Alain Beretz : "L'université française n'est pas autonome"

Sylvie Lecherbonnier Publié le
Alain Beretz : "L'université française n'est pas autonome"
Alain Beretz, président de l'université de Strasbourg © Jean-François Badias // © 
Rédacteur en chef invité d'EducPros en octobre 2015, le président de l'université de Strasbourg défend une véritable autonomie des universités et juge que les questions de gouvernance prennent trop de place dans les débats actuels.

"Autonomie ne veut pas dire privatisation mais responsabilité"

"Le rapport de la Cour des comptes sur l'autonomie financière des universités a suscité beaucoup de débats. Or, il faut le dire, l'université française n'est pas autonome. Ou alors... elle l'a toujours été ! Depuis la loi Faure de 1968. On confond trop souvent autonomie et décentralisation : la loi LRU (2007) a introduit un certain nombre de mesures de décentralisation. Mais si vous prenez le tableau de bord de l'autonomie des universités de l'EUA (Association européenne des universités), la France est bonne dernière sur la quasi-totalité des critères. L'autonomie n'est pas là sur le terrain, et le rapport de la Cour n'apporte pas tellement de pistes pour y parvenir.

Les universités doivent davantage maîtriser le système, notamment sur les ressources humaines. En France, on a tendance à croire qu'il n'y a que l'État pour préserver des dérives managériales des méchants présidents d'université. Pourtant, nous sommes des défenseurs acharnés du service public et l'autonomie est la meilleure façon de le protéger. Autonomie ne veut pas dire privatisation mais responsabilité.

Les magistrats de la rue Cambon insistent aussi beaucoup sur la formation continue. Elle constitue en effet la mission d'avenir de l'université. Le système est aujourd'hui verrouillé par des officines privées et une réglementation compliquée. Les universités n'ont pas la part de marché qu'elles méritent dans ce domaine, elles doivent y trouver leur place."

"Les questions de gouvernance prennent trop d'importance"

"Dans les articles parus sur 'EducPros', et celui sur Saclay en est un exemple, il y a une surreprésentation des sujets institutionnels. Qui va entrer, qui va sortir d'une Comue ? Une tendance qui reflète notre défaut à tous : parler davantage des statuts que de la politique à défendre. Il y a une sorte de 'nombrilisation' institutionnelle du système. Ce ne sont pas des sujets négligeables, mais l'essentiel est ailleurs : quelle stratégie ?

Les questions de gouvernance sont si prégnantes qu'elles rejaillissent sur la communication. Qu'une Comue se présente en disant "je suis la Comue" est une aberration. C'est comme si une grande entreprise se présentait en disant "je suis la société anonyme au capital de...". Tant qu'on utilisera le terme administratif comme une marque, on aura une prééminence de l'administratif sur le politique."

"L'université n'est pas isolée dans sa tour d'ivoire"

"L'article sur le débat organisé par l'université de Strasbourg sur le harcèlement sexuel me donne avant tout l'occasion de parler du rapport de l'université à la société. Nous ne sommes pas une structure isolée dans sa tour d'ivoire. Nous devons être une université citoyenne. En développant des actions de médiation scientifique, pour expliquer la science au plus grand nombre, et même en allant vers la science citoyenne où tout un chacun peut être un acteur de la recherche.

Il faut dépasser la frontière entre le milieu académique et le grand public. Nous le faisons d'abord par conviction, mais aussi parce que cela permet de faire aimer l'université par le plus grand nombre."

Il y a une sorte de 'nombrilisation' institutionnelle du système.

"La 'culture du oui' peut faire évoluer les structures pédagogiques"

"Dans nos métiers, nous sommes beaucoup le nez dans le guidon, la tribune sur 'la culture du oui' a le mérite de nous en sortir. Notre système éducatif doit en effet changer de manière de réfléchir. Les chercheurs savent tous que l'on construit son parcours aussi sur ses échecs, alors qu'en formation, on ne donne pas nécessairement de seconde chance.

Deux autres mots me sont venus à la lecture de cette tribune : autonomie et responsabilité. Nous devons dire oui aux projets de l'étudiant et à ses envies. En lui donnant plus d'autonomie, on le responsabilise. Cette 'culture du oui' peut alors induire des évolutions dans les structures pédagogiques.

L'une de mes ambitions est d'avoir des maquettes de formation avec des majeures et des mineures pour que l'étudiant puisse construire sa progression pédagogique. À l'autre bout de la chaîne, il faut mettre fin à l'examen couperet qui dit non, pour aller vers une évaluation facteur de progrès, qui dit à l'étudiant : 'ce n'est pas encore assez bon, mais je vais vous aider à devenir meilleur'."

Carte blanche – "Les universités sont des opérateurs de recherche de plein exercice"

"'EducPros' consacre peu d'articles à la recherche. Pourtant, les universités sont des opérateurs de recherche de plein exercice. L'idée que l'on puisse cantonner les universités à un rôle de formation et les organismes à un rôle de recherche est complètement dépassée, mais encore trop souvent véhiculée. Les universités sont à la rencontre des deux.

Du point de vue politique, cela donne une aberration de base. Il y a aujourd'hui d'un côté une stratégie nationale de l'enseignement supérieur, de l'autre une stratégie nationale de la recherche. Et nous, nous faisons le grand écart entre les deux ! Heureusement, nous avons un seul ministère. Mais deux directions demeurent en son sein, pour la formation et la recherche.

Plus grave, notre système de financement ne tient absolument pas compte de la spécificité des universités de recherche intensive. La Curif (Coordination des universités de recherche intensive françaises) a demandé à Thierry Mandon que cette caractéristique soit mieux pris en compte dans la répartition des moyens.

Nous avons la réputation d'être surdotées dans le système actuel, mais nous avons un surcoût évident avec le surcroît d'activités de recherche. Nous avons plus de surfaces recherche, plus de personnels recherche, d'équipements à amortir. Bref, cela coûte plus cher. Il serait temps que l'État s'en rende compte."

Sylvie Lecherbonnier | Publié le