Un rapport pointe la difficulté de concilier le développement de l'apprentissage aux deux extrémités de l'échelle

Étienne Gless Publié le
Un rapport inter-inspections pointe les freins non financiers (psychologiques, juridiques, organisationnels...) au développement de l'apprentissage. Et préconise, pour développer les études et formations en alternance, de privilégier la logique de "parcours" sur celle de "structure".

Croisant des enjeux de politique éducative et de politique de l’emploi, l’apprentissage est un sujet transversal qui méritait bien un rapport inter-inspections. L'IGEN (Inspection générale de l'éducation nationale), l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche), l'IGA (Inspection générale de l'administration) et l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) ont ainsi été chargées à l’automne 2013 d’analyser les freins – "autres que financiers" – qui entravent son développement.

Dans son rapport rendu public mi-mars 2014, la mission recense un déficit persistant d'image dans les représentations que s'en font de nombreuses familles, les jeunes, ainsi que certains acteurs de l'éducation, mais aussi une méfiance réciproque entre jeunes et employeurs, ou encore des obstacles juridiques et la méconnaissance de cette voie de formation.

Le risque d'un apprentissage à deux vitesses

Au passage, la mission ne manque pas de pointer certaines contradictions. "Le discours politique qui, aujourd’hui, porte l’apprentissage a du mal à concilier sa bicéphalité", note le rapport. L’apprentissage joue en effet deux fonctions : voie de qualification pour les jeunes qui en sont dépourvus et voie de professionnalisation dans l’enseignement supérieur pour ceux – déjà diplômés – qui souhaitent accélérer et sécuriser leur entrée dans le monde du travail.

"Du coup, l'apprentissage est aujourd'hui en tension", constatent les auteurs du rapport : "D'une part, la nécessité de répondre à une hausse globale des besoins en compétences et en qualifications des entreprises ainsi qu'aux attentes de l'université et des étudiants du supérieur qui voient dans l'apprentissage – outre un rapprochement opportun avec le monde de l'entreprise et donc un accès plus rapide à l'emploi – un moyen de financer le coût de leurs études. Et d'autre part, le maintien d'un apprentissage largement ouvert sur les emplois de premier niveau afin de garantir une voie de qualification pour des publics en échec dans le système scolaire."

Les déclarations publiques récentes témoignent bien de cette difficulté de conjuguer ces deux impératifs en période budgétaire contrainte. Un exemple ? Les  derniers chiffres montrent un plus fort dynamisme des contrats d’apprentissage au niveau supérieur tandis que leur nombre baisse dans le secondaire. Aussitôt, Michel Sapin s’inquiète d'un apprentissage à double vitesse. Devant la conférence des présidents d’université, l’ancien ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social s’est alarmé, fin 2013, de l’évolution de l’apprentissage sur les niveaux supérieurs. Et a souhaité "un développement équilibré portant sur l’ensemble des niveaux de qualification". Lors de la discussion de la loi de finances 2014 à l’Assemblée nationale, le député Gérard Cherpion a proposé une sanctuarisation des crédits pour les seuls premiers niveaux de qualification du programme FNDMA (Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage). Peur de voir Pierre déshabillé pour habiller Paul ?

De son côté, Geneviève Fioraso s'est empressée de défendre le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.
En installant le comité national Sup’Emploi en décembre 2013, l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a fait remarquer qu’il s’agissait là "d’engagements répétés du président de la République". L’objectif affiché est toujours de doubler le nombre d’alternants dans l’enseignement supérieur d’ici à 2020, soit 300.000 étudiants apprentis, ou 1 étudiant sur 6.

Instance de réflexion stratégique et d’aide à la décision politique, Sup'Emploi rendra d’ailleurs ce printemps ses travaux sur les moyens de développer l’alternance dans l’enseignement supérieur, qui ne concerne actuellement que 7% des étudiants : 113.400 étudiants apprentis en 2011 et 50.000 étudiants en contrat de professionnalisation. Si la loi du 22 juillet 2013 reconnaît pour la première fois l'alternance comme une voie de formation à part entière dans l'enseignement supérieur, reste à déterminer les conditions de son développement : analyse des forces et faiblesses, tant au niveau des entreprises (notamment des PME) que des établissements d'enseignement supérieur, évaluation de la demande (secteurs prioritaires), financement de cette politique...

Conforter la logique de "parcours" sur celle de "structure"

Pour promouvoir davantage l’alternance dans les études et les formations en France, la mission fait toute une série de recommandations en direction du système éducatif pour mieux le valoriser et mieux l'intégrer au processus d'orientation. Entre autres pistes suggérées : "Conforter la logique de 'parcours' par rapport à celle de 'structure' y compris au niveau de l’enseignement supérieur" (10e recommandation). Pour les auteurs du rapport, il s’agit de développer les parcours combinant statut scolaire et apprentissage ainsi que la mise en place de passerelles entre les différentes voies de formation, ou encore d’encourager la "mixité des publics" en regroupant dans une même formation des jeunes de statut différent.

Le rapport invite également à pousser la logique de réseaux d’établissements "dans un partenariat gagnant-gagnant avec les CFA de branche". La mission préconise enfin que "les poursuites d’études soient facilitées pour les apprentis par la conclusion de partenariats entre établissements de formation (CFA/UFA, universités…) dans le cadre de la construction de l’offre régionale de formation".

En direction des entreprises, le rapport plaide pour une plus forte utilisation de l'apprentissage comme outil de formation et de recrutement.

Étienne Gless | Publié le