"Heureusement que le confinement nous est tombé dessus en mars, car nous connaissions déjà nos élèves, et ils avaient intégré nos méthodes de travail. Mais ne pas les avoir en face de soi, c’est très frustrant, et épuisant". Simon Billouet est professeur en classe prépa MPSI en région Rhône-Alpes. Comme lui, tous les enseignants du pays ont dû repenser leur façon d’enseigner pour répondre au défi du confinement. Avec des hauts et des bas.
Au fil des jours, le professeur de mathématiques a fini par trouver "sa" méthode : "J’envoie mes notes de cours à l’avance, et je les commente en audio pour les élèves, à la façon de la classe inversée. Ils peuvent poser des questions par messagerie instantanée, cinq à dix d’entre eux le font à chaque cours. En TD nous corrigeons ensemble des exercices faits par des élèves sur la base du volontariat, c’est efficace car tous font les mêmes erreurs. Problème : je vois qui est connecté à l’heure dite, mais je ne sais pas ce que font les élèves qui ne participent pas. Je dois leur faire confiance".
Varier les supports
Maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Lille, Matthieu de Oliveira pointe les même difficultés que son collègue : "Tour à tour, mes étudiants font une présentation visuelle de leurs travaux, que je partage avec tous, par Moodle, pour que nous puissions échanger. C’est intéressant mais en temps normal mon cours repose beaucoup sur les interactions entre étudiants, difficiles à distance".
"C’est effectivement compliqué de ne pas pouvoir s’appuyer sur la synergie qui se crée dans un cours en présentiel" témoigne Joëlle Alazard, professeur d’histoire en classe prépa au lycée Faidherbe de Lille.
C'est compliqué de ne pas pouvoir s'appuyer sur la synergie qui se crée dans un cours. (J. Alazard)
Pour ses premiers cours en ligne l’enseignante avait choisi de se jeter à l’eau avec un outil que ses élèves maîtrisent mieux qu’elle, Discord : "Et franchement, ça se passait bien, car beaucoup de choses passent par la voix, même le sourire. Mais ensuite on nous a demandé de passer sur l’outil de visioconférence Teams de Microsoft. J’ai senti que certains élèves étaient dérangés par la caméra, quand d’autres se révélaient avec cette façon de travailler. Chacun a dû s’adapter. Alors, certes, on bricole, mais je crois qu’on bricole bien."
Jean-François Detout, directeur d’un MS en marketing chez Skema Business School, et fin connaisseur de la pédagogie en ligne, souligne l’importance d’être souple pendant les cours filmés en direct : "Ne pas parler plus de 15 minutes, et quand un étudiant intervient, ne pas l’interrompre, puis rebondir sur ses propos, ce qui suppose de ne pas avoir d’emploi du temps trop figé".
Pour maintenir l’intérêt parfois papillonnant des élèves, Jean-François Detout conseille également de varier les formats de cours : "Vidéo à commenter, quizz, sondages, jeux avec classement, il ne faut pas avoir peur d’utiliser tous ces outils. La condition de la réussite étant de bien avoir préparé chaque intervention en amont, pour ne pas avoir à improviser devant les étudiants".
Créer des rendez-vous avec ses élèves
La pédagogie à distance imposerait donc de varier les supports. Mais aussi d’accepter de s’exposer davantage, comme le constate Agnès Curel, maître de conférences en littérature à Lyon 3. Cette spécialiste du théâtre note que la relation avec ses étudiants a changé depuis le début du confinement : "Maintenant ils savent que je travaille au milieu de mon salon parce que je n’ai pas de bureau, c’est pourquoi ils entendent parfois la machine à laver, la voisine, ou les cris de ma petite fille; de leur côté ils m’ont raconté leurs conditions de confinement, chez leurs parents, ou seuls dans un studio. Cela crée des liens différents entre nous, et finalement peut-être que ça les motive davantage à être présent à chaque cours ?"
De fait, certains étudiants se retrouvent très seuls dans une ambiance de fin du monde, sans savoir combien de temps va durer cet isolement. "Un ton optimiste et joyeux est donc essentiel pour leur donner envie de revenir au prochain cours, assure Jean-François Detout. De même il faut les mobiliser en amont, leur rappeler par mail qu’on va les retrouver à telle date, telle heure, sur tel support. C’est une mise en condition importante".
Le formateur en marketing digital encourage enfin les enseignants à ne pas se formaliser si les étudiants n'interviennent pas beaucoup pendant les cours à distance : "Certains préféreront poser leurs questions plus tard, par mail ou plus sûrement par des messageries instantanée comme WhatsApp. Alors le message du professeur se retrouvera entre les groupes d’amis et les message des grands-parents, et c’est une bonne chose : comme en marketing, quand on est dans le téléphone et donc dans la poche du 'client', on entre dans sa vie, et c’est gagné !".