La Réunion est la première région d'Outre-mer en termes de population, avec 856.850 habitants mais aussi la première en nombre d'étudiants, avec 24.970 inscrits, à la rentrée 2020.
Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion, fait le point, pour EducPros, sur ses priorités pour l'enseignement supérieur et la recherche (ESR).
Quelle importance donnez-vous à l'enseignement supérieur dans vos politiques ? Quel est son poids dans votre budget ?
Pour moi, l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation sont ce socle fondamental d'une société nécessaire pour accroître l'agilité individuelle et collective, créer de la valeur économique et réussir les transitions sociétales d'un territoire afin de contribuer au progrès social.
La collectivité régionale prend activement part dans le développement de l'ESR. En 2021, j'ai entrepris la création de deux directions pour porter la stratégie régionale de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation (SRESRI) : l'une dédiée à l'enseignement supérieur et de la vie étudiante et l'autre, pour la recherche et de l'innovation.
Chaque année, la Région soutient l'enseignement supérieur pour près de 23 millions d'euros et de plus de 15 millions d'euros pour la recherche.
Il y a 30 ans, il s'agissait d'installer, de manière urgente, des établissements d'enseignement supérieur pour faire face à l'accroissement démographique. La Région a largement contribué à l'édification des sites universitaires, à Saint-Denis, au Tampon, à Saint-Pierre, au Port.
Nous réfléchissons désormais à l'Est qui ne dispose pas encore de site universitaire d'envergure.
Quels sont les enjeux et les problématiques propres à votre territoire dans le domaine de l'enseignement supérieur ?
Avec 41.000 jeunes de 15 à 29 ans ni en emploi, ni en étude, ni en formation, force est de constater que la démocratisation de l'enseignement supérieur n'est pas encore aboutie. En premier lieu, les inégalités sociales et culturelles sont à l'origine de cette désillusion.
Ici, à La Réunion, beaucoup de bacheliers sont mal préparés à suivre un cursus d'enseignement supérieur. De plus, la première année universitaire apparaît souvent comme un parcours de sélection.
Nous devons travailler aux conditions d'accueil de l'étudiant, à son suivi pédagogique, lui faire comprendre le sens des études tout en étant exigeant à son égard, pour s'assurer son inclusion dans le monde du travail.
Côté recherche, la Région a défini sa stratégie autour de trois domaines : l'adaptation des îles aux changements globaux, les transformations écologiques des systèmes insulaires ainsi que "l'empouvoirement" des populations indianocéaniques.
Quel est le projet le plus ambitieux que porte votre région pour l'enseignement supérieur et la recherche ?
L'objectif est d'élever le niveau de qualification et la réussite des jeunes Réunionnais afin d'atteindre plus de 50% d'une classe d'âge diplômés de l'enseignement supérieur. La région porte plusieurs projets ambitieux :
l'édification d'un pôle technologique régional d'appui aux entreprises et de recherche "Énergies Renouvelables locales" et "Bâti tropical";
la reconstruction d'infrastructures pour l'École nationale supérieure d'architecture (Ensa), l'Institut régional du travail social (IRTS) et pour l'Institut de l'image de l'océan Indien (ILOI) ;
la préfiguration d'un campus EST d'enseignement supérieur innovant ;
le renforcement des classes prépas incluant des parcours adaptés aux bacs technologiques et aux techniciens supérieurs ;
la mise en place de conventions cadre, associées à des contrat pluriannuels d'objectifs, de moyens et de performance avec les opérateurs de l'ESR.
Deux schémas, le Sresri et le Schéma régional de la vie étudiante constitueront la "colonne vertébrale" du développement de l'ESR de La Réunion. Ce Schéma régional de la vie étudiante constitue la priorité. Pour l'étudiant, être à 15 minutes de son campus est la condition première de sa réussite.
Quels dispositifs ou aides financières mettez-vous en place pour les établissements du supérieur ?
Les dispositifs financiers, dans lesquels l'Europe représente une part conséquente, sont orientés vers trois axes, dont le premier est le développement des cursus et les projets d'infrastructures et de campus.
Ensuite, nous accompagnons la jeunesse, notamment par l'attribution de bourses, dont des bourses doctorales. Nous aidons aussi les étudiants réunionnais en mobilité. Sur deux ans, près de 12.000 étudiants ont bénéficié d'une aide régionale pour un montant de plus de 22 millions d'euros.
Enfin, nous soutenons les établissements. Je voudrais mentionner le soutien financier important apporté à l'École de gestion et de commerce, à l'École d'ingénieurs de l'océan Indien, à l'École supérieure d'art, à l'Ensa, à l'Iloi, à l'IRTS et à l'université de La Réunion... Cela représente plusieurs millions d'euros chaque année.
Par ailleurs, je suis fière d'avoir contribué à la structuration complète des cycles d'études médicales dans notre département.
Enfin, La Réunion veut amplifier son accompagnement de toutes les autres filières d'excellence. Ainsi, le marketing territorial de nos établissements d'enseignement supérieur devient une priorité.
Les établissements de l'enseignement supérieur représentent-ils, pour votre région, un outil d'aménagement du territoire ?
Les établissements supérieurs peuvent représenter un outil d'aménagement mais il nous a fallu près de 70 ans pour rattraper un certain retard de développement sur l'Hexagone.
Les campus du Moufia, de Terre Sainte, du Tampon, les campus de l'IRTS, le campus de l'Oasis "Paul Vergès" (École d'art, École d'architecture et Iloi) , les campus des CPGE à Saint-Denis et au Tampon, souffrent de manque de logements étudiants et de coordination territoriale.
Le développement territorial n'est pas optimal et manque d'efficacité pour la vie étudiante. Il nous faut penser l'organisation et la connexion des campus. Des campus modernes, durables et autonomes constitueraient un outil de rayonnement et d'aménagement du territoire.
Aujourd'hui, c'est à l'Ouest et à l'Est que nous voulons coordonner la mise en œuvre de campus territoriaux innovants, avec, dans les deux cas, deux zones à structurer.
Quelles sont les retombées économiques des acteurs du supérieur et de la recherche pour les villes et les territoires ?
La Réunion manque d'études qui indiqueraient l'impact territorial des investissements dans l'ESR. C'est un vrai sujet.
Nous devrons procéder par étape. Les villes universitaires doivent se doter à court ou moyen terme de schémas locaux d'enseignement supérieur axés sur le logement étudiant et le transport. Elles doivent s'emparer de problématiques telles que la politique immobilière, la mise en place de bus et de co-voiturage, les pistes cyclables ou la réhabilitation des bâtiments.
Il y a également la question de faire vivre les établissements pendant les vacances en y programmant des universités d'été, des séminaires, des projets expérimentaux, des certifications ou des ateliers de professionnalisation.
Enfin, je veux que le monde du travail soit replacé au cœur du système de l'ESR. Les étudiants ont grand besoin d'un plan régional de l'emploi qui leur permettrait de bénéficier d'accords entre les établissements et les entreprises, pour proposer aux étudiants un travail compatible avec leurs études. Avoir un pied à l'université et un pied en entreprise est gage de réussir son autonomie. C'est le but premier du service public de l'enseignement supérieur.
Notre série : les enjeux de l'enseignement supérieur dans les territoires, vus par les présidents de région
Pour comprendre les enjeux de chaque territoire, EducPros vous propose une série d'interviews des présidents de région.
À tous, nous avons posé les mêmes questions, pour saisir les spécificités de leur région, et permettre également de comparer les situations.
L'entretien d'Huguette Bello est le huitième notre dossier. Vous pouvez également consulter les interviews de :