Études de santé : le Clesi reste ouvert, malgré les batailles judiciaires

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Études de santé : le Clesi reste ouvert, malgré les batailles judiciaires
Les campus de Toulon et de Béziers du Clesi accueillent encore 250 étudiants en kinésithérapie et odontologie. // © 
Le 27 juin 2016, la cour d'appel d'Aix-en-Provence examinera la légalité de l'existence du Clesi/Esem, cet établissement privé dont l'objectif assumé est de contourner le numerus clausus des études de santé. Parallèlement, une information judiciaire a été ouverte pour "tromperie". Retour sur l'ex-université Pessoa France, qui, depuis sa création, n'en finit pas de faire polémique.

Le 25 mai 2016, sept fédérations de santé de la Fage, et en particulier l'UNECD (Union des étudiants en chirurgie dentaire), publiaient un communiqué de presse afin de dénoncer l'existence du Clesi (Centre libre d'enseignement supérieur international) également appelé Esem (École supérieure d'études médicales). L'objectif affiché ? "Veiller à ce qu'[il] ne connaisse aucune rentrée supplémentaire".

Mais le rythme de la justice ne suit pas celui des étudiants et le Clesi, qui défraie la chronique depuis sa création, compte bien ouvrir à nouveau ses portes à la rentrée 2016, malgré la chute de ses effectifs.

Si les campus de Toulon et de Béziers accueillent encore 250 étudiants en odontologie et kinésithérapie, "il y a 30 % d'étudiants en moins en dentaire", déplore Bruno Ravaz, président du Clesi.

LE CLESI PEUT-IL ÉCHAPPER À LA LOI FIORASO ?

L'établissement d'enseignement supérieur privé comptait pourtant attirer les nombreux étudiants ayant échoué en Paces (Première année d'études de santé), en leur permettant de contourner le numerus clausus grâce à des partenariats avec des universités européennes. Une seconde chance, contre quelque 10.000 euros de frais de scolarité par an. Mais le législateur et le juge sont venus contrarier ce plan.

En cause, la loi dite Fioraso du 22 juillet 2013. Celle-ci renforce l'encadrement des établissements d'enseignement supérieur privés, qui doivent désormais présenter une demande d'agrément auprès du rectorat et déposer un dossier précisant les contenus des formations, les conventions avec les universités étrangères ainsi que les profils des enseignants.

Le Clesi refuse de se conformer à ces obligations, estimant que sa création est antérieure au vote de la loi. En première instance, suite à la plainte du syndicat UJCD (Union des jeunes chirurgiens-dentistes Union dentaire), le tribunal de grande instance de Toulon a toutefois ordonné la fermeture du centre. "Un jugement totalement inique", estime Bruno Ravaz, pour qui "la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence de surseoir à son exécution en est la preuve".

La cour d'appel examinera le fond de l'affaire le 27 juin prochain et rendra sa décision les mois suivants. Toutefois, s'il perd, Bruno Ravaz a bien l'intention d'aller devant la Cour de cassation voire même de s'installer à l'étranger. "Mais je suis sûr de gagner en appel, insiste-t-il. Si je perdais, cela signifierait que la cour d'appel ne respecte pas le droit." "Bruno Ravaz, qui est avocat, sait pertinemment se saisir de tous les instruments judiciaires à sa disposition pour jouer contre la montre", dénonce pour sa part Geoffrey Migliardi, président de l'UNECD.

LE CLESI EN LIEN AVEC TROIS UNIVERSITÉS EUROPÉENNES

L'un des points sensibles du dossier concerne les conventions conclues avec des universités européennes, conventions cruciales puisqu'elles permettent aux étudiants d'obtenir un diplôme européen, valable ensuite en France.

Interrogé par EducPros, Bruno Ravaz répertorie les trois universités dans lesquelles ses étudiants ont été admis, depuis la rupture avec l'université Fernando-Pessoa de Porto (Portugal) : les universités d'Egas Moniz et Atlantica au Portugal, et de l'université Ovidius à Constanta, en Roumanie.

Des conventions en bonne et due forme ont-elles été signées ? "Cela varie", botte en touche Bruno Ravaz, avant de mettre en avant l'engagement de l'école envers ses étudiants : "Le point le plus important c'est que nous ne laissons personne sur le carreau. Nous arrivons toujours à trouver des places grâce à la validation des ECTS obtenus chez nous."

DES CONDITIONS D'ADMISSION À l'ÉTRANGER PEU ATTRACTIVES

Les équivalences déçoivent pourtant certains étudiants, comme Charles*. Inscrit à la rentrée 2013 en odontologie, il débute sa deuxième année, alors que la convention avec Pessoa est déjà rompue. "C'était un contexte très anxiogène : nous devions préparer nos examens de fin d'année sans savoir dans quelle université, voire même dans quel pays, nous irions. Nous craignions de perdre nos deux années d'études", se rappelle-t-il.

Finalement, tous les étudiants de la promotion de Charles ayant validé leur année au Clesi sont admis à l'université d'Egas Moniz, après un nouvel examen au Portugal. Néanmoins, tous n'intègrent pas la troisième année d'odontologie : "A l'exception d'un étudiant, nous avons été admis en deuxième année avec la moitié des cours de première année à rattraper", détaille Charles. Autrement dit, certains étudiants perdent une année d'études et doivent supporter une lourde charge de travail supplémentaire. "J'ai eu le sentiment de me faire avoir", conclut-il.

Contactée par Educpros, l'université d'Egas Moniz confirme garder des places vacantes à destination des étudiants étrangers, mais que celles-ci "ne sont pas réservées exclusivement aux candidats d'une institution d'enseignement en particulier, et cela vaut pour le Clesi".

De son côté, l'université Atlantica, qui propose des études de kinésithérapie indique à EducPros avoir un "accord" avec le Clesi. Dans ce cadre, à l'issue des deux années d'études en France, Atlantica accorde aux étudiants ayant validé leurs examens une équivalence de 80 ECTS, "dans le meilleur des cas".

Ils intègrent donc la deuxième année de kiné tout en ayant un certain nombre de cours à rattraper. Le tout pour environ 7.000 euros par an, tant à Egas Moniz qu'à Atlantica. L'université Ovidius (Roumanie) n'a pas répondu à nos demandes.

Une information judiciaire ouverte pour "tromperie"

Dans ce contexte, certains étudiants ont préféré abandonner à l'issue des deux premières années. C'est le cas de Louis*. Également inscrit en dentaire, il se dit "ruiné financièrement" et "très affaibli psychologiquement". "J'avais l'impression de faire des sacrifices importants pour des résultats très incertains. J'ai préféré tout arrêter."

Les témoignages de ces deux étudiants ont été transmis à la justice dans le cadre de l'information judiciaire ouverte, en mars 2013, à la demande du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette information porte notamment sur le chef d'accusation de "tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de service".

"Les étudiants inscrits au Clesi ont souvent connu l'échec avant d'arriver là. Ils se retrouvent seuls, tout en s'étant mis parfois dans des situations financières difficiles", estime Geoffrey Migliardi. À la justice de trancher.

Environ un quart des nouveaux médecins ont un diplôme étranger
L'affaire du Clesi pose la question de la pertinence d'un numerus clausus national alors que les titulaires d'un diplôme européen de médecine, odontologie, kiné ou pharmacie peuvent exercer partout dans l'Union européenne.
Selon une étude du Conseil national de l'Ordre des médecins de 2014, environ un quart des médecins inscrits à l'ordre depuis 2010 ont un diplôme étranger. Les titulaires d'un diplôme européen exerçant en France l'ont le plus souvent obtenu en Roumanie et en Belgique.

*Les prénoms des étudiants ont été modifiés à leur demande.

Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le