Précarité étudiante : les présidents d’université tirent le signal d’alarme

Clémentine Rigot Publié le
Précarité étudiante : les présidents d’université tirent le signal d’alarme
Les distributions alimentaires rassemblent de plus en plus d'étudiants. // ©  Thomas VANDENBERGUE/REA
Vécue de plein fouet par les étudiants, la précarité se fait ressentir jusqu’au plus haut niveau administratif des universités. Convaincus que ni le système de bourse actuel, ni les aides d’urgence ne suffisent, plusieurs présidents d’université réclament une allocation étudiante universelle.

"La précarité étudiante a toujours existé, mais le Covid l’a mise en exergue et accentuée, et la période de forte inflation a eu un effet boule de neige", explique Christine Neau-Leduc, présidente de l'université Panthéon-Sorbonne. Comme elle, ils sont 13 présidents et présidentes d’université à avoir signé, à la rentrée, une tribune dans le journal Le Monde, appelant à "la mise en place d’une allocation d’études pour tous les étudiants".

Si cette précarité est ressentie en premier lieu par les étudiants eux-mêmes, elle inquiète les chefs d’établissement, quelle que soit la taille de l’université ou sa localisation. "Ils sont de plus en plus nombreux aux marchés solidaires que nous organisons", observe ainsi Lionel Larré, président de l'université Bordeaux-Montaigne. Collecte de vêtements, banques alimentaires, distribution de produits d’hygiène… Associations et universités œuvrent, main dans la main, pour tenter d’endiguer la précarité galopante.

"Ces dernières années, les montants des aides d’urgence tournaient autour des 300 à 600 euros. En 2023, c’est plutôt entre 1.200 et 1.500 euros qui nous sont demandés par étudiant", souligne Christine Neau-Leduc. Une aide de plus en plus sollicitée pour pouvoir se nourrir et se loger.

Suffisant ? Loin de là. "Toutes ces mesures, c’est très bien, mais c’est de la rustine, ce n’est pas structurant !" alerte quant à lui Michel Deneken, président de l'université de Strasbourg.

Investir dans la jeunesse

"Les loyers sont explosifs dans le secteur privé, insiste-t-il. Nous voyons les queues devant les Crous qui ont doublé en un an, les demandes d'hébergement d'urgence qui ont triplé".

Des difficultés financières qui influent évidemment sur la santé mentale des jeunes. "Nous recevons les étudiants internationaux qui vont mal, les psys nous disent que les étudiants sont en mauvaise santé psychologique", alerte le président alsacien.

"Notre tribune n’est pas une attaque mais une demande de prise de conscience d'un phénomène de société, précise-t-il encore. Nous voyons des jeunes qui ne se soignent pas, qui mangent mal, qui dorment sur des canapés, qui travaillent beaucoup trop".

Au-delà d'être une aide concrète et régulière, le revenu enverrait aussi un message symbolique fort. "Il est important de faire un choix de société d’investissement dans la jeunesse", souligne Lionel Larré.

Et malgré l’entrée en vigueur du premier volet de la réforme des bourses Crous, que tous trois saluent, les effets de seuil demeurent. "Le problème, ce sont les classes moyennes qui n'ont pas droit à la bourse ou qui ont juste droit au premier échelon, ce qui crée un phénomène de paupérisation", avance Michel Deneken.

Le risque, à terme ? Voir des étudiants abandonner leurs études, "parce qu’ils ne peuvent plus tenir et chercher des petits boulots", s’inquiète Lionel Larré.

Accentuer la solidarité envers les étudiants

L'idée d’une allocation étudiante, réclamée par de nombreux syndicats et partis politiques, ne date pas d'hier. Elle se base sur le concept de solidarité. "C’est considérer les étudiants comme des retraités, mais à l’envers : on s'occupe des retraités parce qu’ils ont beaucoup donné au pays pendant longtemps. Il faut donner un statut spécifique aux étudiants parce qu’ils vont contribuer au pays pendant longtemps", vulgarise Lionel Larré.

Des mesures coûteuses, en période de récession, mais qui auraient de très importantes retombées économiques, "puisque les étudiants deviendraient des consommateurs sur leur territoire", précise le président.

"Pendant la crise sanitaire, j’ai été marquée par le comportement des jeunes, qui se sont confinés, restreints, qui ont mis en pause leur vie sociale, le tout sans broncher ! Je suis admirative de leur solidarité", félicite Christine Neau-Leduc. Une solidarité à renvoyer ? "Il faut les soutenir, leur montrer à quel point nous avons conscience qu'ils sont notre richesse d’aujourd’hui et de demain", affirme la cheffe d’établissement.

Un revenu pour une meilleure autonomie

"Pour que des étudiants qui travaillent puissent être assidus, il faut que le volume horaire de leur job leur permette d’être assidu", rappelle Christine Neau-Leduc. Un revenu universel étudiant permettrait ainsi aux jeunes de se consacrer pleinement à leurs études, "sans avoir un job étudiant de 30 ou 35 heures à côté", insiste Lionel Larré.

Un moyen également de prendre leur autonomie vis-à-vis de leurs parents, dont les revenus servent aujourd’hui, dans la quasi-totalité des situations, à fixer les barèmes des bourses sur critères sociaux attribuées. Un système très "familiariste", que pointe du doigt le président girondin. "Ce revenu serait un moyen de faire rentrer les étudiants dans la vie active plus rapidement et contribuer à leur autonomie".

Une hypothèse qui ne fait aucun doute auprès du président strasbourgeois :"si les jeunes obtiennent un Smic via un contrat avec l’État, ils n’auront plus à travailler et ils réussiront mieux", promet-il.

L'importance des particularités territoriales

L'allocation devrait aussi, idéalement, prendre en compte les disparités territoriales, notamment au niveau du logement, un loyer ne coûtant pas le même prix, pour un studio d'une même surface, à Paris, Poitiers ou Nice.

"Il y a une problématique spécifique à l'Ile-de-France et à Paris intra-muros, insiste Christine Neau-Leduc. Le coût de la vie - en particulier, le logement étudiant - est vraiment un sujet fondamental. On souhaite que plus d’étudiants, avec une diversité sociale et géographique, puissent accéder aux universités parisiennes".

Pour l'heure, ni le bureau de France Universités, ni la ministre de l'Enseignement supérieur ne se sont positionnés en faveur d'une telle allocation. Dans un échange informel avec des lycéens, le 19 octobre, il y a quelques jours, Emmanuel Macron a réaffirmé son opposition à un revenu universel étudiant.

Clémentine Rigot | Publié le