Géraud Lafarge, maître de conférences en info com (IUT de Lannion) : «La sélection sociale dans les écoles de journalisme se rapproche de celle des prépas»

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
Géraud Lafarge, maître de conférences en info com (IUT de Lannion) : «La sélection sociale dans les écoles de journalisme se rapproche de celle des prépas»
?? Lafarge - Ecole de Journalisme // © 
Coauteur avec Dominique Marchetti de l’enquête «Les portes fermées du journalisme» publiée en octobre 2011 dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, Géraud Lafarge a étudié le profil social des étudiants en 2004-2005 des formations en journalisme reconnues par la profession. Pour EducPros, l’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication revient sur les principaux enseignements de l’enquête.

Au-delà du formatage universitaire des élèves des écoles de journalisme, votre enquête insiste sur leur profil social et économique. Qu’en est-il de la sélection sociale à l’entrée des écoles de journalisme ?

Celle-ci est très forte et se rapproche de celle des classes préparatoires. L’enquête montre que 52% des étudiants qui ont répondu ont un père cadre ou issu d’une profession intellectuelle supérieure, alors que cette catégorie ne représente que 18,5% de la population active masculine française en 2005. De même, la part des étudiants en journalisme issus des classes sociales modestes est faible : 10,4% de père ouvrier, contre 35% dans la population active, et 5,8% d’enfants de père employé, contre 12,8% dans la population active.

Derrière le discours sur le journalisme comme étant une profession ouverte et devant refléter la diversité sociale, on observe une forte homogénéisation du public des écoles. Cette homogénéité se retrouve également dans les goûts culturels et journalistiques : ces jeunes se déclarent très majoritairement à gauche et veulent travailler pour des médias nationaux d’information générale.

Les inégalités sociales constatées recouvrent-elles également une dimension économique ?

Oui, ce sont des études qui coûtent cher et qui entraînent souvent un surcoût dû à la délocalisation des étudiants par rapport à leur résidence d’origine. La valeur médiane des revenus cumulés des parents de cette population se situe dans la tranche de 3.000 à 4.500 € mensuels, tandis que le revenu mensuel disponible médian des ménages français en 2005 n’était que de 2.100 €.

Quant au mode de financement de ces études, il ressort de notre enquête qu’une majorité d’étudiants sont financés par leurs seuls parents (36%) ou par les revenus tirés d’une activité journalistique rémunérée qui s’ajoutent au financement parental (19%). Les boursiers ne représentent que 16% de cette population.

Vous opérez une distinction entre l’accès aux formations par une petite porte d’entrée et par une grande porte. Que recouvre-t-elle exactement ?

Notre étude fait apparaître des sous-groupes d’étudiants. D’un côté, nous avons les étudiants les plus nombreux qui cumulent beaucoup de ressources scolaires et sociales et qui entrent dans les écoles de «la grande porte», pour reprendre le concept développé par Pierre Bourdieu dans son livre La Noblesse d’État. Ces derniers sont souvent passés par les IEP ou les classes prépas, ont fait plutôt des études longues et ont présenté de nombreux concours. On retrouve ces profils dans les écoles les plus anciennes et les plus réputées comme l’ESJ de Lille, et trois écoles parisiennes : le CFJ, l’IFP et l’IPJ.

Ce groupe s’oppose nettement à un petit groupe d’étudiants qui cumulent moins de ressources et sont «dominés» d’un point de vue scolaire, économique et social. Ce sont des étudiants ayant juste le bac ou un bac+1 ou +2, souvent d’une origine sociale moins élevée, et originaires de petites villes de régions. Ceux-ci s’inscrivent plutôt dans les IUT, qui recrutent au niveau du bac.

Entre ces deux sous-groupes, il existe un continuum de positions avec des profils intermédiaires qui étudient au Celsa et dans les écoles de Toulouse, Marseille et Grenoble ou dans l’année spéciale de Tours.

Depuis la réalisation de votre enquête en 2004-2005, plusieurs dispositifs d’ouverture sociale ont été mis en place par les établissements, sous forme notamment de prépas visant les boursiers. Vos conclusions sont-elles toujours d’actualité ?

Je le pense : la concurrence scolaire reste très forte pour intégrer ces établissements et profite aux milieux sociaux les plus favorisés. Ces dispositifs pour les étudiants d’origine populaire ont des incidences encore très marginales sur le recrutement des écoles.

Par ailleurs, il serait intéressant d’étudier les effets d’acculturation de ces programmes. On pourrait s’interroger sur les effets de déracinement social pour des jeunes qui se retrouvent dans un milieu social très éloigné de leur milieu d’origine.


Une enquête par questionnaire

Réalisée au cours de l’hiver 2004 -2005, l’enquête par questionnaire porte sur les étudiants de deuxième année inscrits dans l’une des quatorze formations alors agréées par la Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes (CPNEJ). Les auteurs ont collecté 328 réponses (70% de taux de réponses).

Propos recueillis par Mathieu Oui | Publié le