C'est un court document, venu d'une institution discrète dans l'ESR, qui a mis le feu aux poudres en décembre 2022. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) épinglait 30% de 80 écoles privées examinées pour des pratiques commerciales trompeuses, notamment sur les frais de scolarité, mais aussi en raison de l'utilisation abusive de noms de diplômes ou de reconnaissances par l’État.
Cette alerte a conduit le ministère de l’Enseignement supérieur et la DGESIP à engager des travaux pour mieux réguler l’enseignement supérieur privé. Les préconisations de cette mission seront connues à l'automne alors que les députées Béatrice Descamps (Nord) et Estelle Folest (Val-d'Oise) mènent, elles aussi, une mission d'"information sur l'enseignement supérieur privé à but lucratif".
D'ores et déjà, le ministère de l’Enseignement supérieur a annoncé à nos confrères du Monde l’ouverture d’une plateforme répertoriant les formations reconnues par l’État. Et ce même ministère travaille à la création d’un label – encore un – qui pourrait d’ailleurs conditionner l’intégration des formations privées à Parcoursup. Ces nouvelles dispositions visent à offrir plus de visibilité et de transparence aux familles, "sans toutefois opposer supérieur public et privé, ni formations académiques et professionnalisantes" a précisé la ministre Sylvie Retailleau à EducPros.
Un tentaculaire secteur de l’enseignement supérieur privé
Si le sujet est ancien, la régulation d’un enseignement supérieur privé disparate devient aujourd’hui essentielle. Surtout pour les familles, qui ont du mal à s’y retrouver. À tel point que le rapport de la médiatrice de l'Éducation nationale, publié le 19 juillet, a mis en évidence ce sujet avec plus de 1.400 réclamations et près de 500 saisines des familles en 2022. Le nombre de ces saisines ne cesse d'augmenter depuis cinq ans, proportionnellement à la croissance du supérieur privé, qui accueille désormais 25% des étudiants de France contre 14% en 2003.
Et le constat est clair... dans sa confusion : entre établissements privés – lucratifs ou non – dont les formations sont reconnues par l’État, visées ou gradées par le ministère de l’Enseignement supérieur ; formations inscrites au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) selon les règles établies par France compétences – régie par le ministère du Travail - et établissements qui ne répondent qu’à peu de régulation, le secteur privé reste nébuleux, y compris pour les acteurs de l’enseignement supérieur eux-mêmes.
Une situation plus qu'amplifiée par l’ouverture du financement de l’alternance qui a ajouté de la complexité à la complexité. Ainsi, 700 millions d'euros ont été injectés par l'État depuis 2018 dans l'apprentissage. Or, aujourd'hui, certains établissements proposent des formations 100% en alternance, avec des cours à distance quand l’étudiant le souhaite, pour des coûts de formation exorbitants, et ce, sans aucun contrôle de la qualité pédagogique, ni même professionnelle.
Le ministère de l’Enseignement supérieur lui-même admet n’avoir aucun levier sur l’enseignement supérieur privé sans label. Si aujourd’hui, le RNCP fait figure de premier niveau de régulation, permettant ainsi de mesurer la professionnalisation des formations, il existe un trou dans la raquette concernant l’évaluation de la qualité académique de ces formations.
L’évaluation, seul moyen de régulation du privé lucratif ?
Et si la sortie de crise venait de l’évaluation ? Selon nos informations, le ministère envisage d’instaurer une évaluation des formations d’établissements privés par un des organismes accrédités, à l’image du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) pour les écoles de commerce ou de la Commission des titres d'ingénieur (CTI) pour les écoles d’ingénieurs.
L’un des critères examinés concernerait le corps professoral : les formations reconnues devraient impérativement avoir dans leur corps enseignant une majorité d’académiques. La part d'intervenants professionnels serait plafonnée à 30%.
Parce qu’au-delà de la professionnalisation, les formations du supérieur doivent aussi former des citoyens, leur apporter un socle de réflexion, des connaissances, mais aussi des savoir-être pour mieux s’adapter à un marché du travail volatil. Mais si une partie de l’enseignement supérieur privé, soucieux d’intégrer Parcoursup, joue déjà le jeu de cette évaluation, quid des autres établissements ?
Légiférer pour réguler le système du supérieur privé ?
Car le problème est là. Les formations qui sont aujourd’hui uniquement enregistrées au RNCP, sont officiellement reconnues par l’État via le ministère du Travail. Comment faire la distinction entre les formations uniquement professionnalisantes, dans le domaine de l’artisanat par exemple où le savoir-faire est maître, et les formations qui devraient être régies par l’enseignement supérieur, comme le management ou la communication ? Qui, du ministère du Travail ou de l’Enseignement supérieur, aura la responsabilité de trancher sur leur qualité ?
Et pour tous les autres établissements privés qui fleurissent dans différents secteurs et sont hors champ, comment "faire le ménage" ? La médiatrice l’a elle-même signifié dans son rapport : si plus de 1.400 réclamations ont été déposées, ce sont les médiateurs de la consommation qui sont compétents. Les étudiants sont en effet considérés comme des consommateurs qui achètent un bien - leur formation - à un certain coût.
Ce qui explique l’intérêt pour certains acteurs de créer un établissement supérieur privé pour vendre des formations, sachant que "tout Français ou ressortissant européen âgé de 25 ans, considéré comme capable, et des associations peuvent ouvrir librement des cours et des établissements d’enseignement supérieur".
Ainsi, selon la loi, la formation supérieure est un bien comme un autre, qui ne nécessite aucune compétence spécifique, ni bagage académique.
Et si finalement, plutôt que réglementer à outrance un marché déjà régulé, le législateur encadrait la possibilité de créer des formations, considérant que dans ce secteur, comme dans d’autres – à l’instar de la santé -, seules des personnes ayant des compétences et des connaissances spécifiques ont la possibilité de former des jeunes ? La question reste ouverte.