Absentéisme : la loi Ciotti éthiquement incorrect, La chronique de Nathalie Mons

Sylvie Lecherbonnier Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission de Louise Touret Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Nathalie Mons, professeur de sociologie à l'université de Cergy-Pontoise,  explique pourquoi la loi Ciotti qui prévoit un retrait des allocations familiales en cas d’absentéisme prolongé de l’élève doit être abrogé.

L’éducation a été l’une des thématiques majeures de l’élection présidentielle, du moins jusqu’à l’entre-deux tours. Au centre du débat, elle en est parfois devenue un axe clivant. Ce sont bien deux visions de l’école radicalement différentes qui se sont affrontées à travers les propositions de l’UMP et du PS. Il résulte de cette confrontation forte qu’une très grande partie de l’héritage éducatif de l’ère Sarkozy doit être aujourd’hui soit radicalement revisitée soit totalement bannie.

Les dix derniers jours ont ainsi apporté leur lot d’annonces de mesures sarkozystes qui seront rapidement abrogées par le nouveau gouvernement.

Les programmes d'évaluation

Les programmes d’évaluation figurent en première ligne, que ce soient les évaluations nationales des élèves ou celles des enseignants. Est aussi promise à la disparition la loi Cherpion, qui permet depuis avril 2012 une entrée en apprentissage précoce dès 15 ans, ce qui remet en cause le principe de la scolarité obligatoire à 16 ans. La réforme de la carte scolaire doit également être revisitée. Et ces abrogations, ou ces fortes évolutions, sont aussi importantes d’un point de vue opérationnel et symbolique que les nouvelles mesures déjà annoncées, comme la création des 60.000 postes.

La loi Ciotti

Il est par ailleurs un dispositif fortement contesté lors de son adoption et qui a été promis lui aussi à l’abrogation par le candidat Hollande durant la campagne présidentielle : c’est la loi dite Ciotti. Mise en application à partir de janvier 2011, elle prévoit un retrait des allocations familiales en cas d’absentéisme prolongé de l’élève. Jusqu’ici il s’est agi d’une mesure idéologiquement clivante. Concernant principalement des familles déjà défavorisées socialement, auxquelles il est question de limiter plus encore des ressources financières, la loi Ciotti a suscité un débat de valeurs qui opposait bien deux visions de l’école et, plus largement, deux visions de la responsabilité individuelle dans notre société : de son côté, l’UMP a promu une politique de contrôle social, de répression d’une prétendue «délinquance parentale» et de responsabilisation individuelle qui nie les contextes socio-économiques dans lesquels se développent certaines parentalités.

Quant au PS, il a mis en avant la reconnaissance de la pluralité des facteurs sociaux et scolaires liés à l’absentéisme et le souci de soutenir plutôt que réprimer des familles défavorisées, le collectif venant en soutien à l’individu défaillant. Dans le débat public, s’affrontaient donc ces deux visions de l’école, du contrôle social, de la responsabilité individuelle et de la parentalité, deux visions qui ne peuvent être hiérarchisées.

Depuis cette semaine, ce sont des résultats empiriques sur les effets réels de cette politique qui sont à disposition et qui permettent de légitimer son abrogation. Le ministère de l’Éducation nationale vient en effet de publier les chiffres sur l’absentéisme des élèves (1). Alors que la loi Ciotti aurait dû avoir des effets immédiats importants, c’est bien le contraire que l’on constate : malheureusement, l’absentéisme demeure stable, notamment dans les lycées professionnels où se concentre ce problème.

Ces résultats étaient déjà suggérés par les évaluations d’une telle politique menée en Angleterre où elle s’était révélée inefficace. La recherche – et notamment celle sur l’évaluation des politiques publiques – doit devenir une ressource majeure pour la fabrication de l’action publique en éducation. Pour des impératifs d’efficacité – car les deniers publics seront fort limités – mais aussi parce que, éthiquement, nous ne pouvons pas continuer à travailler en toute impunité sur de l’humain.

(1) La Note du MEN est disponible à l’adresse suivante : http://media.education.gouv.fr/file/2012/58/0/DEPP-NI-2012-08-absenteisme-eleves-second-degre-public_214580.pdf.

Sylvie Lecherbonnier | Publié le