Jean-Michel Blanquer : "Je récuse l’idée d’être vertical mais j’assume d’avoir mené à bien des réformes transformatrices"

Thibaut Cojean Publié le
Jean-Michel Blanquer : "Je récuse l’idée d’être vertical mais j’assume d’avoir mené à bien des réformes transformatrices"
Jean-Michel Blanquer a reçu la rédaction d'EducPros au ministère de l'Education nationale quelques jours avant la rentrée. // ©  Thibaut Cojean
Dans quelques jours, Jean-Michel Blanquer deviendra le ministre de l’Education nationale au mandat le plus long de la Ve République. A l’occasion de la rentrée scolaire, il a dressé à EducPros un bilan de sa réforme du bac, de ses méthodes de travail et de ses relations avec les enseignants.

Lors de votre conférence de rentrée, vous avez commencé par faire votre bilan éducatif et par parler de laïcité avant de développer le protocole sanitaire. Est-ce que la crise sanitaire est devenue pour vous un sujet secondaire ?

Bien sûr que non. La gestion de la crise sanitaire est de nouveau un élément clé de cette année scolaire et c’est parce que nous la prenons très au sérieux que nous avons pu maintenir les écoles ouvertes au maximum l’an dernier avec un protocole sanitaire spécifique. Nous continuerons ainsi. Mais j’ai voulu signifier que la crise sanitaire n’écrasait pas les autres sujets et que les réformes continuaient au service du progrès des élèves.

Les affiches de la campagne pour la laïcité, qui démarre à la rentrée, prônent le vivre ensemble mais ne parlent pas de la liberté de culte et du respect des croyances de chacun. Quelle est votre définition de la laïcité ?

On a beaucoup dit ces derniers mois que pour les élèves, la laïcité était quelque chose d’abstrait, et nous avons voulu montrer qu’elle avait des conséquences directes et indirectes sur la vie de l’élève. L'objectif de cette campagne, c'est que les élèves puissent voir les effets concrets d’une vision républicaine et laïque de l'école, dont l'objectif est de nous permettre de vivre harmonieusement ensemble. Normalement nous nourrissons tous un même idéal républicain et démocratique de bien vivre ensemble, en respectant les croyances ou non croyances d’autrui, en acceptant les différences et en ne cherchant pas à imposer des règles religieuses dans la vie quotidienne d’un service public. Une bonne définition de la laïcité c'est d’abord la neutralité de l'État par rapport aux religions. Les outils pédagogiques qui accompagnent les affiches (disponibles par les QR codes en bas des affiches) permettent d’approfondir ce message.

Après la mise en place des spécialités au bac général, les classes prépas scientifiques et les écoles d’ingénieurs exigent la spécialité maths en terminale, tandis que les classes prépas économiques et même la prépa littéraire B/L la recommandent fortement. Pourquoi avoir supprimé les mathématiques du tronc commun ?

Il y a toujours un peu de mathématiques dans le tronc commun, en enseignement scientifique.

Mais c'est manifestement insuffisant pour faire des études scientifiques ou économiques…

Les exigences d’une partie importante de l’enseignement supérieur montrent que les mathématiques restent évidemment très importantes, mais il y a aussi toute une série de secteurs de l'enseignement supérieur qui n’ont pas besoin d’un développement poussé des mathématiques. La réforme a aussi pensé à des élèves qui n’ont pas d'appétence pour les mathématiques et peuvent s'épanouir avec d'autres spécialisations.

La réforme considère que c'est à la fin de la classe de 2nde qu'on doit avoir donné un socle mathématique puissant, et non pas retarder cette nécessité. Par la suite, elle permet de déplacer le curseur entre pas de maths, un peu de maths, beaucoup de maths et énormément de maths. Cette modularité est faite pour être ajustée aux réels besoins de l’élève et de son orientation future dans le supérieur.

Dans le système précédent, avec les séries, il pouvait y avoir de la perte de temps pour des élèves comme pour des professeurs. Être dans la section supposée la plus prestigieuse a en effet conduit des élèves à suivre des cours sans enthousiasme et parfois avec difficulté. Désormais, c’est ajusté en fonction des goûts et des possibilités de l’élève. Par exemple, prendre 3 heures de "mathématiques complémentaires", qui comporte un programme de probabilités et de statistiques, permet de bien se préparer aux études économiques.

C’est donc lié aux élèves et pas au fait qu’il n’y a pas assez de professeurs de maths ?

En effet, nous partons naturellement des choix des élèves.

Y a-t-il assez de profs de maths au lycée aujourd’hui ?

Oui, ce n’est pas un sujet spécifique au lycée. Avec cette réforme, nous n’avons pas raisonné pour créer de pénuries des maths, c’est même l’inverse : nous avons raisonné pour remuscler les mathématiques. Aujourd’hui quand vous faites "maths expertes" vous faites 9 heures par semaine, c’est plus que les 8 heures en série S précédemment.

Ça ne sert à rien de faire une combinaison [de spécialités] qui ne vous mène pas aux études que vous souhaitez.

Selon les données de la Depp, le choix des spécialités au lycée général trahit toujours des inégalités sociales. Les garçons et les élèves les plus favorisés prennent beaucoup plus souvent la combinaison maths – physique-chimie – SVT que les filles ou les enfants défavorisés, ce qui leur donne donc plus d’options pour l’avenir. Comment comptez-vous lutter contre ce biais et favoriser l’égalité des chances ?

Justement, il n'y a pas de combinaison reine, contrairement à la série S qui s'était installée comme telle. Tout simplement parce que ça ne sert à rien de faire une combinaison qui ne vous mène pas aux études que vous souhaitez. Autrefois vous pouviez faire S alors que vous vouliez faire Sciences po ou hypokhâgne, par simple désir d'être dans la série supposée la plus prestigieuse.

Désormais, si vous faites maths-physique-SVT pour ensuite faire hypokhâgne, vous ne serez pas plus avantagés par rapport à quelqu'un qui a pris littérature, humanités, philosophie. Il n’y a donc pas une combinaison à privilégier par les familles favorisées qui auraient des connaissances plus fines de ce qu'il y a supposément à faire. La réforme suit un théorème simple qui est "faites ce qui vous passionne", car c'est là que vous pourrez apprendre avec plaisir et approfondir le plus. Elle combine le principe de liberté et de plaisir avec celui d’effort et de travail, c’est la philosophie d’arrière-plan de cette réforme. Ce faisant, elle lutte contre les inégalités. Cela ne viendra évidemment pas du jour au lendemain, nous en verrons les effets progressivement.

Combien de temps faudra-t-il pour sortir de ce conformisme, chez les lycéens comme chez les acteurs du supérieur ?

A mes yeux cela a commencé, parce que vous avez déjà moins d’élèves ayant pris la combinaison correspondant au bac S que précédemment. Le but n’a jamais été que moins d’élèves fassent des études scientifiques, mais que quand ils le font, ils y soient mieux préparés. N’oublions pas que les programmes sont devenus plus exigeants, dans tous les domaines ! Cette plus grande exigence était nécessaire. L’exemple typique c’est la physique-chimie, où le niveau d’exigence avait baissé, nous l’avons renforcé en partant du principe que si un élève choisit cette matière, c’est parce qu’il en a envie. Nous devrions donc avoir un peu moins d’élèves ayant pris des combinaisons scientifiques que précédemment, mais beaucoup plus qui, ayant pris des enseignements de spécialités scientifiques, continueront par un enseignement supérieur scientifique, avec des bases plus solides.

Le nombre d’élèves en voie technologique continue de baisser. Est-ce un effet du choix de spécialités en voie générale ?

Cette baisse existait avant la réforme. Je crois en la voie technologique. Je pense qu’elle a encore un grand avenir parce qu’elle correspond à des filières de l’enseignement supérieur pourvoyeuses d’emplois, notamment les IUT et les BTS. Nous allons toujours plus encourager l’orientation en voie technologique. Cela fait partie du travail de la commission de suivi du baccalauréat et de l’ensemble du ministère de voir comment contribuer, dans de prochaines étapes, à ce renouveau de la voie technologique.

Les options font leur retour dans la note du bac, mais seront comptabilisées entièrement. Pourquoi conserver toute la note au bac et ainsi supprimer le bonus qui pouvait inciter les élèves à découvrir d’autres matières ?

La réforme du lycée et du baccalauréat a un objectif : mieux préparer les élèves aux attentes de l’enseignement supérieur, avec des enseignements plus ambitieux et avec un parcours de formation plus réfléchi, avec plus de liberté dans ses choix. Avec les ajustements du baccalauréat, un élève qui suit deux options sur le cycle terminal pourra bénéficier de 8 coefficients supplémentaires au baccalauréat qui reconnaissent ses résultats dans des enseignements qu’il a librement choisis et qu’il apprécie : c’est un bonus ! Et parce que le suivi de ces enseignements relève du choix de l’élève, du parcours de formation qu’il a lui-même décidé, il est légitime qu’on considère l’intégralité de la note.

Les professeurs craignent que la prise en compte des notes complètes des options favorise les meilleurs élèves uniquement, car les élèves moyens ne prendraient pas le risque d’une pénalité. Comment inciter ces élèves à suivre des options ?

D’abord en leur rappelant qu’à partir du moment où ils choisissent un enseignement optionnel qui les intéresse, ils auront toutes les chances de s’y impliquer, d’y trouver une véritable satisfaction, et donc d’avoir des résultats qui soutiendront et porteront leur moyenne. Ensuite en leur disant qu’une telle modalité de calcul vient soutenir les élèves que vous qualifiez de "moyens" : précisément parce que ces coefficients supplémentaires leur permettront, le cas échéant, de relever leur moyenne davantage que des élèves aux résultats plus élevés.

Lors de votre conférence de rentrée, vous avez salué le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire, et assumé d’avoir donné la priorité à l’école primaire. Pour cela vous avez supprimé près de 7.500 postes dans le secondaire, alors que les classes de 30 au collège ou de 35 au lycée ne sont pas rares. Est-ce que vous vous attaquerez aux classes surchargées du secondaire avant la fin du mandat ?

Nous avons stabilisé les taux d’encadrement dans le secondaire, notamment via la politique d’heures supplémentaires. Mais c’est vrai que là où nous avons créé des postes, c’est dans l’enseignement primaire, car c’était nécessaire de consolider les savoirs fondamentaux. Par ailleurs, la vague démographique a déjà atteint les premières classes de collège, ce qui fait que vous avez des améliorations des taux d’encadrement qui ont commencé par endroits. Le nombre d’élèves par classe dans les collèges ne va plus augmenter, il va même y avoir une baisse tendancielle tout au long des années 2020, qui fait partie des choses programmées dans notre vision. Mais il fallait commencer par l’enseignement primaire qui était, je l’assume, ma grande priorité pour que tous les élèves puissent entrer au collège avec des bases solides.

Il fallait commencer par l’enseignement primaire qui était, je l’assume, ma grande priorité.

Les enquêtes des syndicats enseignants communiquées en cette rentrée parlent de professeurs globalement stressés et amers en raison de ce qu’ils appellent la "méthode Blanquer". Qu’ils adhèrent ou pas au fond de votre action, ils vous reprochent en très grande majorité d’avancer à marche forcée et de prendre des décisions sans réelle concertation. Que leur répondez-vous ?

Il y a beaucoup de concertations sur de très nombreux sujets. La réforme du baccalauréat, la réforme de la voie professionnelle ou le Grenelle de l’Education sont des mécanismes de concertation qui durent plusieurs mois, voire plusieurs années, avant d’aboutir à un résultat. Il est à chaque fois impossible d’obtenir un consensus pour une maison d’un million de personnes, de treize millions d’élèves et leurs familles. En revanche, nous cherchons toujours à avancer en écoutant, et même en ajustant une fois que nous avons pris des décisions, par exemple avec le comité de suivi du baccalauréat. Je ne pense absolument pas avoir une gestion verticale, mais je dois prendre des décisions qui ne plaisent pas à tout le monde. Si j’adoptais l’attitude inverse, je serais dans l’immobilisme, ce qu’on a beaucoup reproché à certains de mes prédécesseurs. En revanche écouter, faire évoluer, ajuster dans l’intérêt des élèves est ce que je m’efforce de faire, avec sûrement des choses qui restent à améliorer. Je récuse l’idée d’être vertical mais j’assume d’avoir mené à bien des réformes transformatrices.

Il est impossible d’obtenir un consensus pour une maison d’un million de personnes.

Le 13 septembre prochain, vous allez battre le record de longévité au poste de ministre de Christian Fouchet avec près de 4 ans et 4 mois consécutifs, malgré un mandat traversé par de nombreuses grèves et contestations. Comment expliquez-vous votre longévité ?

Une bonne partie des acteurs comprennent que ce qui se joue, c’est la capacité à moderniser l’école. La politique de renforcement des savoirs fondamentaux à l’école primaire est absolument indispensable. Tout le monde le sait, les professeurs de l’enseignement secondaire comme ceux du primaire, car ils voient le niveau des élèves qui arrivent. Il y a aussi une approbation importante de la part de beaucoup de secteurs de l’Education nationale et de l’opinion.

J’écoute tout le monde mais je m’applique à discerner aussi ce qui relève d’un discours d’opposition systématique d’un discours constructif pour avancer. Je sais faire évoluer mon point de vue et ajuster les réformes, c’est ce qu’il s’est passé. Nous avons pris des mesures bien perçues des acteurs concernés, comme le dédoublement des classes de CP et de CE1, l’augmentation de la rémunération en REP+ et des jeunes professeurs en général, la prime pour les directeurs d’école... Nous avons injecté du pouvoir d’achat à hauteur de plus de 6 milliards d’euros sur 5 ans, ça finit par se voir !

Bien sûr, la longévité suppose aussi la confiance du président de la République, du Premier ministre et de la majorité parlementaire. Et je ne travaille pas tout seul, mais dans un esprit d’équipe avec les nombreux acteurs de l’éducation nationale.

Malgré les récents efforts, le niveau de rémunération des profs reste très inférieur aux pays similaires. Vous vous êtes donné un nouvel objectif de 2.000 euros nets mensuels minimum pour tous les profs. Combien coûterait une telle revalorisation ?

En plus des augmentations budgétaires ordinaires, nous avons défini un palier autour de 500 millions par an, qui s’ajoute année après année. C’est un processus cumulatif et l’objectif de ne pas avoir un seul professeur payé moins de 2.000 euros nets par mois peut être atteint au plus vite.

C’est une future promesse de campagne ?

C’est une perspective qu’il me paraît important de favoriser.

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