Dans son rapport, Laurent Batsch, spécialiste de la finance d'entreprise, tire plusieurs constats : l'enseignement supérieur privé est en croissance depuis plusieurs années et ce secteur attire les investisseurs. Mais certains établissements sous modèle actionnarial se livrent à des pratiques abusives vis-à-vis des étudiants. Des systèmes de régulation doivent donc être mis en œuvre pour protéger le consommateur.
Comment expliquer la croissance du secteur de l'enseignement supérieur privé ?
Le premier facteur qui tire sa croissance, c'est l'employabilité mise en avant par les établissements, c'est-à-dire la capacité à offrir un débouché professionnel à leurs étudiants. Les écoles privées ont su investir des niches en lien avec des nouveaux métiers attractifs dans les domaines du design, de la communication ou de la création.
D'autres raisons peuvent expliquer l'attraction de ces établissements, comme un encadrement qui rassure les familles, une offre de formation plus réactive aux évolutions du marché ou la proximité géographique du domicile de l'étudiant. Elles ont également su profiter du développement de l'apprentissage impulsé par la loi de 2018.
Ces diverses raisons expliquent la croissance du secteur qui représentait 19% des effectifs étudiants post-bac en 2015 et 25% en 2021.
Quels sont les modèles économiques des établissements privés d'enseignement supérieur ?
Il faut souligner la grande diversité qui caractérise ces établissements. Il existe des écoles associatives ou consulaires (qui dépendent de la Chambre de commerce et d'industrie) qui revendiquent leur caractère "non lucratif". Cela n'exclut pas qu'elles développent des activités marchandes, et "vendent" des formations, mais leurs ressources sont réinvesties dans l'école elle-même et dans son développement.
D'autres établissements fonctionnent sur un modèle actionnarial. Comme toute entreprise, ils doivent valoriser leurs actifs, d'abord en faisant de la croissance interne ou externe. Certains fonds investissent dans l'enseignement supérieur privé, en général pour une durée de cinq à sept ans, puis sortent du capital. Leur objectif est donc la valorisation. Ce n'est pas l'objectif en soi des écoles consulaires ou associatives.
La progression des fonds d'investissement dans l'enseignement supérieur privé n'est-elle pas dangereuse ?
Vous faites sans doute allusion à certaines pratiques abusives que la direction de la concurrence a d'ailleurs relevées. Mais elles ne procèdent pas de l'intervention des fonds. L'entrée d'un fonds est recherchée parce qu'il apporte des capitaux et qu'il conforte la capacité d'endettement d'un groupe.
Il reste le sujet de l'information du consommateur qui est parfois défaillante, sinon trompeuse, et l'absence de possibilité de recours quand la qualité de la formation n'est pas au rendez-vous. Il faudrait donc qu'il y ait davantage de régulation publique et d'autorégulation.
Pourquoi l'enseignement supérieur privé doit-il être régulé ?
Parce qu'il a beaucoup progressé ces dernières années, l'enseignement supérieur privé est devenu un enjeu de société. Comme pour toute entreprise, la question se pose, pour ces établissements, de leur responsabilité sociale et donc d'une certaine régulation.
Aujourd'hui, n'importe qui peut créer une école privée. En contrepartie de cette liberté, l'école devrait avoir à rendre compte de son activité et offrir des garanties suffisantes aux étudiants. Il en va de la défense du consommateur.
Comment peut être mise en œuvre la régulation ?
Le dialogue est engagé à ce sujet entre les acteurs concernés et les pouvoirs publics. À eux de trouver la réponse. Les établissements gagneraient à mettre en place une forme d'autorégulation, à se réunir et à promouvoir un code de bonnes pratiques. Cette formule existe déjà pour les EESPIG (Établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général), qui, pour obtenir ce label, doivent souscrire à certaines conditions.
Une évaluation externe paraît aussi utile. Elle pourrait être faite par le Hcéres (Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) ou par une instance qui fonctionnerait sur le même modèle.
Du côté des écoles consulaires ou associatives, la question de l'évaluation est déjà avancée.
Rappelons que du côté des écoles consulaires ou associatives, la question de l'évaluation est déjà avancée. Certaines écoles de management disposent par exemple d'accréditations internationales (EQUIS, AACSB, AMBA). Certains établissements demandent à être évalués par le Hcéres.
Le titre d'ingénieur délivré par la CTI (Commission des titres d'ingénieur) ou les grades de licence et master sanctionnent une évaluation positive par des instances indépendantes. De même, pour les membres de la CGE (Conférence des grandes écoles), l'usage du label de "mastère spécialisé" ou de "master of science" est soumis au respect d'un cahier des charges. [Le ministère de l'enseignement supérieur a d'ailleurs récemment annoncé la création d'un label avec plusieurs critères auxquels devront répondre les écoles privées pour l'obtenir, ndlr]
Le sujet de la régulation concerne d'abord les écoles actionnariales qui, si elles veulent faire le tri et se démarquer des plus mauvaises d'entre elles, ont intérêt à promouvoir une forme d'évaluation.
"L'enseignement supérieur privé en France", un rapport publié par Fondapol
Le rapport de Laurent Batsch a été édité, en juin 2023, par Fondapol, la Fondation pour l'innovation politique. Celle-ci publie des études sur des enjeux sociétaux : de l'Europe à l'industrie du jeu vidéo, en passant par l'écologie ou les religions.
Créée en 2004 par Jérôme Monod, conseiller de Jacques Chirac, elle se présente comme un "think tank libéral, progressiste et européen". Soutenue financièrement par l'UMP à sa création, Fondapol précise sur son site qu'elle n'est aujourd'hui "subventionnée par aucun parti politique". Elle perçoit des subventions publiques et des financements privés provenant d'entreprises et de particuliers.