Derrière l'attractivité des étudiants internationaux en France, un enjeu économique

Juliette Chaignon Publié le
Derrière l'attractivité des étudiants internationaux en France, un enjeu économique
En cinq ans, le nombre d'étudiants en mobilité a augmenté de 35%. // ©  Nicolas Tavernier/REA
La France accueille chaque année plus de 300.000 étudiants internationaux dans l’enseignement supérieur. Les retombées économiques et culturelles sont indéniables mais l'Hexagone a encore des progrès à faire pour attirer davantage d'étudiants étrangers, et mieux profiter des bénéfices liées à ces mobilités.

En seulement cinq ans, le nombre d'étudiants en mobilité a augmenté de 35%. Si la plupart des pays font tout pour attirer ces quelque six millions d’étudiants dans le monde, c'est aussi, et peut-être surtout, parce qu'ils peuvent rapporter gros. Mais dans cette course à l'attractivité, la France doit encore faire ses preuves.

Les étudiants étrangers rapportent 1,35 milliard d'euros par an à la France

En France, entre 300.000 et 400.000 étudiants internationaux (voir encadré) sont inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur, d’après une étude de Campus France, publiée en novembre 2022.

D’après l’institution, chargée de faire rayonner les universités françaises à l’étranger, les étudiants étrangers rapportent 1,35 milliard d’euros par an : d'un côté, l'Etat investit 3,7 milliards d'euros pour les accueillir, de l'autre, les étudiants étrangers ne dépensent pas moins de 5 milliards d'euros par an pendant leur séjour (dépenses mensuelles, frais d’inscription, formation en langue, tourisme, transport et cotisations sociales).

Mensuellement, cela représente un coût moyen de 867 euros par étudiant, auxquels s’additionnent les frais d'inscription : 2.822 euros par an en moyenne (formation publique et privée confondues).

Un impact économique très variable selon les pays

Des chiffres qui peuvent déjà donner le tournis et pourtant, d’un pays à l’autre, l’apport économique des étudiants étrangers fluctue. Aux États-Unis, près d’un million d’étudiants internationaux contribuent pour 33,8 milliards de dollars à l’économie américaine, d’après l’association NAFSA.

Durant l'année scolaire 2021-2022, ces étudiants ont même soutenu 335.000 emplois, soit un emploi pour trois étudiants étrangers accueillis. Néanmoins, malgré la renommée de leurs universités, les États-Unis ont perdu de nombreux candidats internationaux au profit du Canada où les frais sont moins élevés et les visas d’étude et post-diplôme plus accessibles.

Même dynamique au Royaume-Uni : avec une dépense publique similaire à celle de la France, le Royaume-Uni parvient à tirer un bénéfice net 3.000 fois plus élevé par étudiant. Si la sortie de l’Union européenne et les démarches complexes pour obtenir un visa freinent l’attractivité du pays, pas sûr que cela menace ses finances : avant le Brexit, les étudiants hors-UE, concernés par des frais de scolarité plus élevés, généraient à eux seuls 82% du bénéfice total.

Plus surprenant, certains pays parviennent à engendrer des bénéfices proches de ceux de la France, tout en accueillant moins d’étudiants. C'est le cas des Pays-Bas : 105.000 étudiants internationaux en 2021-2022, soit trois fois moins qu'en France et 1,5 milliard d’euros de gain. Et pour causer, les Hollandais appliquent, en effet, des frais annuels entre 6.000 et 15.000 euros pour une licence (étudiant hors-UE).

Attirer de futurs travailleurs, un enjeu ?

Au-delà de l'impact économique, certains pays comme les Pays-Bas voient notamment dans l’accueil d’étudiants internationaux, un moyen d’attirer de futurs travailleurs. D’après une étude publiée en 2021, 38% des diplômés hors-UE habitent encore aux Pays-Bas cinq ans après y avoir étudié, contre 19% des Européens. Pour Astrid Elfferich, l’auteure de l’étude, ces diplômés non-européens rassurent les employeurs : ils ne risquent pas de démissionner à cause du mal du pays.

Au contraire, en France, "la rétention des jeunes diplômés étrangers reste un enjeu", note Alessia Lefébure, sociologue à l’École des hautes études en santé publique. En effet, après un échange en France, 88% des étudiants interrogés souhaitent travailler avec une entreprise française et plus des trois quarts recommandent la France à leurs proches pour travailler, visiter, vivre.

Mais près de 40% des diplômés étrangers rentrent chez eux dès l’obtention de leur diplôme, d’après une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq).

En France, le choix de pratiquer des frais différenciés

Avec autant d'enjeux, la politique a fini par s'en mêler. En 2018, le programme "Bienvenue en France" était lancé pour réamorcer l'attractivité de la France et atteindre 500.000 étudiants accueillis chaque année, notamment "les étudiants indiens, russes et chinois".

La France a donc décidé de se calquer sur le modèle anglo-saxon en rendant les frais de scolarité payants pour les étudiants internationaux. Une décision souvent critiquée car dirigée vers les étudiants les plus riches et créant une ambiguïté entre attractivité et contrôle des flux migratoires.

Depuis, les systèmes de dérogation pour continuer à exonérer les étudiants étrangers se sont multipliés. La chercheuse Marion Tissier-Raffin, maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux, estime qu’à la rentrée 2022, une quinzaine d’établissements appliquaient la mesure. Difficile donc de tirer une conclusion de cette politique encore récente. Il faudra attendre la rentrée 2023 pour que tous les étudiants soient concernés par la différenciation des tarifs.

La stratégie "Bienvenue en France" ne suffit pas

À noter tout de même qu’en 2022, la barre des 400.000 étudiants étrangers (apprentis inclus) a été franchie, soit une hausse de 8% en un an en France (13% à l'échelle européenne). Fin août 2022, Campus France a également recensé 140.000 candidatures sur la plateforme "Etudes en France", c'est 18% de plus par rapport à la situation pré-Covid.

Une belle dynamique à relativiser. La France cumule du retard en matière d'attractivité : en dix ans, les mobilités étudiantes ont bondi de 68% à l’échelle mondiale, quand la France ne présente qu’une augmentation de 32%, avec un flux d’étudiants étrangers porté par les écoles de commerce et d’ingénieurs et les étudiants africains qui représentent 50% des diplômés étrangers.

Aujourd’hui à la sixième place des pays les plus attractifs pour les étudiants étrangers, la France s’est fait doubler ces dernières années par l’Allemagne. Les universités germaniques n’appliquent pourtant pas de frais différenciés. Elles proposent de nombreux programmes en anglais ainsi que des partenariats étroits avec les entreprises. Résultat, l’attractivité reste durable : dix ans après leur diplôme, 45% des ex-étudiants vivent encore en Allemagne.


Étudiants étrangers ou étudiants internationaux ?

Le compte des étudiants internationaux en mobilité n’est pas aisé. Certaines bases de données recensent les étudiants "étrangers", sur la base de leur nationalité. Or, ces étudiants ne sont pas forcément en mobilité. D’autres systèmes comptabilisent les étudiants internationaux, des élèves ayant un lieu de résidence différent du pays d’accueil. Là encore, ce n’est pas synonyme de mobilité. La différence de comptage peut être importante : Campus France recense 400.026 étudiants étrangers en 2021 et 302.863 étudiants internationaux. De même, les études sur les retombées économiques ne présentent que des estimations de revenus. L’étude 2022 de Campus France se base, par exemple, sur un échantillon de 10.000 étudiants étrangers.

Juliette Chaignon | Publié le