P. Richard et M. Dellacasagrande : "L'ANR, le Plan campus et les Investissements d'avenir représentent une plus grande révolution que la LRU"

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
P. Richard et M. Dellacasagrande : "L'ANR, le Plan campus et les Investissements d'avenir représentent une plus grande révolution que la LRU"
Richard Dellacasagrande // © 
L’ouvrage "L’université française : une nouvelle autonomie, un nouveau management" décrypte la révolution de la gestion à l’œuvre dans les universités suite à la mise en place de la LRU, du Plan campus et des Investissements d’avenir. Rédigée par six acteurs clés de l’enseignement supérieur (1) qui ont ouvert des tribunes à de grands témoins, le livre ne se prive pas d’afficher son parti pro-LRU et d’écorner les travers de la gestion universitaire. Entretien avec Pierre Richard, coordonnateur de l’ouvrage et ancien secrétaire général d’université avant de passer conseiller pour la Conférence des présidents d’université, et Michel Dellacasagrande, ancien directeur des affaires financières des ministères de l’Enseignement supérieur et de l’Éducation nationale et toujours conseiller de la CPU (Conférence des présidents d'université).

Avec la LRU, les universités françaises sont-elles armées pour affronter les principaux défis dans un contexte d’économie de la connaissance, d’assurance-qualité des formations et d’internationalisation des compétences scientifiques ?

"Les universités françaises ne sont pas encore prêtes, notamment au niveau managérial"


Pierre Richard et Michel Dellacasagrande : Avec la politique contractuelle, la LRU est un point d’appui pour mener une véritable politique de gestion des ressources humaines [GRH]. Elle a obligé les universités à conduire une politique indemnitaire réelle avec des critères d’attribution, ou un repyramidage des emplois vers les catégories A. Ceux-ci sont ainsi passés de 20 à 25% en quelques années, contre 55% au CNRS. Avant, dans les unités mixtes de recherche, on disait que les universités fournissaient les femmes de ménage et le CNRS les ingénieurs… Mais les universités françaises ne sont pas encore prêtes, notamment au niveau managérial. L’idéal serait d’avoir des équipes présidentielles qui soient à la fois composées de savants reconnus par leur communauté et avec de fortes capacités de gestion. Si la LRU donne la possibilité d’une vraie gouvernance, elle dépend encore beaucoup du charisme du président : il faut convaincre avant de décider à l’université. L’une des faiblesses non réglées de l’université réside aussi dans une définition imprécise des attributions des directeurs de composante et de la direction de l’université, contrairement aux grandes écoles où il y a un patron.


«La GRH des enseignants-chercheurs se limite actuellement dans la plupart des universités à les recruter, à veiller au bon déroulement des carrières et à les payer» écrivez-vous. Vous parlez aussi de «bricolage», de «manipulation dans le mode de recrutement» et pointez le localisme, l’autonomie des universitaires avant l’autonomie des universités…

Tout le travail des directions des universités est de concilier autonomie des enseignants-chercheurs et celle des établissements. La perte d’autonomie des universitaires est une peur inconsidérée car c’est une garantie constitutionnelle. Mais, aujourd’hui, l’autonomie dans la production intellectuelle doit prendre en compte l’intérêt de l’étudiant, de la recherche et s’inscrire dans une politique universitaire. Or, la GRH est encore très ancrée sur la préservation des disciplines, de leurs équipes de recherche et peine à passer à une vision globale de l’établissement, même si on progresse.


La LRU est-elle la seule force de transformation des universités ?

"L’ANR, le Plan campus, les Investissements d’avenir représentent une plus grande révolution que la loi LRU"

L’ANR [Agence nationale de la recherche], le Plan campus, les Investissements d’avenir représentent une plus grande révolution que la loi LRU. En étant obligées d’aller chercher l’argent auprès de ces appels à projets, les universités ont été mises en concurrence, voire en compétition, les unes avec les autres. Cette recherche de crédits a fait bouger les lignes – plus dans le domaine de la recherche que de l’enseignement – en faisant travailler ensemble des équipes pluridisciplinaires dans les établissements. Il faut aller vers ces formes positives de reconnaissance de ceux qui font de leur mieux. Les Labex ont reconnu certains des points forts d’universités de province. Les Idex, eux, ont consacré les «formules 1» de la recherche et contribuent à une grande différenciation entre universités.


Les universités ont-elles été davantage financées ?

"L’argent investi dans les universités n’a jamais été aussi important, mais jamais dans les proportions qui ont été annoncées."

L’argent investi dans les universités n’a jamais été aussi important, mais jamais dans les proportions qui ont été annoncées. Elles ont ainsi bénéficié d’une augmentation de leurs crédits de fonctionnement de 400 à 500 millions d’euros sur cinq ans et non d’un milliard par an !


Le modèle français dual entre universités et grandes écoles peut-il perdurer ?

Nous croyons que le modèle universitaire doit s’imposer. Les grandes écoles doivent adopter les valeurs du monde universitaire. C’est le cas lorsque, pour délivrer des masters, elles augmentent leurs activités de recherche. Les PRES peuvent aider à faire évoluer ce système dual dans un climat apaisé, sans porter atteinte à ce qui réussit. Le discours impérialiste des universités souhaitant intégrer grands organismes de recherche, classes prépas et grandes écoles est trop ambitieux : le modèle français n’est pas identique au modèle anglo-saxon. Quant aux différences de financements entre étudiants, il faudrait aligner les montants alloués aux étudiants d’université sur ceux des élèves de classes prépas. Si cet écart reste le plus important, ceux entre filières universitaires, entre étudiants en sciences ou santé et étudiants en lettres ou en droit par exemple, sont aussi significatifs.

L’université française : une nouvelle autonomie, un nouveau management, Pierre Balme, Jean-Richard Cytermann, Michel Dellacasagrande, Jean-Louis Reffet, Pierre Richard (sous la dir.) et Damien Verhaeghe, Presses universitaires de Grenoble, avril 2012, 572 p., 50€.

(1) Pierre Balme, Jean-Richard Cytermann , Michel Dellacasagrande , Jean-Louis Reffet, Pierre Richard et Damien Verhaeghe .

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le