L'Union étudiante en tête des élections Crous, signe de la mutation du syndicalisme étudiant

Amélie Petitdemange Publié le
L'Union étudiante en tête des élections Crous, signe de la mutation du syndicalisme étudiant
L'Union étudiante est arrivée devant la Fage aux élections de représentants aux Crous. // ©  Alexandra BONNEFOY/REA
L'Union étudiante a dépassé la Fage en nombre de sièges lors des dernières élections des représentants des Crous en février. Avec la multiplication des listes d'extrême droite et la hausse de la participation, ces élections modifient le paysage du syndicalisme étudiant.

Du 6 au 8 février 2024, les étudiants ont élu leurs représentants au sein des conseils d’administration du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires). L’Union étudiante est arrivée en tête, avec 31,61% des voix, passant ainsi devant la Fage (Fédération des associations générales étudiantes).

La création, en avril 2023, de ce syndicat étudiant, issu de la fusion de l’Alternative et d’une partie de l’Unef (Union nationale des étudiants de France), a ainsi rebattu les cartes de la représentation étudiante.

"L'Union étudiante a un nombre de sièges supérieur dans les Crous, mais ce ne sera pas nécessairement le cas au Cnous (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) et ça ne l'est pas au Cneser (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche), ainsi il est faux de les nommer en tant que première organisation", commente la Fage, alors que l'Union étudiante se revendique première organisation étudiante depuis le scrutin de fin février.

Les représentants fraîchement élus en février votent en effet les 3 et 4 avril pour désigner leurs sept représentants au conseil d'administration du Cnous.

La précarité au cœur des préoccupations des étudiants

Quoiqu'il en soit, ce scrutin marque à plusieurs égards un tournant dans le syndicalisme étudiant. L'émergence d'un nouvel acteur pourrait notamment être le signe d'un changement dans les préoccupations des étudiants.

"Face à une précarité structurelle, les étudiants pourraient chercher plus de radicalité et donc se reporter vers l’Unef et l’Union étudiante", explique Robi Morder, co-président du Groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants (Germe).

Selon le chercheur, les revendications de revenu d’autonomie portées par l’Union étudiante ou l’allocation d’études par l’Unef sont susceptibles de toucher plus simplement et directement les étudiants.

L’Union étudiante a, en effet, présenté 25 listes, dont 19 comportant explicitement "Union étudiante contre la précarité et l’extrême droite". Elle milite pour un revenu d’autonomie, la construction de nouveaux logements Crous, la lutte contre la précarité au quotidien, l'amélioration de la vie étudiante ou encore un meilleur encadrement de l'utilisation de la CVEC (Contribution de vie étudiante et de campus).

"Il y a une précarisation massive, avec des étudiants qui ne mangent pas à leur faim et ne sont pas logés dans des conditions décentes. Ils veulent donc faire entendre leurs voix à ce sujet. Ils sont aussi intéressés par la transition écologique, avec la rénovation thermique des bâtiments universitaires par exemple", Eléonore Schmitt, porte-parole de l'Union étudiante.

L'Unef n'est pas si affaiblie

Pour Hania Hamidi, secrétaire générale de l'Unef, "les idées historiques de l'Unef sont en train de gagner la bataille culturelle". "Nous prônons depuis longtemps la mise en place d'une allocation d'autonomie. Or ces derniers mois, des universitaires ont signé une tribune en ce sens, et des parlementaires se sont saisi de la question", souligne-t-elle.

L'Unef, qui apparaissait comme affaiblie après le départ d'une partie de ses membres vers l'Union étudiante, s'est finalement maintenue. "Elle passe de deuxième à troisième organisation syndicale, mais elle encaisse le choc, et reste tout de même première en Ile-de-France", souligne Robi Morder.

Quant à la Fage, elle aurait souffert d'un manque de visibilité. Leurs listes sont en effet intitulées "Bouge ton Crous" et non Fage. "Certaines associations, en médecine par exemple, considèrent que la Fage a trop évolué vers la gauche sur ses prises de positions sociétales", ajoute Robi Morder.

Une résurgence de l'extrême droite

Ces élections marquent également la résurgence de la Cocarde, classée à l'extrême droite avec des résultats oscillants entre 4 et 8%.

Bien que la Cocarde n'ait pas obtenu de sièges, elle a présenté 13 listes Crous, assurant sa visibilité dans la moitié des Crous. En 2021, seules deux listes avaient été déposées. Ses revendications : la priorité nationale pour l’attribution des bourses et la lutte contre l'immigration.

"On observe une montée de l'extrême droite en France et les universités ne sont pas perméables à la société", explique Hania Hamidi, secrétaire générale de l'UNEF.

"Les universités sont aussi le reflet de la société. Il n'y a donc rien d'étonnant quand on voit le nombre de jeunes qui votent pour l'extrême droite", ajoute Maëlle Nizan, présidente de la Fage. Elle s'inquiète du nombre record de listes déposées, signe d'une extrême droite "dédiabolisée".

Une élection plus politique

Cette mutation de la représentation étudiante pourrait aussi être liée à un changement dans la façon de voir ces élections, qui prennent un tour plus politique. Aux yeux de la présidente de la Fage, "l'Union étudiante est davantage un parti politique de jeunes qu'un syndicat étudiant".

Eléonore Schmitt observe "un milieu étudiant très différent en ce moment". "L’apolitisme régnait, alors que maintenant le vote pour les représentants Crous est devenu très politique. Certaines listes ont, par exemple, mis en avant leur rejet de la politique d'Emmanuel Macron. Des partis nationaux ont par ailleurs appelé à voter lors de ces élections étudiantes", souligne-t-elle.

Le mouvement de jeunesse du parti d’Eric Zemmour avait ainsi annoncé publiquement son soutien à la Cocarde.

Un doublement de la participation

Par ailleurs, bien qu'elle reste modeste, la participation est en hausse par rapport aux années précédentes. Elle s'élève à 8,8%, soit plus du double qu'aux dernières élections, en 2021 (4,1%). Ainsi, bien que l'Unef et la Fage soient derrière l'Union étudiante, toutes les organisations progressent en nombre de voix.

Pour Robi Morder, plusieurs facteurs expliquent cette mobilisation électorale, notamment la précarité des étudiants, une campagne électorale plus importante, une facilité des modalités de vote (organisé en ligne pour la deuxième fois cette année), et la crainte de la montée de l'extrême droite.

Si la participation a quasiment doublé, elle reste tout de même en-deçà de 10%. Peut-on vraiment parler de représentation lorsque plus de neuf étudiants sur dix ne se sont pas prononcés ? "L’abstention ne signifie pas forcément le rejet. Cela peut aussi être l’idée que de toute façon, ils feront le travail, et qu'on ne comprend pas bien les différences, donc pourquoi faire l'effort de voter ?", explique Robi Morder.

Il note, par ailleurs, que le milieu étudiant est "très dispersé", avec des étudiants qui ne sont pas présents tous les jours dans les établissements.

Apprendre à composer avec un nouveau syndicat

Avec ces élections, le syndicalisme étudiant va devoir apprendre à composer avec un nouvel acteur. "On compte travailler avec l'Union étudiante, nous avons des combats communs. Mais ce n'est pas facile. Par exemple, nous avons eu beaucoup de mal à rédiger un communiqué ensemble après la loi immigration. Nous avons une vision commune sur le sujet, mais ils ne nous répondaient pas", affirme la présidente de la Fage, Maëlle Nizan. Un défi qui ne semble pas gagné.

Amélie Petitdemange | Publié le