“Tolérance tragique à l’échec scolaire”, la chronique de Nathalie Mons

Sylvie Lecherbonnier Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, dénonce “le faible engouement des instances dirigeantes de l’Éducation nationale à s’imposer une obligation de résultats en termes de réussite scolaire”, notamment concernant le socle commun au collège. “Cette semaine, il est deux faits d’actualité qui nous rappellent combien l’institution scolaire française – et ses élites en tête – demeure tragiquement tolérante à l’égard de l’échec scolaire. Tous deux concernent la réforme du socle commun, inscrite dans la loi Fillon de 2005, qui vise à garantir à chaque élève un bagage scolaire et culturel à l’issue de la scolarité obligatoire. Comme le droit au logement opposable, elle impose à l’État une obligation de réussite scolaire pour tous les jeunes à différentes étapes du cursus obligatoire, pas au-delà.

Quels sont ces faits d’actualité ?

Le premier fait d’actualité qui m’a frappé cette semaine est national, le second, local, concerne des écoles de Charente au public défavorisé.

Premier fait, donc : une série d’organisations syndicales et pédagogiques vient d’adresser une lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle pour leur demander de veiller à ce que le socle commun soit réellement mis en place durant le futur quinquennat. Car aujourd’hui, soit sept ans après la loi Fillon de 2005, il n’en est rien. La réforme a d’abord pris plusieurs années de retard, révélant ainsi le peu d’enthousiasme des élites du ministère de l’Éducation sur le sujet. Ensuite, le dispositif a été étrangement mal pensé : les modalités d’évaluation demeurent vagues, les liens avec les programmes sont incertains, les personnels enseignants sont peu formés à cette nouvelle mesure. Par ailleurs, le brevet des collèges ne peut être obtenu que si le socle commun est validé. Ce montage complexe constitue une forte incitation à entériner le socle, même si les compétences ne sont pas acquises par les élèves. Cet effet pervers majeur peut ruiner l’entreprise de la réforme même.

Donc, sept ans après l’adoption de la loi Fillon, à l’exception de quelques établissements, la réforme du socle commun n’est pas généralisée. Rappelons que ce bagage culturel était déjà prévu dans la loi Haby de 1975 sur le collège unique. C’est dire le faible engouement des instances dirigeantes de l’Éducation nationale à s’imposer une obligation de résultats en termes de réussite scolaire, même dans les niveaux d’enseignement les plus basiques de la scolarité obligatoire.

Et le second fait d’actualité ?

Le second fait, révélé par le Café pédagogique et l’OZP, concerne des écoles de l’académie de Poitiers incluses dans le dispositif dit Éclair, le nouveau visage de l’éducation prioritaire. Le cas est intéressant, car il est une illustration concrète de cette indifférence à l’obligation de réussite scolaire, ici tragique de conséquences, puisque ces écoles accueillent des publics défavorisés. C’est dans le cadre des échanges de contractualisation avec l’équipe rectorale que les enseignants de ces établissements ont découvert qu’ils étaient ‘autorisés’ par leurs supérieurs hiérarchiques à ne pas avoir 100 % de leurs élèves qui atteignent les objectifs du socle commun. Autrement dit, dans ces écoles défavorisées, il est contractualisé qu’une partie des élèves peut sortir du primaire sans disposer de ce bagage que leur doit l’institution scolaire.

Mais peut-être est-ce un cas isolé ?

Malheureusement non. Plusieurs études, sur des terrains variés, montrent que le socle commun est souvent dévoyé dans sa mise en œuvre. D’ailleurs, pour l’évaluer, le Parlement, qui contrôle l’exécutif, s’appuie sur une enquête portant sur un échantillon d’établissements spécialement menée par les spécialistes de l’évaluation du ministère de l’Éducation et non sur les résultats remontés des établissements scolaires, entre autres, car ils ne sont pas considérés comme valables.

Pour résumer, nous avons attendu plus de trois décennies pour que l’institution scolaire conçoive enfin une réforme dont la mise en œuvre n’est aujourd’hui pas validée par le corps de contrôle parlementaire. Cette désinvolture des élites éducatives est d’autant plus étonnante que la réforme interroge une thématique centrale de l’école : l’aptitude de l’institution scolaire à assurer sa mission éducative durant la scolarité obligatoire, autrement dit sa capacité à transmettre à chaque citoyen ce bagage scolaire et culturel minimal qui assure le vivre-ensemble.”

Par Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie, Université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, auteur des Nouvelles Politiques éducatives (PUF, 2007).

La lettre ouverte est présentée à l’adresse Internet suivante.

La lettre des enseignants des écoles de Soyaux (16) intégrées au programme Éclair à la rectrice de l’académie de Poitiers.

Le suivi de l’atteinte des objectifs du socle commun fait partie des indicateurs LOLF que le Parlement examine pour évaluer les programmes du ministère de l’Éducation nationale.

Sylvie Lecherbonnier | Publié le