Quand l'université devient payante, La lettre de Hongrie de Benoit Falaize

Fabienne Guimont Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université de Cergy-Pontoise) explique les conséquences des "coupes financières drastiques" opérées par le gouvernement hongrois dans l'enseignement supérieur.

"Nous connaissons la situation politique très particulière qui sévit en Hongrie aujourd’hui. Nous sommes aussi informés de la mobilisation citoyenne qui tente d’empêcher une forme de dérive permanente autoritaire, voire anti-démocratique. L’éducation supérieure n’est pas épargnée. Dans un monde universitaire très ancien, aux traditions démocratiques très ancrées, le gouvernement Orban est en train de profondément remettre en cause le modèle hongrois.

Trois sujets sont concernés et mériteraient d’être développés : la centralisation administrative et politique à outrance, qui tente de faire des universités des lieux aux ordres du pouvoir. Un regard nouveau sur les contenus scolaires, après avoir connu des contenus cadenassés sous la période communiste ; et enfin des coupes financières drastiques.

Dans le domaine des coupes budgétaires, qu’y a-t'il de prévu ? Est-ce une réponse gouvernementale à la crise ?

Oui, absolument. C’est en tout cas présenté comme cela : la restriction importante du budget de l'enseignement supérieur prend la forme d’une réponse financière à la crise, mais peut aussi s’interpréter de façon politique.

Tout d’abord, le gouvernement Orban projette de diminuer le nombre des diplômés de l’enseignement supérieur, en contradiction étonnante avec, non seulement l'engagement de la Hongrie envers l'Union européenne qui envisage justement l'augmentation du nombre des diplômés, mais aussi au regard des besoins de tout pays développé.

Et cette restriction deviendra, graduellement, plus en plus dure : 12 milliards de HUF [forint hongrois] de moins en 2012, mais 38 milliards de moins en 2013 et en 2014. En chiffres : le nombre des places gratuites se voit globalement réduit à la moitié du taux actuel, i.e. des 54.000 places financées en 2011 par l'État, le chiffre devrait passer à 27.000 à partir de l'automne 2012, comme a pu l'estimer le principal syndicat étudiant. Il n'y aura de plus que 15.000 places avec la moitié du coût total de la formation.

Le nombre des universités devrait également baisser. Plus grave encore, mais assez cohérent au fond au regard de la politique d’ensemble d'Orban, les restrictions budgétaires entraînent une diminution radicale du nombre de places dans les universités financées par l'État. Cela signifie que l'enseignement supérieur devient en grande partie payant. Et il ne s'agit pas seulement d'introduire des frais d'inscription, par exemple, mais bien de faire supporter par les étudiants le coût calculé et réel de tous les frais de la formation dispensée.

Par ailleurs, le gouvernement modifie les équilibres quant aux places offertes : proportionnellement, beaucoup plus dans les sciences naturelles et techniques, et beaucoup moins dans les sciences humaines (autour la moitié de l'état actuel). La formation de juriste et d'économiste devient, pratiquement, à 100% payante. Plus précisément il n’y aurait plus que 100 places gratuites pour tout le pays en droit : 50 places pour l’université Eötvös Lorànt de Budapest et 50 places pour l'université catholique Pázmány Péter, et donc aucune place gratuite pour les universités de province pour les études de droit.

Du reste, le vice secrétaire d'Etat, responsable de l'enseignement supérieur, qui détaillait au cours d’une interview parue récemment dans la presse le chiffre des places gratuites en économie, affirmait, non sans cynisme : "l'Etat ne doit pas payer la formation des futurs experts de la fraude fiscale..." Ce qui en dit long sur la démagogie ambiante qui entoure chaque décision gouvernementale.

Quelles sont les conséquences annoncées ?

Clairement, le semestre d’études augmente de telle manière que deux solutions s’offriront aux étudiants : soit de payer les études au prix fort, soit d’accepter une sorte de contrat avec l’Etat avec obligation de rembourser, sur plusieurs années, leurs études après l’obtention du diplôme.

Certes, le gouvernement de Viktor Orbàn envisage une bourse d'étudiant pour financer ces frais, mais étant donné les salaires des débutants sur le marché du travail, le remboursement du crédit risque de devenir un poids très lourd. Bref, les places payantes des universités deviennent ainsi simplement inaccessibles pour des souches importantes de la société. Les inégalités sociales ne vont que s’accentuer.

Nous assistons à une logique fiscale bornée qui dicte le jeu, qui n’est pas si éloignée des questions politiques : cette intervention étatique restreint l'autonomie universitaire au moment même où cette autonomie est attaquée par d'autres mesures comme la réglementation de l'élection des recteurs d'universités ou la présence renforcée des organes ministériels destinée à exercer plus d'influence qu'auparavant.

Le malaise actuel, qui met dans la rue beaucoup de manifestants, étudiants, enseignants, citoyens, depuis octobre dernier, c’est que tout le monde était d'accord sur la nécessité d'une réforme de l'enseignement supérieur. La forme qu’elle prend aujourd’hui, en revanche, fait globalement l’unanimité de tous les participants de l'enseignement. D'ailleurs, Zoltán Pokorni, le leader et expert de l'enseignement du parti au pouvoir (FIDESZ), n'a pas voté la loi. Ce qui montre que cette conception était très débattue au sein même du parti au pouvoir, même s'il s'agit d'un geste symbolique sans véritable effet.

En 1989, le jeune Viktor Orban faisait un éloge de la démocratie très appuyé lors de la cérémonie d’enterrement des restes de d'Imre Nagy et des principaux leaders de la révolution démocratique de 1956. Nous nous en souvenons : c’était sur la place des Héros (Hösök tere), à Budapest. La démocratie d’Orban, en 2012, vingt-cinq ans plus tard, à l’image de son leader, semble mal vieillir."

Benoît Falaize

Enseignant-chercheur à l’université de Cergy Pontoise, il est coauteur, avec Elsa Bouteville, de L’Essentiel du prof des écoles, Didier/l’Etudiant.

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