"Débat sur l'école : la communication tue l'information", la chronique de Nathalie Mons

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l'émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, déplore qu'en matière d'éducation, "plus la communication s'intensifie et domine le débat public, moins l'information solide, elle, est disponible".

"Il est un paradoxe qui marque l'arène médiatique pendant cette campagne présidentielle : elle est caractérisée par beaucoup de communication, notamment gouvernementale, mais finalement très peu d'informations fiables sur le bilan des cinq dernières années. Autrement dit, plus la communication s'intensifie et domine le débat public, moins l'information solide, elle, est disponible. Notamment, dans le domaine de l'éducation, nombre de statistiques, entre autres, sur les politiques éducatives sont étrangement absentes. Pourquoi ? S'agit-il d'un manque d'évaluation des politiques publiques ou d'une fabrication défaillante de données sur le système éducatif français ? Non, la France s'est depuis longtemps imposée comme un des grands pays dans la fabrication des statistiques sur l'école et le quinquennat actuel a été marqué par la multiplication tous azimuts des évaluations.

Alors, comment expliquer cette énigmatique absence d'informations fiables dans le débat public sur l'école ? Les Déchiffreurs (1) - un collectif qui vient de se lancer en associant des statisticiens du ministère de l'Éducation nationale, des organisations issues du monde syndical et associatif de l'éducation et des universitaires - nous apportent la réponse. Les statistiques, fabriquées aujourd'hui par le ministère de l'Éducation lui-même ou les rapports d'évaluation commandés à des chercheurs par le ministère ou ceux produits par les inspections générales soit dérangent et sont donc muselés, soit font l'objet d'une instrumentalisation au prix de déformations. On peut ainsi multiplier les exemples de communication sur des statistiques incorrectes (durant les derniers mois, les communications gouvernementales sur les effectifs d'élèves, le nombre des décrocheurs...). On peut aussi noter la fabrication d'enquêtes sur mesure instrumentalisées : par exemple les fameuses évaluations nationales du primaire, développées désormais par la Dgesco (Direction de l'enseignement scolaire) et non plus par la Direction compétente en charge, entre autres, des statistiques (la DEPP). Elles montrent étrangement que les résultats des élèves ont progressé suite à la réforme du primaire, mise en œuvre sous le ministère Darcos, des résultats qui ne concordent pas avec ceux des autres études, menées dans des cadres plus indépendants (2).

Louise Touret : Pourtant ce quinquennat devait être celui de la transparence ?

Oui, nous sommes bien loin de ce quinquennat de la transparence, de la reddition des comptes à partir d'informations soumises aux citoyens pour étayer leur jugement sur l'action publique menée, nous sommes bien loin de cette promesse d'une évaluation des ministres sur des bases objectives.

Faut-il s'en émouvoir ? Oui, ce dysfonctionnement est majeur pour plusieurs raisons. Il interroge tout d'abord la gestion des finances publiques. Car ce sont bien des fonds publics qui servent à payer des fonctionnaires - les statisticiens, les inspecteurs généraux... - ou qui financent des recherches dont le citoyen n'a, au final, pas connaissance. Il s'agit donc bien d'une forme de privatisation des ressources de l'État au profit d'un clan politique qui à l'instant T contrôle le pouvoir. Cette main mise sur l'information publique interroge plus largement le fonctionnement de notre démocratie et la faiblesse des contre-pouvoirs en France. Comment le citoyen peut-il exercer un jugement éclairé sur les politiques mises en œuvre en absence de données fiables sur les résultats des politiques menées ?

Louise Touret : Avez-vous des exemples de politiques scolaires sur lesquelles nous ne disposons pas à ce jour d'informations satisfaisantes nous permettant une évaluation claire ?

Oui, prenons le cas emblématique d'une des politiques phares du quinquennat qui s'achève : la politique d'internat d'excellence, censée viser un objectif d'égalité des chances, dans une veine de discrimination positive. L'objectif affiché était bien d'offrir un cadre d'apprentissage et de vie valorisé à des élèves issus de milieux défavorisés et dits "méritants". À ce jour, le ministère refuse la publication d'un rapport de l'inspection générale ainsi que celle d'une enquête de chercheurs qui ont évalué la mise en œuvre et les premiers effets de ce dispositif. Vous me direz que, avec quelque 10 000 places seulement, cette politique destinée à renforcer les chances de réussite scolaire des élèves défavorisés concerne finalement fort peu de jeunes.

J'ai fait un petit calcul intéressant : les 10 300 places offertes en 2011-2012 par cette politique phare correspondent à... 0,8 % des boursiers, population qui peut être considérée comme un bon indicateur de celle des élèves de milieux défavorisés (voir graphique ci-dessous). Si le programme ne peut accueillir que peu d'élèves, par contre des centaines de millions d'euros ont été engloutis dans cette opération fort médiatisée. En conséquence, tout citoyen soucieux de justice sociale et d'une bonne gestion des finances publiques souhaiterait évidemment savoir si la poignée d'élus de ce dispositif correspond bien au profil des élèves attendus, ce qui a réellement été fait de ces sommes gigantesques, quels effets ce programme a produit et surtout à quoi d'autre cet investissement important aurait pu être employé peut-être plus efficacement. Et ça, le citoyen ne le sait toujours pas à deux semaines des élections présidentielles, alors que l'éducation est un des thèmes majeurs de la campagne et l'internat d'excellence une des politiques emblématiques du quinquennat finissant. Plus d'informations fiables que de communication politique seraient les bienvenues dans l'actuel débat public qui peine à intéresser le citoyen faute de contenu."

Par Nathalie Mons, maître de conférences à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée

Figure : ratio entre le nombre de places dans les internats d'excellence (modèle pur et places labellisées) sur la population des boursiers en collège et lycée (en %). 2010-2011, 2011-2012 et projections UMP futur quinquennat.


Source : auteur avec données du MEN pour les IE et population des boursiers et programme UMP.
Présentée comme une politique de discrimination positive visant la démocratisation du système, la politique d'internat d'excellence ne concerne qu'une ultraminorité des jeunes issus des milieux socialement défavorisés. Ci-dessus, le graphique présente pour les années scolaires 2010-2011 et 2011-2012 ainsi que pour le futur quinquennat (à partir des données programmatiques de l'UMP), un ratio mettant en relation le nombre de places disponibles ou à venir dans les internats d'excellence (modèle pur et places labellisées) et le nombre de boursiers en collège et lycée, indicateur considéré ici comme un proxi restrictif de la population d'élèves issus de milieux socialement défavorisés (chiffres 2011-2012 et projection futur quinquennat extrapolés à partir du nombre de boursiers 2010-2011). On remarque que le nombre de places offertes en internat d'excellence ne dépasse pas aujourd'hui 1 % de la population des boursiers. Même dans les projections optimistes de l'UMP, ce programme ne concernerait pas plus de 2 % des boursiers collégiens et lycéens.

(1) Les activités du collectif des Déchiffreurs peuvent être suivies à partir de leur site.
(2) Pour une synthèse de ces enquêtes nationales et internationales sur les acquis des élèves, voir le document développé par l'INSEE.

Maëlle Flot | Publié le