«Le rire à l'école» : la chronique de Benoît Falaize

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l'émission de Louise Touret Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) remet en perspective les tentatives de restauration «de ce qu'aurait été l'école de la IIIe République».

«Je viens de lire les recommandations d'un inspecteur d'académie qui accorde un long article à l'école primaire. Dans ce texte important, il souligne à quel point l'école est héritière d'une discipline, d'un ordre, qui ont (je cite) "conservé la double empreinte du couvent et de la caserne". Il précise même que l'école primaire a gardé cette influence qui explique son caractère morose. Et l'inspecteur d'académie de se lancer : "Eh bien, dit-il, dussé-je étonner et scandaliser, je déclare qu'à mon avis c'est là chose fâcheuse, aussi contraire à la droite raison qu'à la nature même. Je prétends, poursuit-il, que l'éducation devrait se faire non seulement douce mais souriante. [...] Je demande qu'à l'école, l'enfant, au lieu de désapprendre le rire et la gaieté, contracte l'habitude d'envisager la vie avec confiance et bonne humeur."»

Louise Touret : «Ce texte semble rare dans le contexte actuel...»

«Absolument. Lorsqu'on envisage l'éducation, les parents comme les enseignants n'hésitent pas à dire "cette année, tu sais, c'est sérieux, tu ne vas pas rire beaucoup et tu vas devoir travailler". L'association caserne/école n'est pas une nouveauté, et le sentiment de "libération" que vivent parfois les élèves de troisième témoigne très souvent de cette impression d'obligations pesantes, de contraintes permanentes. Dans les années 1970, cette association caserne/école était même un slogan pour dénoncer l'école bourgeoise et pompidolienne (ou giscardienne). En général, ce type de discours est le fait des élèves entre eux, ou des associations d'éducation alternative, ou encore des journaux lycéens. Eh bien là, non, c'est un des plus grands inspecteurs d'académie du système public qui le dit : le quotidien des élèves n'est pas drôle. Car on ne fait bien que ce qu'on fait de grand cœur, et ce n'est pas en donnant à l'écolier une impression trop sévère du travail et de la vie qu'on lui mettra au cœur le courage dont il a besoin.»

Louise Touret : « Vous nous dites qui est cet inspecteur ? »

«Ce texte date de 1910. Il est paru dans le Journal des instituteurs du 25 septembre 1910, principale revue pédagogique de la IIIe République. Il a été écrit par Louis Le Chevallier, un ténor de l'Éducation nationale de l'époque, inspecteur d'académie à Évreux notamment, un des rédacteurs des principales revues pédagogiques de son temps. À l'heure où il est question, sur un ton souvent catastrophé, de renforcer la discipline, de remettre l'autorité en place, de faire en sorte de reconsidérer l'école avec sérieux, de proposer des évaluations dès la maternelle très vite, au cas où un élève pourrait être rêveur, et tout cela au nom de la restauration de ce qu'aurait été l'école de la IIIe République, eh bien l'un des principaux responsables de cette IIIe République nous dit, un siècle avant : surtout riez et faites rire ! : "L'enfant a besoin de rire, comme il a besoin de mouvement. Ne contrarions pas sa nature."

On me rétorquera : "Oui, mais l'école, avant, était très dure. C'est pour cela que Le Chevallier intervenait dans les revues pédagogiques", et ce ne sera pas faux. On pourra même me répliquer qu' "à présent, après 1968, il faut revenir à des conceptions abandonnées de discipline et d'ordre en classe...", ce qui sera déjà plus discutable. On pourra me dire aussi "oui, mais L. Le Chevallier était compagnon de route, ou sensible au mouvement de l'éducation nouvelle en France" ; ce qui est également vrai.

Pour autant, je me demande combien d'inspecteurs d'académie, dans les rapports hiérarchiques actuels, aggravés ces dernières années, oseraient tenir par écrit de tels propos dans une des principales revues quasi officielles de l'Éducation nationale. Combien de cadres de la chaîne hiérarchique primaire, de l'inspection générale à l'inspecteur de circonscription, oseraient dénoncer publiquement que les évaluations prévues en maternelle, que les prescriptions et programmes sont contestables. La liberté que L. Le Chevallier perçoit de l'institution de l'école primaire nous donne à voir une école qui invente, doute, cherche, et surtout vit : vit pour les élèves, vit pour le mieux d'une génération, sans souci des rapports d'obéissance hiérarchiques que l'on observe aujourd'hui dans les différentes recherches. Que deviendrait l'école républicaine sans liberté de ton et dans l'autocensure de ses cadres les plus importants, qui renonceraient ainsi à leur rôle de pilotes intellectuels et pédagogiques de l'institution ?»

Benoît Falaize, université de Cergy-Pontoise, coauteur avec Elsa Bouteville de L'Essentiel du prof d'école (Didier/l'Etudiant, 2011).

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