Gwendal Simon (enseignant à Télécom Bretagne) : "Les ingénieurs français sont réputés dans tous les domaines, sauf en informatique"

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry Publié le
Gwendal Simon (enseignant à Télécom Bretagne) : "Les ingénieurs français sont réputés dans tous les domaines, sauf en informatique"
Gwendal Simon ? // © 
Pourquoi les écoles d’ingénieurs françaises ne forment-elles pas des pointures en informatique ? C’est la question que s’est posée Gwendal Simon, enseignant-chercheur à Télécom Bretagne, dans son billet span style="font-style: italic;">Computer science and engineers : the (bad) French exception, suscitant de nombreux commentaires. Point de vue de ce diplômé d’un DEA réseau et informatique (à Rennes 1) qui a enchaîné sur une thèse Cifre chez Orange Labs.

Pourquoi pensez-vous que l’enseignement supérieur français ne forme pas des ingénieurs compétents pour produire de l’innovation informatique ?
C’est un constat que nous sommes nombreux à faire. Un étudiant qui arrive en école avec un intérêt très fort pour la programmation a toutes les chances de devenir un ingénieur en informatique compétent, mais celui qui s’y inscrit par hasard ne pourra pas être transformé en geek. Pour cause, les grandes écoles spécialisées en informatique, comme l’Institut Télécom, Supélec, l’ENSIMAG et l’ENSEEIHT, se contentent de produire en masse des chefs de projet qui seront chargés d’encadrer des développeurs moins diplômés. Malheureusement, ce ne sont pas ces managers qui vont booster l’innovation informatique dans des entreprises françaises comme Dailymotion ou XWiki. Au sein de Télécom Bretagne, une des écoles de l’Institut Télécom, où j’ai choisi de travailler après cinq années passées chez Orange Labs, une fraction de nos étudiants sont vraiment bons et se destinent à une carrière brillante dans l’informatique. Ceux-là vont souvent ensuite travailler aux États-Unis.

Vous reprochez aux entreprises de véhiculer une image négative de l’informatique…
On ne peut pas faire rêver les jeunes avec l’informatique s’ils font tout de suite du management. Le problème, c’est qu’en France l’informatique est perçue comme une activité sale. Dans les entreprises, il s’agit d’un travail annexe, généralement sous-traité à des SSII (sociétés de services en ingénierie informatique). À l’inverse, dans les entreprises américaines qui produisent de l’innovation, comme Google, Facebook ou Microsoft, le développement logiciel n’est pas sous-traité. Les ingénieurs doivent être excellents en technique, et même les plus expérimentés font de la programmation. En France, il manque une entreprise locomotive pour tirer l’enseignement supérieur en ce sens, comme Thomson à une époque. Aujourd’hui, les entreprises françaises performantes dans les technologies de l’information, à l’image d’Alcatel-Lucent, ont une vision uniquement télécommunications.

Que proposez-vous pour remonter le niveau des ingénieurs en informatique ?
Les bases de la programmation devraient être enseignées dès le lycée. En classes préparatoires, les étudiants qui prennent l’option informatique représentent une minorité. La grande majorité des étudiants de prépa arrive en école d’ingénieurs avec un bagage très faible en informatique. Il ne leur reste que trois ans pour se former, et il est tout à fait compréhensible qu’ils aient du mal à se projeter dans une carrière dans ce domaine. La solution serait d’augmenter le volume horaire consacré à l’informatique : en trois ans, ils ne suivent que 450 heures de cours d’informatique, contre 1.500 en cinq ans à l’université.

L’université forme-t-elle de meilleurs spécialistes en informatique ?
Si la formation académique est plus performante à l’université, la culture projet y est beaucoup moins développée. À titre d’exemple, les étudiants n’apprennent pas à gérer des projets d’implémentation. En conséquence, l’université ne produit pas massivement non plus des personnes agiles et compétentes en informatique.

Comment expliquer la création de nouvelles écoles de l’Internet ?
Derrière ces écoles, il y a des entreprises à la pointe de l’innovation informatique qui, manifestement, ne trouvent pas les recrues adéquates. L’EEMI (École européenne des métiers de l’Internet a ainsi été créée par Xavier Niel, fondateur de Free, Marc Simoncini, fondateur de Meetic, et Jacques-Antoine Granjon, fondateur de Vente-privée.com. Il faudra attendre leur ouverture pour savoir si elles attirent beaucoup d’étudiants, et voir ensuite les premières promotions pour juger de la qualité de la formation. Une petite observation quand même : les jeunes obtiendront un bac+3. Cela ne signifie pas qu’ils ne seront pas compétents, au contraire, mais les grandes entreprises américaines innovantes embauchent plutôt des PhD (bac+8).

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry | Publié le