Le collège unique : grand perdant des élections de 2012 ? La chronique de Nathalie Mons

Maëlle FLOT, rédactrice en chef Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l'émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, s'interroge sur le devenir du collège unique, alors que les propositions à droite se multiplient pour enterrer cette institution établie pourtant sous une présidence centriste.

«Qui sera le grand perdant des élections présidentielles de 2012 ? En éducation, cela risque d'être le collège unique. À droite, les propositions les plus rétrogrades pleuvent avec l'objectif de détruire cette institution si l'UMP l'emportait en mai. La gauche peine, elle, bien étrangement à le défendre faute de projet concret de rénovation.

Décidément, le sort s'acharne contre ce niveau d'enseignement souvent décrit comme le maillon faible du système éducatif français. Ce fut déjà le grand oublié du quinquennat Sarkozy : alors que les ministres Xavier Darcos et Luc Chatel tentèrent de rénover le primaire et le lycée, rien ne fut pensé pour le collège pendant cinq ans. Abandonné hier, le collège unique est férocement attaqué aujourd'hui. Les propositions à droite se multiplient pour enterrer prestement cette institution établie pourtant sous une présidence centriste, celle de Valéry Giscard d'Estaing. Dans son récent discours de Montpellier, Nicolas Sarkozy a tout simplement appelé à recréer des filières à partir de la fin de la cinquième. Lui qui, en 2007, avait pourtant supprimé un dispositif d'orientation précoce - l'apprentissage junior dès 14 ans - parce qu'il refusait que le destin social se décide si tôt dans la vie.

Louise Touret. - Nicolas Sarkozy n'est pas le seul à aller dans ce sens...

Oui, fin février, certains sénateurs UMP ont aussi présenté une proposition de loi permettant d'étendre le champ des écoles dites «de production» : ces écoles, privées hors contrat, accueillent des jeunes dès 14 ans un tiers de leur temps dans des locaux scolaires, deux tiers dans un atelier où ils s'emploient à la réalisation de vraies commandes faites par de vraies entreprises (1). Comment peut-on imaginer que ces jeunes préorientés à 14 ans, donc avant l'âge de fin du collège unique, pourront acquérir ce que la Nation a désigné comme les fondamentaux du socle commun.
Pire, la Fondation pour l'innovation politique - ce think tank libéral proche de l'UMP - propose, elle, de créer des «écoles fondamentales», qui seraient des collèges destinés à accueillir les élèves au niveau scolaire faible (2), élèves dont les études sociologiques montrent régulièrement qu'ils appartiennent majoritairement aux milieux défavorisés. On aurait donc ainsi un collège à deux vitesses.

Louise. - Et à gauche ?

Certes, le PS réaffirme qu'il faut conserver un programme scolaire commun long. Mais l'absence de plan de sauvetage complet et concret constitue aussi une menace pour le collège unique qui se délite depuis des décennies faute de rénovation ambitieuse. Les institutions meurent d'être livrées à elles-mêmes. Nous risquons d'être confrontés à un cas de non-assistance à institution en danger si des propositions précises ne sont pas formulées.

Louise : Pourtant dans certains pays étrangers, l'école unique fonctionne ?

Oui, dans les pays qui, contrairement au nôtre, se donnent les moyens de lutter contre les inégalités à l'école, cette école unique vit et prospère. À coups d'actions pédagogiques de prévention, de classes hétérogènes qui stimulent tous les élèves et d'un suivi individualisé pour qu'aucun ne décroche, le collège unique s'impose comme la meilleure arme de lutte contre les inégalités à l'école (3). Il permet aussi le développement d'attitudes civiques qui valorisent la cohésion sociale (4). Il faut désormais rapidement que le camp progressiste se mobilise pour défendre une modernisation de l'école unique. Son silence, son manque d'ambition, s'ils persistaient, pourraient devenir meurtriers dans les mois à venir. »

Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

(1) Lien vers la proposition de loi.
(2) Fondation pour l'innovation politique, fondation libérale, rapport « Douze idées pour 2012 ».
(3) Pour une synthèse sur les performances comparées de l'école unique et de l'école à filières dans les pays de l'OCDE : voir Mons (2007), Les Nouvelles Politiques éducatives, Paris, Puf. L'école unique, quand elle est rénovée, c'est-à-dire quand se met en place un cadre organisationnel permettant aux enseignants de suivre efficacement chaque élève, est associée à une performance scolaire moyenne plus élevée que l'école à filières et à des inégalités scolaires d'origine sociale plus réduites.
(4) Voir notamment : Janmaat G., Mons N., (2011), «Promoting Ethnic Tolerance and Patriotism : the Role of Education System Characteristics», Comparative Education Review, vol. 55 (n° 1), pp. 56-82.

Maëlle FLOT, rédactrice en chef | Publié le