Que sont devenus les "1.000 emplois" pour les universités ?

Camille Stromboni Publié le
Que sont devenus les "1.000 emplois" pour les universités ?
Amphithéâtre de licence - université du Havre - ©C.Stromboni mai2011 // ©  Camille Stromboni
Il s'agit de l'une des mesures phares de Geneviève Fioraso : créer 1.000 emplois pour l'enseignement supérieur. Des postes que la ministre a voulu consacrer à la réussite en licence. Qu'en-est-il vraiment ? Entre créations effectives et résorption du déficit budgétaire, la situation est plus complexe. Enquête.

Mille emplois pour la réussite en licence. "C'est extraordinaire, se réjouit le vice-président Moyens de l'université Paris 1, Bernard Tallet. Je n'ai pas le souvenir d'une création aussi importante de postes dans mon université depuis au moins dix ans." Son établissement, en très grande difficulté financière avec un triple déficit, s'est vu attribuer 35 postes, soit le maximum.

Une soixantaine d'universités (sur 75) ont obtenu en 2013 chacune entre 3 et 36 postes, chacun correspondant en fait à une dotation en masse salariale d'environ 60.000 euros. Les universités technologiques, écoles d'ingénieurs, IEP (instituts d'études politiques) et autres établissements publics, ainsi que l'enseignement agricole, ont pour leur part récolté environ 10% des postes [voir le tableau avec le nombre d'emplois par établissement - pdf].

Des postes vraiment créés ?

Au-delà des chiffres, une question  – qui peut paraître étonnante – bruisse dans la communauté : ces postes seront-ils réellement créés ? En effet, les universités, autonomes et en difficulté budgétaire pour un grand nombre d'entre elles, pourraient être tentées d'économiser cette dotation. "Si certaines le font, ce sera uniquement parce qu'elles seront coincées", soutient le président de l'université Lyon 3, Jacques Comby.

"Moins de la moitié des emplois seront réellement pourvus", glisse un observateur du milieu, pessimiste. Un principe de réalité que le ministère dément. La question est sensible : il serait inopportun que ces 1.000 postes apparaissent encore comme une goutte d'eau dans le magma du déficit des universités, au lieu de l'investissement massif promis pour le premier cycle.

Nous n'ouvrons aucun des 35 postes attribués (Jean-Paul Saint-André)

Le silence de plusieurs présidents concernant l'utilisation des postes reçus confirme cependant ce que le président de l'université d'Angers reconnaît, lui, très simplement : ces postes n'iront pas à la licence.

"Nous n'ouvrons aucun des 35 postes attribués. Nous avons établi, en collaboration avec le ministère et le rectorat, un plan de retour à l'équilibre de l'université, et cette dotation y contribuera, explique Jean-Paul Saint-André, dont l'université fait partie des établissements en très grande difficulté financière. Ces 35 postes représentent 976.500€ en 2013 et près de 2 millions d'euros en année pleine. Pour 2014, nous espérons bien d'autres postes et nous espérons pouvoir en créer vraiment 8 au minimum."

Entre nouveauté et pérennisation

Certaines universités ont, elles, une politique à mi-chemin entre nouveauté et pérennisation. "Nous allons créer des postes et titulariser un certain nombre de personnels pour stabiliser nos actions menées dans le plan licence. Il s'agit donc aussi de 'déprécariser' des postes de contractuels", note le président de l'université de Tours, Loïc Vaillant. Même choix du panachage à Marne-la-Vallée, concernant les personnels BIATSS recrutés.

A Lille 2, très fortement sous-dotée [voir le tableau des universités les plus sous-dotées, d'après le modèle SYMPA], la stratégie est inverse : tout a été créé (35 postes). "Nous n'avons pas utilisé ce soutien du MESR pour titulariser des personnels déjà là, ce qui aurait permis d'améliorer la situation budgétaire, en faisant des économies immédiates, car le besoin est trop fort", explique son président, Xavier Vandendriessche. Même décision à l'université Paris 1.

Université - Aix-Marseille - Campus Schuman à Aix-en-Provence - amphithéatre en droit - 2011- ©C.Stromboni

Innovation pédagogique, numérique, langues, encadrement

Comment les universités ont-elles utilisé ces postes ? Bien que non fléchée - autonomie oblige - leur destination a clairement été spécifiée par Geneviève Fioraso : la réussite en licence. "C'est tout de même un peu paradoxal, sourit un président : on nous attribue des emplois parce qu'on reconnaît que nous sommes les universités les plus sous-encadrées, et on voudrait qu'on en fasse plus que les autres en développant des initiatives…"

Chaque université a ainsi remis son plan d'actions au ministère, qui affirme qu'il compte bien vérifier que les engagements ont été remplis.

Du renforcement de l'encadrement en premier cycle à l'innovation pédagogique, en passant par le numérique, les universités ont souvent en même temps renforcé des projets qu'elles menaient déjà en licence et lancé quelques nouvelles actions. Côté encadrement, si Lille 2 a développé son soutien à un public en difficulté (les étudiants handicapés) et renforcé son service commun de la documentation pour élargir les horaires de bibliothèques en médecine, Lyon 3 a soutenu des composantes très fortement sous-encadrées comme le droit, la gestion ou les langues.

De son côté, l'UTBM (université de technologie de Belfort-Montbéliard) a décidé de renforcer l'accueil des bacheliers STI2D en recrutant trois maîtres de conférences en physique et mathématiques. L'un des enseignants-chercheurs embauchés participera également au développement du lien avec les classes prépas du voisinage.

Le numérique et l'innovation pédagogique sont également au cœur des plans des universités, avec un nouveau service à Lille 2 sur la pédagogie innovante, ou le recrutement d'enseignants qui auront un rôle dans "l'animation de l'innovation pédagogique" à Marne-la-Vallée.

Autres priorités : l'apprentissage des langues. Ou encore, ponctuellement et plus à la marge de la réussite en licence, la professionnalisation des cursus, l'insertion professionnelle ou la formation à distance.

Enseignants-chercheurs, enseignants, administratifs

Concernant le type d'emplois créés, le ministère avait prévu un tiers d'enseignants-chercheurs, un tiers d'administratifs (BIATSS), un tiers d'enseignants du second degré affectés dans l'enseignement supérieur (PRAG). Ce n'est pas exactement la répartition suivie par les universités. Ce millier d'emplois se partage en 2013 entre 24% d'enseignants-chercheurs, 31% de PRAG et 45% de BIATSS. Une question de besoins, mais aussi de moyens : le coût d'un enseignant-chercheur est élevé. 

Un maître de conférences ne sera pas forcément le plus pertinent pour renforcer la réussite en licence (Loïc Vaillant)

Si Lyon 3 a fait le choix d'une répartition aux trois tiers, à Tours, l'université a voulu rattraper un très fort manque de personnels BIATSS. Résultat : trois enseignants-chercheurs sont recrutés, trois PRAG et 29 BIATSS. Pour son président Loïc Vaillant, c'est aussi une question de stratégie : "un maître de conférences, soyons honnête, ne sera pas forcément le plus pertinent pour renforcer la réussite en licence".

Des emplois financés en totalité par l'Etat ?

Reste cependant une vraie préoccupation chez plusieurs présidents d'université : le financement réel de ces postes. "Il repose sur l'augmentation de notre dotation globale pour l'année 2013, mais celle-ci sert déjà à couvrir le CAS Pension. Je suis donc obligé de piocher dans mon fonds de roulement, déplore Xavier Vandendriessche, président de l'université Lille 2. Pour l'instant, le ministère ne compense donc pas réellement mes 35 postes. Je croise les doigts pour 2014, car ce ne sera plus possible en année pleine : cela représentera 1,8 million d'euros. "

Pour rester dans les clous, l'université Paris-Est Marne-la-Vallée a procédé à un jeu de compensation. "Notre dotation ne couvre pas la création des 20 postes que le ministère nous a attribués, explique le vice-président de l'université, Frédéric Moret. Même en respectant la répartition des trois tiers. Nous avons fait un travail de projection pour que cela rentre. Nous avons créé 20 postes (neuf maîtres de conférences, quatre PRAG, sept BIATSS) mais en supprimant d'autres emplois (six ATER et deux PRAG)".

Prochaine étape : 4.000 postes d'un coup

Une question clé car le jeu des 1.000 postes ne fait que commencer. 4.000 emplois doivent encore être distribués à l'enseignement supérieur, au rythme de 1.000 par an. Le ministère devrait désormais annoncer une répartition pluriannuelle pour les quatre prochaines années aux universités. Elle sera connue dans les mois qui viennent.

Quels seront les critères de distribution ? Si la question du sous-encadrement restera primordiale, celle de la politique de site, déjà présente en partie pour ce round, va également monter en puissance, reconnaît le ministère. De quoi complexifier encore la donne.

Lire aussi
- Le tableau de répartition des 1.000 postes 2013 (pdf) (source : MESR)
- Des exemples de plans d'actions portés par les universités : à Lille 2 (pdf) et à Paris Est Marne-la-Vallée (pdf)

- Le tableau qui permet d'évaluer la sous-dotation dont souffrent les universités (pdf), avec l'écart entre la dotation réelle et celle que le modèle d'allocation SYMPA attribue à l'établissement dans l'absolu. Un modèle, en outre, en cours de modification par le ministère, et fortement contesté par un grand nombre d'universités.
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