Quand les établissements de l'enseignement supérieur investissent le débat public

Charlotte Mauger Publié le
Quand les établissements de l'enseignement supérieur investissent le débat public
Conférences en ligne ou podcasts : le supérieur multiplie les initiatives pour faire entendre sa voix. // ©  CanvasPixelDreams/Adobe Stock
Cycles de conférences, médias en ligne ou podcasts : les grandes écoles et universités multiplient les initiatives pour faire entendre leur voix. L'ambition : éclairer le débat public avec des faits scientifiques, en s'appuyant sur l'expertise de leurs enseignants-chercheurs.

Ces dernières années, les établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche ont multiplié les initiatives pour investir la sphère publique et médiatique. Une tendance qui transcende les traditionnelles frontières entre universités et grandes écoles.

Ainsi, l'université Paris Dauphine-PSL et Aix-Marseille université ont lancé leurs médias en ligne en 2023, Skema Business School a créé son think tank en 2022, Sciences po Paris veut plus que jamais rendre accessibles ses grandes conférences sur des sujets d'actualité…

Si les exemples sont multiples, il n'est pas aisé de dater ce phénomène. "Il y a toujours eu une ambition de diffuser", note Anthony Briant, directeur de l'École des Ponts ParisTech, qui organise des rencontres et conférences (comme la Matinale des Ponts) et qui a créé plusieurs médias (comme Ingenius et Transition).

Néanmoins, l'accélération du déploiement de la prise de parole des grandes écoles et universités dans le débat public est à lier avec l'actualité, notamment scientifique omniprésente, aujourd'hui.

"Il y a une demande plus forte des médias et des organisateurs de conférences de renforcer la parole scientifique, notamment sur les phénomènes climatiques et écologiques. Les écoles d'ingénieurs sont bien placées pour s'exprimer sur ces sujets", expose Emmanuel Duflos, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI).

"Donner des clefs pour éclairer le débat"

Pourtant, "ce sont rarement les écoles qui prennent la parole en France face aux grands enjeux sociétaux", s'est aperçu Alice Guilhon, directrice générale de Skema et présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (CDEFM). De ce constat, est née l'ambition de son établissement d'être un acteur "engagé". Ainsi ont été créés un média en ligne (Think Forward) et un think thank (Skema Publika).

Les établissements de l'enseignement supérieur cherchent à apporter la parole de leurs scientifiques dans le débat public. Car d'une part, les écoles et universités sont créatrices de connaissances, mais de l'autre, les publications scientifiques, relues et validées par les pairs, ne sont pas suffisamment accessibles à la lecture pour le grand public.

"Nous souhaitons donner des clefs assez simples, s'appuyant sur des bases scientifiques, pour avoir un avis éclairé sur des débats sociétaux", explique Alice Guilhon.

Même constat pour Kees Van der Beek, vice-président recherche de l'Institut Polytechnique, puisque son école d'ingénieurs a lancé son média Polytechnique Insights. "Il est crucial pour les grandes écoles d'éclairer le débat public avec leurs résultats de recherche. Cela est fait insuffisamment. Pourtant, il est important que le public soit bien informé sur les dossiers majeurs."

Lutter contre la crise de confiance en la science

Cela fait écho à la volonté affichée par le président de la République, le 7 décembre. Parmi les annonces d'Emmanuel Macron concernant sa vision pour la recherche, celle d'"enraciner nos débats publics sur des faits", en s'appuyant sur la recherche scientifique.

"La connaissance créée dans nos écoles est largement validée. Le chercheur qui porte cette parole n'est à aucun moment dans une position de distordre l'information. Le président a dû le comprendre", apprécie Alice Guilhon.

Alors que la science subit une crise de confiance, porter cette parole scientifique est également un moyen pour les établissements de rappeler ce qu'est la méthode scientifique. "Infuse [le média créé par l'université d'Aix-Marseille, ndlr] se veut être un lieu de rendez-vous pour mettre en avant la vie scientifique et la recherche en train de se faire", explique Fanny Trifilieff, chargée de communication scientifique à l'Université d'Aix-Marseille et rédactrice principale.

Pour cela, les écoles ne souhaitent prendre la parole que sur les thématiques de recherche de ses enseignants-chercheurs. "Nous n'oublions pas que nous sommes adossés à une école. Nous avons des choses à dire sur certains points, mais nous n'irons pas là où nous attend pas", insiste Alice Guilhon.

Apporter de la visibilité aux établissements du supérieur

Il s'agit également pour les établissements du supérieur d'apporter de la visibilité à leurs établissements.

"Ingenius est un objet promotionnel de la recherche à l'École des Ponts ParisTech", indique Anthony Briant. Surtout quand les grands établissements à l'international ont leurs propres canaux depuis plus longtemps. Citant la MIT Technology Review, Kees Van der Beek, insiste sur le fait que "ce sont des vecteurs de notoriété importants dans la société et parmi les décideurs".

De cela, peuvent découler des partenariats avec des entreprises. "Avec Skema Think Forward, des entreprises viennent nous voir pour travailler avec nous", explique Alice Guilhon. "Les Matinales des Ponts sont une occasion de faire dialoguer des chercheurs et des professionnels du secteur", assure de son côté Anthony Briant.

Les ambitions peuvent être plus larges. "La France a besoin de beaucoup plus d'ingénieurs. Les écoles doivent mieux montrer ce que sont les métiers d'ingénieurs", estime Emmanuel Duflos.

"Ne pas séparer le scientifique du citoyen"

Ces projets de diffusion sont souvent conduits par les enseignants-chercheurs, s'appuyant éventuellement sur des services pour vulgariser leurs recherches. Si cela s'ajoute à leur travail, cette tâche semble appréciée.

"Je pense qu'au moins 60% des professeurs jouent le jeu. Et ils ont un intérêt à le faire car leurs travaux servent et ne sont pas lus seulement par la communauté scientifique", expose Alice Guilhon.

Surtout que la diffusion fait partie bien souvent de leur mission. "Et je pense qu'on ne peut pas séparer le scientifique du citoyen, ce sont les différentes facettes d'une même personne. Si un citoyen est éclairé par la science - comme c'est le cas des enseignants-chercheurs - c'est sa mission de la diffuser", penche Emmanuel Duflos.

Pour ce qui est de l'impact de ces initiatives, il n'est pas aisé de le mesurer. Mais quelques indices à l'avenir pourront le révéler : un regain d'intérêt pour les filières ingénieurs ou peut-être une amélioration de la confiance dans la science…

Charlotte Mauger | Publié le