du Sud, mais qui se mondialise de plus en plus", poursuit le chercheur.

La Chine tente d'influer sur l'image qu'on renvoie d'elle en France. (...) On entend que les chercheurs s'auto-censurent. (A. Gattolin)

Piratage intellectuel

Autre sujet d'inquiétude : la captation des données scientifiques sensibles. Depuis le début des années 2000, la Chine a mis en place une politique de rattrapage de ses lacunes dans le domaine de l'enseignement supérieur en multipliant les partenariats avec les établissements du supérieur français, et en finançant l'envoi de milliers de doctorants en France.

"Pour les laboratoires français, qui manquent de doctorants parce que les financements ne permettent pas de rendre la recherche attractive, cette main d'œuvre gratuite constituait une aubaine. En plus, ils venaient avec leurs bourses, alors, que demandait le peuple !", ironise Christian Lerminiaux, directeur de ParisTech. Cette manne est augmentée par tous les étudiants venus suivre une scolarité normale dans un pays admiré. "Avec la politique de l'enfant unique, les parents chinois sont prêts à se saigner aux quatre veines pour payer de bonnes études à leur enfant", poursuit le directeur.

"Seulement, au bout d'un moment, nous nous sommes rendu compte que tout cela n'était pas gratuit. Ces bourses sont assorties d'une obligation de retour pour les étudiants, qui doivent exploiter, une fois revenus en Chine, les connaissances acquises en France. On a commencé à observer des dérives, avec des étudiants qui regardaient parfois au-delà de leurs sujets de thèse. Leur présence était concentrée dans certains domaines. On observait des transferts de connaissances. Bref, que cela correspondait à une stratégie de la part de la Chine", reprend Christian Lerminiaux.

Ces dernières années, cette forte présence devient de plus en plus problématique. "La politique de la Chine est de plus en plus agressive. La présidence de Xi Jinping a fait de l'expansion de la Chine son credo majeur, et a industrialisé les pratiques mises en place depuis les années 2000. On a peu à peu pris conscience que les choses allaient trop loin, et que la politique chinoise devenait trop dure", poursuit l'ingénieur.

Les 26 recommandations du rapport Gattolin

Le président de ParisTech relativise par ailleurs l'alerte tirée par un article d'Intelligence Online le 8 septembre dernier, pointant le fait que la DGSI n'avait pas été informée du partenariat passé entre son école et la Xi'an Jiaotong University, liée à l'Armée chinoise. "On sait que les universités là-bas sont contrôlées par le parti communiste, elles sont même dirigées par une diarchie entre un universitaire et un secrétaire du PC. Mais il s'agissait d'un accord au niveau master, et non d'une collaboration de recherche. La DGSI ne m'a jusque-là jamais contacté, et personne ne m'a demandé de rompre ce partenariat", tient à préciser le directeur.

Du côté des écoles de commerce, aucun dirigeant ne s'est manifesté pour répondre à nos questions, bien que le sujet ait été évoqué lors d'un récent bureau de la CDEFM. Aucune, non plus n'a répondu au questionnaire envoyé par la mission d'information.

Face à cette menace de plus en plus prégnante, que faire ? Le rapport sénatorial d'André Gattolin énumère 26 recommandations de nature réglementaire : mettre en place un recensement exhaustif des incidents, mieux coordonner le travail des fonctionnaires de défense et de sécurité qui maillent les structures de l'enseignement supérieur avec le collège de déontologie, renforcer le travail de sensibilisation de la communauté universitaire quant à ces risques, généraliser les audits sur la sécurité des systèmes informatiques des écoles et universités, mieux contrôler les partenariats des structures françaises avec les établissements chinois, allonger à trois mois le délai d'enquête avant validation par les autorités de ces partenariats.

"Mon rapport est actuellement l'objet d'un travail interministériel. Ils regardent les propositions qui peuvent être appliquées rapidement", indique son auteur. Pour Antoine Bondaz, l'urgence est surtout d'identifier les acteurs de la coopération et s'assurer que les recherches ne soient pas détournées à des finalités militaires. Mais le chercheur pointe le manque de moyens du fonctionnaire de sécurité et de défense, sensée identifier ces liens.

Contre l'empire (du milieu), quelle contre-attaque ?

"Après l'article d'Intelligence Online, nous avons resserré les boulons, et veillé à ce que nos procédures soient scrupuleusement appliquées. Dès qu'un accord scientifique a lieu, il faut que les ministères soient au courant, et que les fonctionnaires de sécurité et défense soient informés qu'un sujet critique est abordé. Tous les sujets de thèses que nous proposons aux étudiants chinois sont vus et revus par les directeurs de laboratoires. Et si nous craignons que les étudiants aillent fouiller dans les laboratoires au-delà de leurs sujets de thèse, nous pouvons les classer en zones à accès restreint aux salariés et chercheurs français", liste Christian Lerminiaux.

Ces précisions faites, il tient à revenir sur des questions de fond : "La Chine représente un marché d'1,5 milliard de personnes. C'est une des plus grandes communautés scientifiques mondiales. Penser qu'on va fermer les frontières est totalement irréaliste, et refuser de travailler avec eux n'aurait aucun sens", balaye le centralien. Outre cela, cette idée de protection des connaissances va à l'encontre de l'idéal de la recherche, où le partage des connaissances conditionne le progrès collectif.

"Si d'aventure on mettait, par exemple, des quotas d'étudiants chinois, il faudrait trouver d'autres manières de financer la recherche française. Aucun sujet n'est tabou. A nous de savoir ce que nous voulons de la Chine, comment tirer parti de notre présence là-bas, ciblons nous aussi des domaines, négocions l'envoi d'étudiants... Face à un pays sous contrainte, donc capable de mettre en place des stratégies efficaces il faut désormais que nous opposions une politique", conclut Christian Lerminiaux.

Elsa Sabado | Publié le