École et discrimination : quelles logiques à l’œuvre ? La chronique de Benoît Falaize

Sylvie Lecherbonnier Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) met en exergue les derniers travaux sur la discrimination ethnico-raciale à l’école.

«Il y a un peu moins d’un an, une thèse de sociologie a été soutenue à l’Université de Provence sous la direction de Françoise Lorcerie. Cette thèse, proposée par Fabrice Dhume, porte sur la discrimination ethnico-raciale dans les stages sous statut scolaire (1). Une discrimination qui concerne donc principalement les élèves.

Des travaux existaient déjà sur des formes d’ethnicisation des rapports scolaires, ou des formes implicites ou explicites de discrimination en milieu scolaire. On pense à ceux de F. Lorcerie (2) bien sûr, mais aussi de Jean-Paul Payet (3) ou encore de Georges Felouzis (4) pour ne citer qu’eux. Ici, l’originalité du travail de F. Dhume, c’est d’avoir mené une réflexion systématique, implacable même, sur la complexité des enjeux qui parcourent la dimension ethnique de l’institution scolaire, à travers plusieurs années et sur plusieurs lieux d’enquêtes. Si sa réflexion est très théorique, s’appuyant sur la littérature consacrée à ces questions, son enquête est, elle, très pratique, très concrète, en donnant une place significative (et éclairante) aux représentations des agents de l’école concernés : enseignants, chefs d’établissement et élèves eux-mêmes.

Il aborde par exemple l’une des questions importantes de l’école de façon systématique en ne laissant aucun pan de la complexité de cette question loin de l’analyse, qui concerne beaucoup de jeunes : celle des stages, non seulement des élèves de troisième, mais aussi, et surtout, ceux des lycées professionnels. Derrière, c’est la question des rapports très complexes entre école et entreprise qui est posée, et pas seulement d’un point de vue général, idéologique, mais également de façon très concrète, dans leurs liens les plus pratiques, les plus quotidiens.

Quelles sont ses conclusions les plus marquantes ?

L’intérêt majeur de cette thèse très attendue, réside dans le fait de rendre compte de l’ethnicisation des rapports scolaires, via la discrimination. Celle-ci se caractérise à la fois par une banalité du fait, du processus discriminatoire dans l’école, et par la dénégation de l’existence de cette discrimination. Pour le dire autrement : comment l’école, porteuse de valeurs universalistes et libératrices peut-elle être le lieu de discriminations ? Comment l’école de la République, laïque, celle de l’égalité des chances, celle du vivre-ensemble, peut-elle être porteuse de mécanismes discriminants ? On le comprend, c’est une question redoutable, notamment pour tous ceux qui aiment et défendent l’école au quotidien. L’école, nous dit Dhume, est un aussi un lieu où existe tout un imaginaire scolaire qui porte la croyance du caractère intrinsèquement républicain de l’institution.

Un chapitre est particulièrement éclairant. Il concerne les implicites du raisonnement ethnique à l’école. F. Dhume explique que ces implicites reposent sur ce qu’il appelle des “figures de l’ethnique”, figures spontanément mobilisées par les acteurs eux-mêmes.

J’en retiendrai deux. Il y a d’abord le thème de l’immigration, spontanément vue, ou vécue, comme un “problème”, alors même que les élèves n’ont majoritairement immigré de nulle part. Et ensuite la question de la culture. Cette “culture” sans cesse évoquée, jamais vraiment définie, qui faisait dire à Sayad que l’école raisonne souvent “comme si tout se passait dans un ‘ciel pur des cultures’, c’est-à-dire dans une situation abstraite où la culture est réifiée et posée comme une donnée transhistorique, transcendant les différences de classe, la complexité des processus identificatoires (“on parle volontiers à propos des immigrés, par exemple, de la culture algérienne, maghrébine ou encore espagnole ou portugaise, comme si chacune de ces cultures étaient une”, dit Sayad) (5) Au prétexte de rendre compte des élèves, on construit des catégories enfermantes.

Mais c’est une véritable charge contre l’école ? L’école est-elle raciste ?

Dis comme cela, évidemment non. Précisément, c’est là où le travail de Dhume est précieux, c’est qu’il n’est jamais sur le mode accusateur, ou dénonciateur. Dhume explique que la discrimination en milieu scolaire n’est ni une réalité absente ou très marginale, ni une réalité générale et systématique.

Ce qu’il montre, ce sont les processus et les représentations le plus souvent non pensés. On devine même souvent chez lui un amoureux de l’école publique.

Ce qu’il montre, c’est ce que l’on ne voit pas toujours, et qui ne se dit pas, pas parce que les acteurs veulent le cacher, mais parce qu’ils ne peuvent, eux-mêmes, en avoir conscience tout à fait. C’était ce que nous avions nous-mêmes repéré dans la question de l’enseignement, en cours d’histoire, du fait migratoire en France spontanément, et très généreusement, les enseignants peuvent mobiliser des références, des présupposés, des stéréotypes, au nom de la promotion des élèves. Où l’enfer est pavé de bonnes intentions…

Alors on peut se poser la question, à l’heure des débats électoraux sur l’école, de l’avenir des jeunes, de la place que l’on accorde au futur dans l’école française : avec Sayad, on peut se demander combien de temps nous allons considérer Rachid ou Aminata étrangers, ou “de culture immigrée”, ou encore d’“origine culturelle” différente, celle ou celui, né(e) en France, qui, sociologiquement, est assigné(e) à résidence identitaire en raison de la couleur de sa peau, de son nom ou de sa religion éventuelle ? Quand allons-nous, dans l’école, passer à l’avenir en ne regardant plus “les origines”, mais en construisant le futur commun indispensable ?»

Benoît Falaize, université Cergy-Pontoise

(Coauteur, avec Elsa Bouteville, de l’Essentiel du prof d’école, Didier/l’Etudiant, 2011.)


[1] F. Dhume, Entre l’école et l’entreprise, la discrimination ethnico-raciale dans les stages. Une sociologie publique de l’ethnicisation des frontières et de l’ordre scolaires. Thèse Université de Provence, Aix-Marseille 1, présentée et soutenue le 21 juin 2011.

[2] F. Dorcerie, L’école et le défi ethnique. Éducation et intégration, INRP/ESF éditeur, 2003.

[3] J.-P. Payet, Collèges de banlieue, Ethnographie d’un monde scolaire, Paris Méridiens Klincksieck, 1995.

[4] G. Felouzis, F. Liot, J. Perroton, l’Apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Paris, Seuil, 2005.

[5] Abdelmalek Sayad, les Usages sociaux de la «culture des immigrés», Centre d’information et d’études sur les migrations méditerranéennes, Paris, 1978.

[6] B. Falaize et alii., Enseigner l’histoire de l’immigration à l’école, Paris CNHI/INRP, 2008.

Sylvie Lecherbonnier | Publié le