Crous : le modèle économique des resto U est-il viable ?

Lola Fourmy Publié le
Crous : le modèle économique des resto U est-il viable ?
Le restaurant universitaire de Paris-Saclay // ©  Arthur CRESTANI/REA
Le rejet de la proposition de loi sur le repas à un euro pour tous les étudiants, en février dernier, a remis la restauration universitaire des Crous sur le devant de la scène. Modèle économique, offre territoriale, hausse du recours aux resto U, ces services essentiels sont confrontés à plusieurs défis. Décryptage.

35 millions, c’est le nombre de repas servis en 2022 par les services de restauration sociale des Crous en France. Une hausse de 29% en un an, qui prouve l’intérêt et l’importance d’une restauration de qualité pour tous les étudiants en période de crise économique.

Les restaurants universitaires des Crous – les RU – proposent en effet des repas complets à des tarifs sociaux : 3,30 euros ou 1 euro pour les élèves boursiers et dans d’autres situations précaires. Des tarifs qui ont augmenté de 0,5 centimes en six ans mais restent stables depuis 2019.

Problème, plusieurs points de restauration universitaire ont fermé ces dernières années sur les campus de Nancy, Dijon ou encore en Bretagne comme le détaillait Streetpress dans une enquête fouillée. Une dynamique qui inquiète sur l’avenir des fameux resto U mais sur laquelle le Cnous, le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, veut rassurer. "De manière générale, le réseau des Crous est dans une logique d’augmentation de l’offre de restauration qui est passée de 708 à 800 structures entre 2019 et 2023", assure la direction du Cnous.

Développement des points de restauration rapide des Crous

En 2021, les fermetures seraient au nombre de 10 contre 28 ouvertures et dans l’immense majorité des cas pour opérer des rénovations et des extensions indique encore l’instance. En revanche, la tendance pour les ouvertures est bien à la restauration rapide : "Depuis sept ou huit ans, les Crous ont développé une offre de restauration rapide car les étudiants ont de moins de moins de temps pour déjeuner, c’était une réponse à l’évolution du monde étudiant même si on crée aussi de gros restaurants universitaires, comme à Saclay", explique Dominique Marchand, la présidente du Cnous.

Le modèle économique est consubstantiellement déficitaire. Chaque repas servi nous coûte, donc ça ne peut pas être un motif de fermeture. (Cnous)

"Avant la crise sanitaire, on était sur un objectif presque atteint de 55% de places de restauration assises et 45% de places en restauration rapide, mais après, avec la mise en place des repas à un euro, l’inflation, on a constaté une bascule : les attentes des étudiants ont changé, ils reviennent vers une restauration classique, assise", détaille encore Dominique Marchand, assurant que sur certains sites, des évolutions seront peut-être envisagées pour mieux y répondre.

Des fermetures de restaurants universitaires "rares"

Quant aux fermetures de points de restauration, elles "sont très rares et ne sont pas réalisées pour des raisons strictement économiques" assure la présidente du Cnous "le modèle économique est consubstantiellement déficitaire. Chaque repas servi nous coûte donc ça ne peut pas être un motif de fermeture", justifie-t-elle.

De fait, le coût d’un repas fourni par le Crous est actuellement autour de huit euros, un tarif attractif, aux vues de l’inflation, permis par une centrale d’achats nationale. Mais ce système, par définition, ne rapporte pas d’argent. Il est financé par une subvention de service public du ministère de l’Enseignement supérieur d’environ 222 millions d’euros cette année, rallongé de 3 millions en 2022 et de 5,3 millions pour 2023, d’après le Cnous.

Zones blanches de la restauration sociale

Selon Nicolas, secrétaire général de la Fédération syndicale étudiante (FSE) de Bordeaux, manger le midi est devenu une galère cette année. En cause, la fermeture du resto U pour travaux. "On doit aller sur un autre campus, mais du coup c’est engorgé, il y a 40 minutes voire une heure d’attente et parfois quand on arrive, il n’y a plus de stocks pour les repas à un euro. En remplacement du resto U, il y a une caravane mobile du Crous, et deux food trucks privés installés par la fac, c’est insuffisant pour le nombre d’étudiants", affirme-t-il en demandant de meilleures mesures compensatoires pendant les travaux.

Pour Apolline Dumar, vice-présidente en charge des affaires sociales à la Fage, les portions auraient même été réduites sur certains sites. Ce à quoi s’ajoute un autre problème : "les restaurants U des Crous sont très importants, c’est souvent le seul endroit où les étudiants ont accès à un repas équilibré, chaud et à un tarif réduit. Mais il faudrait l’étendre car certains lieux n’en bénéficient pas", rappelle l’étudiante.

En France, 500.000 étudiants n’auraient pas accès à un resto U ou à un repas à tarif conventionné. (P.-A. Lévi, sénateur)

Des zones blanches où la restauration sociale n’existe pas c’est ce que dénonce le sénateur Pierre-Antoine Lévi. "En France, 500.000 étudiants n’auraient pas accès à un resto U ou à un repas à tarif conventionné" assure l’élu du Tarn-et-Garonne. Il prend l’exemple de Montauban où "la restauration universitaire est disponible du lundi au vendredi et uniquement le midi alors qu’à Toulouse ou Paris c’est accessible le soir et le week-end".

Vers un ticket resto étudiant ?

Pour en finir avec ces inégalités, le sénateur porte une proposition de loi pour mettre en place un "ticket resto étudiant", sorte de forfait à utiliser dans des restaurants conventionnés en l’absence de points de restauration Crous. Une proposition qui sera réexaminée dans les prochains mois au Parlement.

"J’ai conscience du coût, environ 400 à 500 millions d’euros par an, et qu’on ne peut pas construire des restos U partout, mais il faut prendre en compte tous ceux qui n’ont pas accès à ces structures dans les grandes villes. Prendre en charge notre jeunesse, c’est essentiel surtout quand on voit la précarité terrible chez les étudiants" tranche l’élu.

Les associations étudiantes pallient les manques de l'Etat

De fait, de plus en plus d’associations étudiantes font appel aux Restos du cœur ou à la Croix-Rouge pour organiser des distributions. La Fage, elle, a mis en place dès 2011 ses Agoraé, épiceries sociales et solidaires où les produits sont vendus à 10% des tarifs de base.

"Finalement c’est nous, associations étudiantes, qui pallions le manque d’aide sociale et de dispositifs de l’Etat mais le problème c’est que c’est une aide ponctuelle. En 2020, un étudiant sur quatre n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins de base. C’est dans ces moments-là qu’on se dit que les dispositions du gouvernement sont encore loin de répondre aux problématiques des jeunes", déplore Apolline Dumar, regrettant comme les autres syndicats d’étudiants le rejet de la généralisation du repas à un euro pour tous.

Lola Fourmy | Publié le