Julien Cusin (IAE de Bordeaux) : "Le culte de l’excellence et de la performance ne laisse pas de place pour l’échec"

Propos recueillis par Sophie Blitman Publié le
Julien Cusin (IAE de Bordeaux) : "Le culte de l’excellence et de la performance ne laisse pas de place pour l’échec"
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Auteur de Faut-il échouer pour réussir ?*, Julien Cusin analyse la façon dont est vécu l’échec dans le monde professionnel et sa stigmatisation. Ce maître de conférences en sciences de gestion dirige le master 2 Management des ressources humaines par apprentissage à l'IAE de Bordeaux où il s'intéresse notamment à l'apprentissage par l'échec. Il dit l’importance d’intégrer l’échec dans le parcours scolaire et universitaire.

On entend souvent dire que l’on apprend davantage de ses échecs que de ses réussites. Cela signifie-t-il que les vertus positives de l’échec sont reconnues dans notre société ?

A mon sens, il s’agit surtout d’une image d’Epinal. Ce discours général un peu emphatique, qui est notamment celui des dirigeants mais aussi des sportifs, relève plus du mythe que de la réalité : loin d’être perçu comme positif, l’échec reste globalement vécu comme quelque chose d’infamant.
Or, normalement, une expérience malheureuse doit être l’occasion de pointer du doigt les choses à améliorer, en dépassant la vision manichéenne du succès, où tout est parfait, versus l’échec, où tout est mauvais. Il faut dédramatiser l’échec, qui peut être source d’amélioration, de progrès, et surtout d’innovation.

Pourtant, on sait que les grandes inventions sont souvent liées à des recherches qui partaient dans d’autres directions.

Cette idée générale est en effet assez répandue mais les histoires précises, celles qui marquent les esprits, sont peu connues. Et surtout, il y a un écart entre prendre conscience de quelque chose et l’appliquer dans son environnement à soi. En France, nous avons une difficulté culturelle et sommes assez frileux à ce sujet, contrairement aux Etats-Unis par exemple, pays de la culture entrepreneuriale, où la prise de risque est valorisée.
Ainsi, je donne souvent à mes élèves l’exemple du post-it, inventé par un chercheur de la société américaine 3M qui travaillait à la base sur une colle à fort pouvoir adhésif… Sa trouvaille, qui était un échec technique, s’est transformée, quelques années plus tard, en véritable réussite commerciale. Or, cela est possible dans une entreprise qui tolère l’échec, une entreprise où l’on peut prendre des risques.

Il y a donc toute une éducation à faire autour de l’échec ?

La phobie de l’échec que l’on peut avoir en entreprise vient de très loin. En particulier, l’univers scolaire et universitaire joue un rôle à ce sujet. Or, l’environnement actuel, où règne le culte de l’excellence et de la performance, ne laisse pas de place pour l’échec. Dès la maternelle et l’école primaire, un enfant qui confond le bleu et le vert ou tient mal son stylo est stigmatisé. Tout au long des études, on pointe les erreurs au lieu de faire un retour complet et précis sur ce qui a été bien fait et ce qui ne l’a pas été.

« Au lieu de présenter uniquement les "success stories" d’entreprises, il faudrait également parler des "failure stories". »

Au niveau individuel, ne pas stigmatiser l’échec, aider les élèves à se réorienter, et leur apprendre à être réflexifs, à prendre du recul et se remettre en cause : voilà les clefs de la pédagogie de l’échec, qui peut aussi intégrer une dimension d’exemple. Car les étudiants d’aujourd’hui sont les entrepreneurs de demain et il faut leur donner une vision différente de la prise de risque.
Au lieu de leur présenter uniquement les "success stories" d’entreprises, comme on le fait souvent, il faudrait également leur parler des "failure stories". C’est ainsi que l’on crée un contexte psychologique favorable à la dédramatisation de l’échec, en montrant que ce qui est important, ce n’est pas la chute mais le rebond. Et il y a aujourd’hui un réel intérêt, voire une attente des étudiants à ce sujet.

 * Faut-il échouer pour réussir ? Mythe et réalité du retour d’expérience en entreprise, de Julien Cusin, Editions du Palio, 2008.

En savoir plus

A lire, le dossier "Pourquoi facebook n'aurait pas pu naître sur un campus français", sur letudiant.fr, en deux volets :
Grandes écoles, facs : ce qui empêche aujourd’hui d’avoir des Zuckerberg français
En France, pas encore de Silicon Valley pour investir dans les idées

La thématique de l'apprentissage par l'échec sera aussi au cœur du 7 sup>e congrès de l’Académie de l’entrepreneuriat, organisé par Advancia et l’université Paris Dauphine, du 12 au 15 octobre 2011.

Propos recueillis par Sophie Blitman | Publié le