Marie Mériaud-Brischoux, directrice générale de l'ISIT : «La philo me sert tous les jours. Elle permet une distance critique dans l'analyse du réel»

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
Marie Mériaud-Brischoux, directrice générale de l'ISIT : «La philo me sert tous les jours. Elle permet une distance critique dans l'analyse du réel»
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Directrice de l'ISIT depuis 1991, Marie Mériaud-Brischoux a allié pédagogie et entrepreneuriat tout au long de sa carrière. Professeur de français dans un lycée agricole à la sortie de ses études, elle a enseigné la philo dans un lycée privé à Bordeaux, créé une prépa médecine, une école de tourisme, avant de diriger pendant dix ans l'Institut de l'Assomption à Paris. Marie Mériaud-Brischoux devient directrice de l'ISIT avec pour challenge de faire entrer l'établissement dans la cour des « grandes écoles ». Pari réussi puisque son établissement vient de rejoindre la CGE (Conférence des grandes écoles).

Vous avez débuté comme prof de français dans un lycée agricole dans le Gers. Comment cela s'est-il passé ?

C'était un internat de 600 élèves avec un directeur génial. Extrêmement intelligent. Qui m'a beaucoup inspirée pour la suite de ma carrière. Quant à l'enseignement, vous pouvez apprendre tout ce que vous voulez, c'est devant des élèves que l'on devient prof. La classe est comme un théâtre. Je me suis retrouvée, à 21 ans, devant des gaillards qui faisaient quinze centimètres de plus que moi. Ils ont dérobé ma carte d'identité et vu que j'avais le même âge que certains d'entre eux. Mais en fait, comme j'avais déjà derrière moi mes années de fac, ils m'ont respectée. Et surtout, le directeur m'a fait confiance. Il m'a même demandé de représenter, sur le plan national, les professeurs de français de l'enseignement agricole.

Qu'est-ce qui vous a poussée ensuite à créer une prépa médecine ?

Mon mari a été muté à Bordeaux et je l'ai suivi. On m'a proposé, alors que je n'avais que 26 ans, de diriger un lycée agricole, mais, sur les conseils de mon ancien directeur, j'ai refusé le poste... et j'ai commencé à m'ennuyer. J'ai créé une association de parents d'élèves dans l'école de mes enfants. Et puis, avec des médecins et des financiers, j'ai monté une société de préparation au concours de médecine. J'avais en charge l'ingénierie pédagogique. Parallèlement, je donnais dix-huit heures de cours de philo par semaine dans un lycée privé. Au bout de huit ans, mon mari étant en poste à Grenoble, je l'ai suivi. J'ai travaillé pour le CESI jusqu'à ce qu'il soit une nouvelle fois muté à Paris.

Vous avez toujours travaillé dans l'éducation, hormis une parenthèse de trois ans dans les RH ? Était-ce une tentative de reconversion ?

Oui... Mais finalement, durant cette période, j'ai créé une école ! En fait, lorsque je suis arrivée à Paris, j'ai passé le concours du CELSA et j'ai énormément travaillé pendant toute une année pour décrocher le diplôme. Puis j'ai été embauchée dans un cabinet de consultants qui réalisait des plans de formation continue pour des cadres dans le tourisme. Un jour, le président de Nouvelles Frontières, mécontent de voir que le BTS tourisme se réformait sans les professionnels, est venu nous demander de monter une école professionnelle. J'ai alors réalisé des interviews sur tous les métiers du secteur du tourisme pour définir les différents besoins, et l'école a vu le jour. Nous avons demandé au ministère du Travail l'homologation des titres et, enfin, j'ai recruté une directrice, car je voulais rester à mon poste.

Et finalement, vous vous retrouvez à la tête de l'Institut de l'Assomption, à 40 ans, avec 1.500 élèves du primaire au lycée...

J'ai dit non pendant six mois avant d'accepter. Le jour de la rentrée des classes, je suis allée à la rencontre des élèves de sixième et j'ai eu un choc : que des filles, jupes plissées et socquettes blanches ! L'une des premières décisions que j'ai prises, c'est de rendre l'école mixte. Le président de l'APEL était de mon avis et, sans me le dire, lors de la présentation du projet aux parents d'élèves, il avait placé à différents endroits de la salle des parents qui n'étaient pas hostiles au projet – ce qui n'était pas le cas de la majorité – pour qu'ils me posent des questions au bon moment. Je ne l'ai su qu'après. Ce fut une de mes premières grandes leçons de management. Quant aux profs, je leur ai expliqué que la pédagogie n'était pas différente avec des garçons, mais qu'il fallait juste élever leur taux de tolérance au bruit. Au fil des ans, j'ai aussi ouvert l'établissement à l'enseignement supérieur avec une prépa droit, fait construire un lycée pour absorber la hausse des effectifs, développé l'apprentissage de l'anglais avec des cours et des ateliers, relevé le niveau des sections scientifiques...

Quelles étaient vos relations avec les enseignants ?

Nous avons beaucoup travaillé sur les objectifs de leur enseignement, parfois de façon un peu brutale. Si un prof se contente de constater qu'un élève ne progresse pas, je lui demande à quoi il sert. J'ai lu beaucoup de manuels de pédagogie avec un regard critique. Mon expérience dans l'enseignement m'a aussi aidée. Je sais parfaitement ce qui passe dans la tête d'un prof qui corrige la trentième copie et voit que son cours n'est pas compris. Dans ce cas, c'est toujours le prof qui est désigné comme responsable. Le prof qui est seul devant sa classe et face à sa discipline. J'étais moi-même une élève indisciplinée, alors je sais de quoi je parle. Je sais ce que c'est que de s'ennuyer en classe et faire sortir un prof à reculons, par défi. En fait, j'ai beaucoup d'affection pour les profs, qui sont souvent de bons élèves qui n'ont jamais quitté l'école. Mais, c'est comme pour les enfants, il leur faut aussi beaucoup de discipline.

Et vous, quel prof étiez-vous ?

Je n'ai jamais développé de relation trop personnelle avec mes élèves. J'estime qu'un prof est là pour respecter l'intelligence de ses élèves. Chacun est en devenir et il faut lui offrir ce qu'il y a de mieux. Si on ne lui propose rien, il ne va pas trouver par lui-même. Je ne veux pas entendre que Pascal, c'est trop compliqué à enseigner. Du coup, on n'essaie même pas et c'est comme avec les épinards, sous prétexte que les enfants n'aiment pas, on ne leur en propose pas. J'ai enseigné Kant à des élèves de STG et cela marchait. Ce qui importe, c'est de laisser des traces pour l'avenir. Ce n'est pas seulement le résultat immédiat ou d'être aimé par ses élèves, par exemple, qui fait le bon prof, ça, c'est de la démagogie. J'ai arrêté l'enseignement parce que j'en avais assez de corriger des copies et puis j'étais frustrée d'enseigner qu'une seule année. En philo, c'est au moment où les élèves commencent à comprendre qu'ils passent le bac et s'en vont.

Après dix ans à l'Institut de l'Assomption, vous arrivez à l'ISIT...

Je ne connaissais pas l'ISIT. À mon arrivée, l'école affichait des pertes financières importantes. Il restait de quoi tenir trois ans. On m'a reproché de ne pas être traductrice ou interprète. J'ai répondu qu'il y en avait déjà plein, mais aucun directeur ! Mes débuts ont été très difficiles, j'ai notamment dû licencier des gens et faire des économies partout. Mais j'ai eu l'immense joie de rencontrer le grand traductologue Jean-René Ladmiral. Il m'a pris sous son aile et m'a fait tout découvrir. Étant donné qu'il est philosophe, comme moi, nous nous comprenions très bien.

Peu à peu, vous avez transformé l'ISIT en grande école...

Il fallait reconquérir des élèves. L'ISIT a toujours eu une très bonne réputation de grande école, mais les étudiants allaient plutôt à l'université car le concours leur semblait trop difficile. Joli cas de marketing ! J'ai rapidement recruté une personne pour s'occuper de la communication. Puis, ce fut un très gros travail de décrocher le visa . Il a fallu aussi convaincre le conseil d'administration d'augmenter les frais de scolarité. Puis passer l'école à cinq ans... Entrer à la FESIC et pouvoir toucher notre subvention du ministère ! Ce qui m'amuse, c'est de créer des choses. Et la philo me sert tous les jours. Elle permet une distance critique dans l'analyse du réel. J'ai encore d'autres projets pour l'ISIT jusqu'à ma retraite : l'organisation de colloques, l'entrée à la CGE, notre participation aux Cordées de la réussite, l'intégration au sein de la banque d'épreuves littéraires. Je cherche aussi activement de nouveaux locaux. Il n'y a finalement que le grade de master que je n'arrive pas à obtenir malgré un avis favorable de l'AERES et un accord du ministère !

Vous avez aussi changé le nom de l'école, pour quelle raison ?

Une enquête sur le devenir des anciens a montré que 70 % des diplômés intègrent une entreprise, dans le marketing, les achats, la communication... Je suis allée voir les patrons et immédiatement j'ai compris qu'Institut supérieur d'interprétation et de traduction était une appellation invendable. Traducteur n'est pas un métier dans l'entreprise. Dans le meilleur des cas, les diplômés étaient considérés comme des secrétaires trilingues. J'ai alors demandé à un cabinet de traduire en termes professionnels ce que faisait l'école. Aujourd'hui, « Institut de management et de communication interculturels » ne veut peut-être pas dire grand-chose dans le système éducatif, mais pour les entreprises, c'est très clair. Le problème en France, c'est que les traducteurs et les interprètes sont assimilés à des littéraires, or ces métiers s'exercent essentiellement dans le monde internationalisé du business. Un traducteur, c'est un littéraire qui peut travailler dans une entreprise. Quand on a lu Balzac et Montaigne, on est armé pour comprendre l'être humain et les relations sociales.

Peu de femmes sont à la tête d'une grande école. Est-ce difficile ?

On essuie toujours quelques plaisanteries, mais on peut aussi faire passer certains messages. Quand j'entends, par exemple, des directeurs d'école se plaindre de devoir, lors d'une augmentation collective, augmenter les femmes pendant leurs congés de maternité, je leur demande qui va payer leur retraite si les femmes ne font plus, ou moins d'enfants, comme en Allemagne. Quand j'étais directrice de l'Institut de l'Assomption, avec mes consœurs, on nous avait baptisées le « Club des baronnes du XVIe ». Sympa ! Pour répliquer, nous avions pris l'habitude de préparer toutes les réunions à l'avance. Quand j'étais enseignante, les conseils de classe débutaient à 8 heures. J'y suis allée avec les enfants sur mes genoux. Quand je travaillais dans les RH, j'étais la seule femme dans les réunions. Actuellement, au CA de la CIUTI, nous ne sommes que deux. Le plus difficile, à chaque fois, c'est l'absence de connivence possible.

L'ISIT en bref

L'ISIT, créé en 1957, compte 647 élèves, une quarantaine de permanents, essentiellement du personnel administratif, et environ 160 enseignants vacataires, dont 45 % d'étrangers. Les étudiants peuvent suivre trois cursus : interprétation de conférence ; management, communication et traduction; droit international.

L'Institut est membre de la CGE (Conférence des grandes écoles) depuis juillet 2010, de la CIUTI (Conférence internationale des instituts universitaires de traducteurs et d'interprètes) depuis 1982 et de la FESIC depuis 2005.

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le