Isabelle Huault : "L'université Paris-Dauphine doit défendre sa spécificité"

Cécile Peltier Publié le
Isabelle Huault : "L'université Paris-Dauphine doit défendre sa spécificité"
Isabelle Huault est la nouvelle présidente de l'université Paris-Dauphine. // ©  Marie-Anne Nourry - 2014
Élue jeudi 8 décembre 2016 à la présidence de l'université Paris-Dauphine, Isabelle Huault succède à Laurent Batsch, en place depuis mai 2007. Défendant l'héritage de son charismatique prédécesseur, la nouvelle présidente veut aller plus loin en matière de digitalisation, de développement des ressources propres ou encore d'internationalisation.

Isabelle Huault-Debout, présidente de Paris-DauphineVous venez d'accéder à la présidence de l'université Paris-Dauphine. Qu'est-ce qui vous a poussée à briguer le poste ?

Je suis arrivée en 2005 à Dauphine en tant que directrice de l'école doctorale de gestion, avant de prendre en 2009 la direction de Dauphine Recherches en Management (DRM), une unité mixte de recherche associée au CNRS.

Depuis 2015, j'étais vice-présidente en charge d'une mission sur la gestion du corps enseignant. Ces fonctions m'ont donné une vision transversale de l'université et la capacité de mener un diagnostic lucide sur ses atouts et ses marges de progression. Encouragée par quelques collègues, j'ai décidé, il y a dix mois, de me lancer dans la campagne pour la présidence.

Quel bilan dressez-vous du mandat de Laurent Batsch, et comment vous situez-vous par rapport à cet héritage ?

Laurent Batsch a fait pour Dauphine un choix structurant : celui d'un grand établissement sélectif à vocation internationale, et cela ne sera bien sûr pas remis en cause. Nous devons défendre cette spécificité qui nous permet à la fois en tant que grande école d'attirer de bons étudiants et en tant qu'établissement public de défendre l'excellence de notre recherche et la pluralité de nos disciplines.

Il va aussi falloir affronter de nouveaux enjeux : l'impact de la révolution numérique sur nos modèles pédagogiques, les tensions sur les financements, la nécessité d'accélérer l'internationalisation ou encore notre place au sein de Paris Sciences et Lettres (PSL).

De quelle manière comptez-vous faire évoluer vos modèles pédagogiques ?

Il nous faut cultiver la créativité de nos étudiants, les sensibiliser à l'entrepreneuriat, avoir une approche décloisonnée et plus digitalisée dans certains domaines.

Heureusement, pour Dauphine ce n'est pas totalement une découverte. Elle a été la première université à faire travailler les étudiants par petits groupes, elle possède son centre d'innovation pédagogique et a amorcé la création de formations transversales, comme le master en "peace studies", qui articule l'économie, les sciences politiques et l'informatique. Le tout est une question d'amplification.

Par exemple, nous avons déjà créé des ponts entre les formations de mathématiques et notre école de journalisme (l'Institut pratique de journalisme) autour du big data.

Je veux aussi donner une plus grande place à la RSE (responsabilité sociale et environnementale). Il faut plus de médiation scientifique pour faire sortir nos recherches des labos et, sur le plan de la gouvernance, davantage de collégialité.

J'envisage de modifier le décret statutaire de manière à ce que les administratifs et les différentes disciplines soient mieux représentés au sein du conseil d'administration.

Laurent Batsch a fait pour Dauphine un choix structurant : celui d'un grand établissement sélectif à vocation internationale, et cela ne sera bien sûr pas remis en cause.

La pénurie de ressources publiques pèse fortement sur les universités. En tant que grand établissement, de quelle manière êtes-vous concerné ?

Dauphine pâtit de la diminution des dotations publiques, qui représentent environ 70 % de nos 115 millions d'euros de budget

Le tiers restant est couvert par les ressources propres qu'il va nous falloir développer : l'apprentissage – nous avons 1.300 apprentis –, la formation continue qui génère environ 13 millions d'euros par an, le fundraising, la recherche partenariale et les frais de scolarité (6 millions d'euros par an).

Envisagez-vous une nouvelle augmentation des frais de scolarité ?

Mon objectif n'est pas d'augmenter les frais de manière importante. Nous sommes très attentifs à la progressivité de la grille, qui va de 0 euro à 2.500 euros en licence, et de 0 euro à 6.500 euros en master. Je rappelle qu'un tiers de nos étudiants de licence sont totalement exonérés de frais de scolarité. Nous allons toutefois la regarder de près et en évaluer l'impact, afin de l'affiner si nécessaire, sans s'interdire des augmentations sur les tranches supérieures.

En parallèle, nous devons consolider notre politique de diversité sociale. L'université compte 17 % de boursiers Crous, et 25 % sur la dernière promotion d'étudiants recrutés, dont une partie via le programme Égalité des chances. 

L'objectif est d'augmenter la part de boursiers sans transiger sur la qualité. Pour cela, il va nous falloir étendre en région le réseau d'établissements partenaires de notre programme et mobiliser, via la fondation, les moyens nécessaires.

La Fondation Paris-Dauphine va lancer sa première campagne. Quels sont ses objectifs de levée de fonds ?

Il est encore un peu tôt pour en parler, mais la campagne promet d'être dynamique. La fondation a une nouvelle directrice générale.

Ce qui est certain, c'est que nous avons besoin de cet argent : il va développer les bourses mais aussi compléter les dotations publiques octroyées pour la rénovation de notre campus, laquelle est programmée à partir de 2019.

Pour PSL, on ne veut pas d'une université fusionnée, mais intégrée, qui respecte pleinement le principe de subsidiarité des établissements.

Londres, Casablanca, Tunis et maintenant Madrid. Dauphine est l'une des rares universités à posséder des campus à l'étranger. De quelle manière comptez-vous vous y prendre pour accroître l'internationalisation ? Ouvrir de nouveaux campus ?

Non, pour l'instant, il n'est pas question de créer de nouvelles implantations mais nous allons structurer l'existant et gagner en visibilité.

Cela passe par l'exposition systématique des étudiants à l'international, soit sous forme de mobilité simple, de semestre délocalisé sur l'un de nos campus étrangers (Global Bachelor à Madrid ou à Londres) ou dans les établissements partenaires (Brooklyn College, East China Normal University...), de doubles diplômes.

Mais aussi par le renforcement du recrutement d'étudiants internationaux (13 % en licence, 20 % en master pour l'instant), via les lycées français de l'étranger et nos bureaux de représentation.

Nous allons également renforcer les partenariats avec des institutions étrangères sur le modèle de l'Alliance avec la Singapore Management University (SMU). Aujourd'hui, c'est un partenariat institutionnel, auquel il faut donner de la consistance en créant des doubles diplômes communs, comme un Global MBA.

Enfin, nous souhaitons internationaliser notre corps professoral. Aujourd'hui il comprend 20 % de professeurs étrangers au sens du passeport, et 7 % si on compte les enseignants-chercheurs qui ont obtenu leur PhD à l'étranger. L'objectif est de recruter plus d'étrangers mais aussi d'internationaliser le corps existant, via des coopérations scientifiques, l'accueil de postdoc et la politique de professeurs visitants.

Comment envisagez-vous la place de Dauphine au sein de PSL ?

Dauphine est l'un des membres fondateurs du regroupement. Il faut saisir cette opportunité pour jouer un rôle moteur. 

Les membres du regroupement travaillent actuellement à un accord politique qui permettra de répondre aux remarques du jury de l'Idex [Initiatives d'excellence]. Nous allons continuer à être très attentifs aux modalités de cette construction.

On ne veut pas d'une université fusionnée, mais intégrée, qui respecte pleinement le principe de subsidiarité des établissements, tout en jouant les synergies sur le terrain des formations et des projets de recherche. Nous venons par exemple de créer l'École de la mode avec l'Ensad et l'École des mines de Paris

Nous planchons également sur la création d'un collège des licences et des masters afin d'envisager des diplomations communes. Mais aussi sur de la coopération scientifique, à l'instar des Iris (Initiative de recherche interdisciplinaire et stratégique).

Pour Dauphine, c'est la chance d'être plus visible dans les classements internationaux. Si PSL figurait dans le prochain classement de Shanghai, selon nos projections, ce serait entre la 23e et la 25e place.

Cécile Peltier | Publié le