Ecoles de commerce : recherche, dix ans de développement tous azimuts

Jessica Gourdon et Olivier Monod Publié le
Ecoles de commerce : recherche, dix ans de développement tous azimuts
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Les écoles de commerce ont énormément développé leurs activités de recherche ces dernières années. Une petite révolution, conduite sous la pression des accréditations internationales et des instances nationales. Retour sur 10 ans d'investissements massifs et rapides. Second volet de notre enquête sur les stratégies des ESC en matière de recherche.

« Inexistante ou bâtarde. » Voilà comment Stéphan Bourcieu , directeur de l’ESC Dijon, décrit la recherche dans les écoles de commerce à la fin des années 1990. Depuis, tout a changé. En une décennie, ces activités se sont développées à une vitesse grand V , transformant en profondeur les établissements.

Retour en 1997. À cette époque, le corps enseignant des écoles était bien plus limité, avec peu de docteurs et des cours largement assurés par des vacataires du milieu professionnel. Les lignes commencent à bouger avec l’arrivée en Europe de l’AACSB, un label américain attribué après plusieurs rapports et audits, qui accorde une large place aux volumes d’articles publiés par les enseignants-chercheurs. Cette même année, l’ESSEC est la première école européenne à décrocher cette accréditation, qui devient un sésame en matière de reconnaissance internationale et un critère disctinctif sur le marché.

Pendant ce temps, à Bruxelles, des professeurs et doyens de business schools planchent sur une contre-attaque européenne. Ce sera EQUIS, nouvelle accréditation qui naît l’année suivante dans le giron de l’EFMD . HEC et l’ESCP sont les premières écoles accréditées, dès 1998. Dans la foulée, les meilleures écoles de commerce entrent dans ces processus longs et exigeants. L’ESC Grenoble décroche EQUIS en 2000, l’ESC Rouen en 2002. Pour accompagner le mouvement, les recrutements d’enseignants se multiplient. En 2002, Stéphan Bourcieu, alors directeur des MBA à Audencia (Nantes), se souvient que « seize nouveaux professeurs docteurs étaient arrivés le même jour à l'école. »

Le rôle de la commission Helfer

Un deuxième round débute en 2003, avec la création de la CEFDG (Commission d’évaluation des formations et des diplômes de gestion). Celle-ci crée son propre label : le droit de délivrer un diplôme de « grade master » , attribué aux meilleures écoles de commerce en cinq ans. Sous l’influence de son président, l’universitaire Jean-Pierre Helfer , l’attribution du « grade » prend un tournant académique. Toutes les écoles doivent développer des activités de recherche pour pouvoir en bénéficier, et compter dans leurs rangs un certain nombre de docteurs, voire de titulaires d’HDR (habilitation à diriger des recherches). Conséquence : même les plus « petites » écoles, qui se tenaient à l’écart des accréditations, s’y mettent.

Une vive compétition s’installe entre les établissements, mais aussi avec les universités, berceau traditionnel de la recherche. Au cœur de la bataille : le recrutement de professeurs de gestion capables de publier dans de bonnes revues (en anglais si possible) et de dispenser des cours. D’autant que de cette même année (2003), le CNRS achève sa fameuse classification des revues à « étoiles », qui permet ainsi de mesurer les performances individuelles des chercheurs.

Un mercato des enseignants-chercheurs

« Aujourd’hui, il y a un vrai mercato des enseignants-chercheurs », sourit Stéphan Bourcieu. D’autant que les nouveaux docteurs sont de plus en plus rares. Le nombre de thèses soutenues en gestion est passé de 285 en 2007 à 148 en 2008, d’après les chiffres de la FNEGE . Dans cette guerre, les écoles bénéficient d’un argument de poids : le salaire. Les jeunes docteurs sont souvent embauchés à un salaire compris entre 40.000 et 50.000 € par an, quand les postes de maître de conférences sont rémunérés 25.000 € en début de carrière. « Les salaires d’entrée ont pris 10 k€ en cinq ans », témoigne Didier Jourdan, directeur de l’ESC Montpellier.

Forcément, les universités, et particulièrement les IAE (instituts d’administration des entreprises), grincent des dents. « Les écoles ont externalisé les coûts de formation des docteurs et en ont internalisé les bénéfices », explique amèrement Arnaud Thauvron, directeur de l’IAE de Paris-Est. Pour autant, « il ne faut pas victimiser le système universitaire, répond Alain Ged, ancien directeur de l’IAE d’Aix. La concurrence est saine, et le système universitaire a encore des atouts pour être attractif. » À commencer par des carrières plus stables et une forte crédibilité. En effet, pour Philippe Mouricou, enseignant-chercheur à l’ESCEM, la recherche dans les ESC est loin d’être arrivée à maturité : « On compte beaucoup d’individus performants dans les écoles, mais peu de labos de pointe, peu de contributions collectives de qualité, à la manière de ce que font des universités comme Dauphine. »

Primes et contrats de publication

Depuis 2005, la tendance dans les écoles est donc à la constitution d’équipes les plus productives possibles. Dans les contrats d’embauche, il n’est pas rare que les directeurs requièrent un certain nombre de publications à produire, sous peine de remerciement. « Nous contractualisons avec l’enseignant, qui s’engage à publier deux papiers dans les trois ans », détaille Stéphan Bourcieu. « Je dois apporter trois étoiles dans les trois ans », raconte un jeune professeur d’une autre école de commerce. Avec, en bonus, des primes. « Cela peut aller jusqu’à 3.000 € par étoile quand le salaire fixe est bas. Sinon, cela tourne fréquemment entre 500 et 1.000 € », témoigne-t-il.

Reste que, pour les écoles, cette course aux publications devient de plus en plus difficile à supporter financièrement. Elles ont beaucoup augmenté les frais de scolarité pour assumer ces dépenses (+ 12 % en deux ans à l’EDHEC, + 18 % à l’ESG…). Mais il est difficile de demander aux familles de payer plus de 9.000 € par an. Pour François Duvergé , président de l’ESCEM, le modèle a atteint ses limites. « Aujourd’hui, les chercheurs dans les écoles sont de plus en plus déchargés de cours afin de pouvoir publier davantage. Résultat : les cours sont délivrés par des vacataires. » Ou comment revenir à la situation de départ. Avec des coûts phénoménaux en plus !

Jessica Gourdon et Olivier Monod | Publié le