L’intelligence artificielle entre dans l’enseignement supérieur

Céline Authemayou Publié le
L’intelligence artificielle entre dans l’enseignement supérieur
La puissance de calcul associée à la masse de données disponibles permet d'obtenir des résultats qu'on ne pouvait pas espérer il y a vingt ans, rappelle Catherine Faron-Zucker. // ©  plainpicture/Millennium/David Rehor
Vague déferlant sur tous les secteurs économiques, l’intelligence artificielle envahit l’enseignement supérieur. Catherine Faron-Zucker, maître de conférences à l’université de Nice-Sophia-Antipolis et référente scientifique du learning lab d'Inria revient pour EducPros sur les questions techniques et éthiques soulevées par le sujet.

nullL'intelligence artificielle (IA) est le sujet en vogue dans le secteur des EdTech. Est-ce un phénomène nouveau ?

Pas vraiment. Dès lors que des systèmes informatiques ont été développés pour accompagner les apprentissages, notamment avec l'e-learning, la question de l'intelligence artificielle s'est posée. Que l'on mette ou non le mot dessus.

Pourquoi l'éducation est-elle particulièrement propice au développement de l'intelligence artificielle ?

Ce secteur se prête particulièrement bien à l'intégration des techniques d'IA car la problématique de modélisation des apprenants constitue une question cruciale.

Pour organiser les ressources pédagogiques mises à disposition des apprenants, pour les recommander au mieux en fonction des profils, il faut être capable de raisonner sur une représentation de ces ressources, de modéliser l'apprenant lui-même et aussi de raisonner sur sa représentation. Ces questions ne sont pas nouvelles : l'intelligence artificielle offre les moyens d'y répondre.

Quelles avancées techniques permettent cela ?

En réalité, le cœur de ce qu'on appelle l'intelligence artificielle reste inchangé. Mais la puissance de calcul fournie par les nouveaux systèmes informatiques, associée à la masse de données disponibles, permet d'obtenir des résultats qu'on ne pouvait pas espérer il y a vingt ans. Ce qui permet de renouveler les approches.

Quelles applications sont particulièrement présentes dans le secteur de l'éducation ? On parle par exemple des chatbots ?

Les chatbots se trouvent dans tous les secteurs, cette application n'est pas spécifique à l'éducation. En revanche, être capable d'adapter la recommandation des apprentissages en fonction du profil de l'apprenant est une spécificité du secteur. Cela veut dire beaucoup de choses : il faut représenter et raisonner sur des préférences explicites données par les apprenants, mais aussi analyser leurs traces d'activité pour enrichir leur profil. Ce sont les learning analytics. Certains travaux vont jusqu'à intégrer une représentation des émotions des apprenants dans telles ou telles conditions...

Également, on voit l'essor de ce qu'on appelle l'apprentissage social, résultat de réflexions menées sur les nouvelles façons d'enseigner et d'apprendre, de motiver les apprenants par des pratiques collectives. Les travaux de recherche sur l'analyse des systèmes sociaux trouvent ainsi un champ d'application privilégié dans le domaine de l'e-éducation.

Il s'agit de fournir aux élèves tout un environnement d'apprentissage collaboratif où ils pourront communiquer avec leurs professeurs ou d'autres élèves et où les recommandations de ressources, les parcours d'apprentissages tiendront compte des interactions de l'apprenant avec son réseau social.

Quels domaines scientifiques sont concernés ? On perçoit l'intérêt de maîtriser les sciences informatiques, mais il y a également de forts enjeux psychologiques.

Indépendamment du domaine de l'éducation, il y a en effet des liens très forts qui s'établissent entre la psychologie et l'informatique, mais aussi avec les sciences sociales. Des travaux en psychologie et en sciences de l'éducation s'intéressent à développer des modèles de l'apprenant. Il s'agit ensuite d'implémenter ces modèles dans les systèmes informatiques.

Cette pluridisciplinarité se met-elle facilement en place ?

La situation est différente selon les pays. Au Canada ou en Suisse, cela va de soi : dans les laboratoires, se côtoient déjà des chercheurs de disciplines différentes. En France, la pluridisciplinarité passe nécessairement par le montage de projets entre différentes équipes de recherche.

Il y a quelques mois, la France a lancé sa stratégie dédiée à l'intelligence artificielle, un an après les États-Unis. Comment analysez-vous cette différence de temporalité ?

Les États-Unis ont mis beaucoup de moyens dans le domaine, mais cela tient aussi à la nature même de l'enseignement, majoritairement privé. De gros efforts ont été faits dans le développement des Mooc par exemple. La France est venue un peu après, certes. Mais beaucoup d'initiatives voient le jour dans le domaine de l'éducation, et pas seulement dans le monde académique. Bon nombre d'entreprises développent des solutions faisant appel à des techniques d'intelligence artificielle, pour proposer des environnements d'apprentissage à tous les niveaux scolaires.

Concernant la confidentialité des données, après le domaine médical, celui de l'éducation est certainement le plus sensible, notamment parce qu'il peut s'agir d'utilisateurs mineurs.

L'intelligence artificielle pose de nombreuses questions éthiques, notamment celle de la confidentialité des masses de données utilisées. Comment prendre en compte cette question ?

Concernant la confidentialité des données, après le domaine médical, celui de l'éducation est certainement le plus sensible, notamment parce qu'il peut s'agir d'utilisateurs mineurs. Ces questions doivent absolument être prises en compte dès le début des projets. Il s'agit de protéger la confidentialité des données des apprenants, notamment de ce que les techniques de learning analytics peuvent révéler d'eux.

Beaucoup de questions éthiques se posent, mais elles dépassent le seul domaine de l'intelligence artificielle et concernent l'informatique en général. La question n'est pas de se priver de tout le bénéfice que cela nous apporte, mais de se prévenir de possibles dangers. Il est indispensable de garantir la sécurité des données, la vie privée des utilisateurs, ainsi que d'expliquer les décisions prises par des algorithmes et d'encadrer leur application. L'intelligence artificielle va de pair avec toutes ces questions d'éthique.

France IA, la stratégie nationale dédiée à l'intelligence artificielle
Dévoilée le 21 mars 2017 par le gouvernement, la stratégie France IA vise à "confirmer la place de la France dans ce domaine et à faciliter l'appropriation des technologies par les acteurs économiques".

Ce plan d'action, commandé par Thierry Mandon, alors secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et Axelle Lemaire, ex-secrétaire d'État au Numérique, comporte cinquante propositions. Parmi elles, certaines, très générales, sont dédiées à l'enseignement supérieur et à la recherche. Le gouvernement veut par exemple "développer l'interdisciplinarité" ou encore "améliorer l'environnement et l'appropriation des questions d'IA dans la société".

De façon plus concrète, plusieurs actions sont prévues. Un programme dédié à l'IA sera porté par le PIA 3, dans le cadre de l'action Programmes prioritaires de recherche. De plus, la constitution d'un consortium privé-public devrait être mise sur pied, dans le but de créer un centre interdisciplinaire pour l'intelligence artificielle.

Consulter le rapport de synthèse "France intelligence artificielle"
Céline Authemayou | Publié le