Parlons politique à l’école

Fabienne Guimont Publié le
Il existe un marronnier dans les salles des maîtres et des professeurs, à chaque saison électorale. C’est le thème de la politique. Comment en parler aux élèves ? Faut-il même en parler avec eux ? Faut-il engager la discussion avec les élèves si, en classe, ou dans les couloirs, dans la cour de récréation, le thème est soulevé par un élève ou un groupe d’élèves.

Depuis plusieurs semaines, on voit fleurir, sur de nombreux sites Internet, cette question qui est loin d’être neuve. On pourrait en effet penser que la question du surgissement du débat politique à l’école est assez récente (à l’échelle de l’histoire politique : les années 60), du fait des moyens de communication modernes tels que la radio ou la télévision, ou plus encore depuis une dizaine d’années avec Internet et la massification de l’usage des réseaux sociaux, chez des adolescents plus souvent rivés à leur ordinateur que devant leurs manuels de classe. Or, de fait, la question de savoir s’il faut ou non parler politique existe depuis les débuts de l’école pour tous.

On en a des traces ? On sait depuis quand ?

Au moins depuis la lettre aux instituteurs du 17 novembre 1883 de Jules Ferry qui avait donné la ligne de l’école républicaine, sur la neutralité nécessaire qui ne puisse choquer aucun père de famille.

Par ailleurs, si l’on regarde la production des revues pédagogiques à destination des maîtres de l’école primaire, par exemple, on est frappés du fait que, dès la fin du XIXe siècle, (et ce quelle que soit la revue pédagogique, qu’elle soit plutôt au centre de l’échiquier politique ou franchement militante à gauche), les recommandations des autorités institutionnelles, formateurs, inspecteurs, depuis Jules Ferry, vont toutes dans le même sens, qui est celui de la raison pédagogique : il y est dit souvent qu’il est impossible de faire en sorte que le monde extérieur n’entre dans les écoles. Lorsque la nation connaît un moment historique important, l’école se fait et doit se faire le relais des préoccupations des élèves : une guerre, des élections, un événement important. L’école doit même être là pour donner du sens. À condition que cela se fasse dans la neutralité. Sinon l’école évoque un “trouble”.

Le Manuel général de l’instruction primaire, en mai 1936[1], diffuse par exemple une circulaire ministérielle en date du 29 avril 1936 (on est juste entre les deux tours des élections législatives qui vont donner le Front populaire vainqueur). Cette circulaire évoque des conférences de propagande données devant des groupes d’élèves du primaire comme du secondaire, par (on dirait aujourd’hui) des intervenants extérieurs, emmenés par les chefs d’établissement, autour de thèmes tels que la solidarité, les coopératives, le droit d’association. Pour ce texte officiel et ministériel, “sous le couvert d’idées et d’aspirations se présentant comme très générales et excellentes, et par exemple de susciter certaines vocations (ces conférences amènent à) introduire la politique dans la vie scolaire et (deviennent) pour les élèves et le personnel enseignant un élément de trouble”. La circulaire poursuit : “Je vous prie donc de veiller tout particulièrement à ce que la paix des établissements d’instruction soit à cet égard préservée. […] Les préoccupations autres que de science et d’informations pures sont absolument exclues des exposés ou démonstrations auxquels on convie la jeunesse.” S’il s’agit d’information politique, oui. S’il s’agit d’opinions trop ostensiblement diffusées, c’est non.

Qui écrit cela ? Qui est le ministre de l’époque ?

Il s’agit d’Henri Guernut, ministre radical depuis le mois de janvier 1936, défenseur reconnu des droits de l’homme et dreyfusard. Il le restera jusqu’au tout début du mois de juin, et l’installation du nouveau ministre du Front populaire Jean Zay. Cette courte circulaire est très éclairante : d’une part, elle témoigne de cette volonté républicaine de ne pas permettre l’endoctrinement des élèves et de respecter les opinions privées, et, d’autre part, que les débats politiques, à l’heure des élections de 1936, ont investi très largement l’espace scolaire.

On le comprend, soixante-seize ans plus tard, à la veille d’une échéance importante, partout présente pour les enfants, par les discussions en famille, à la télévision et Internet, comment empêcher cette visibilité du politique dans l’enceinte scolaire, moins que jamais sanctuaire ? Autant s’en saisir et assumer sa position d’adulte susceptible d’apprendre aux élèves deux choses fondamentales : à la fois ce qu’est le fonctionnement d’une démocratie et de ses institutions ; et ce qu’est la nécessaire neutralité du maître, garant de la régulation d’un débat libre, argumenté et apaisé.

Benoît Falaize

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