Les écoles d’art, terres d’exil pour étudiants, chercheurs et enseignants réfugiés

Pauline Bluteau Publié le
Les écoles d’art, terres d’exil pour étudiants, chercheurs et enseignants réfugiés
Un programme d'accueil d'artistes en exil a été mis en place par des écoles d'art. // ©  DEEPOL by plainpicture/Arno Images
Avec la prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan en août dernier, la crise des réfugiés reste au cœur de l’actualité. Focus sur les écoles supérieures d’art et de design pour lesquelles la politique d’accueil des migrants relève tout simplement d’une "tradition d’hospitalité".

En ce début d’année scolaire, dix artistes préparent leur rentrée. Leur point commun : ils ont tous fui leur pays et se retrouvent exilés en France avec l’opportunité de vivre de leur passion. Grâce à leur statut d’artiste-invité, ils vont pouvoir intégrer l’une des neuf écoles supérieures d’art et de design du réseau Andéa (Association nationale des écoles supérieures d’art) participant au projet. Une première pour la majorité d’entre elles mais qui s’avère être le reflet d’une politique d’accueil bien plus ancienne.

Mieux considérer cet "international de voisinage"

Tout a commencé en 2018 avec la collaboration de l’Andéa et de L’atelier des artistes en exil. "L’objectif était d’accompagner les artistes arrivant en France, raconte Stéphane Sauzedde, porteur du projet et directeur de l’école supérieure d’art d’Annecy-Alpes. Nous nous sommes demandé comment nous pouvions aider au niveau national, en se servant de notre maillage territorial."

Avec l’atelier des artistes en exil - devenu membre associé -, l’Andéa, et ses 44 écoles d’art, se rapproche alors du programme PAUSE (Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil) porté par le Collège de France et jusque-là impliqué dans l’accueil des scientifiques. "Les artistes ont les mêmes problématiques - administratives, professionnelles, etc. - que les scientifiques. Or, beaucoup de nos écoles avaient déjà une tradition d’hospitalité, souvent liées à des projets artistiques engagés, souvent aussi avec des partenaires locaux. Il y avait donc un terreau commun, mais avec différents formats, et des activités non concertées nationalement", poursuit le directeur.

Un premier test est donc mené à l’école d’Annecy avec l’accueil de deux artistes. Fortes de cette expérience, huit autres écoles d’art ont répondu favorablement à l’appel à projets du programme PAUSE cette année. Aussi, dès la rentrée 2021, dix artistes plasticiens, photographes, interprètes, designers, cinéastes, dramaturges, scénographes et musiciens venant d’horizons différents vont bénéficier de ce dispositif.

"Nous parlons beaucoup des relations internationales, mais nous oublions parfois que nous avons déjà des 'bouts du monde’ autour de nous. Il faut davantage prendre en compte cet international de voisinage, parce que cela nous aide à 'faire société', et parce que pour les écoles et leurs étudiants, c'est un transformateur aussi puissant que de voyager ! La multiplicité des cultures, la variété infinie des vécus, les histoires politiques entremêlées… Tout cela devient plus réel", plaide Stéphane Sauzedde.

À la fois artistes, étudiants, chercheurs et professeurs

Dès le mois d’octobre, l’Institut supérieur des arts et design de Toulouse accueillera donc Abdul Saboor, un photographe afghan de 29 ans. "Il a eu un périple assez dur dans les Balkans où il a commencé à faire des photos et à documenter son parcours, il s’est forgé une activité de créateur d’images", détaille Jérôme Delormas, directeur de l’école qui admet ne pas le "connaître très bien" pour le moment.

Pendant ses neuf mois à l’IsdaT, l’artiste sera rémunéré comme un enseignant, bénéficiera d’une aide au logement et à l’achat de matériel, de cours de français… En plus de travailler sur ses créations, Abdul Saboor donnera aussi des cours aux étudiants. "Nous avons une option design où nous travaillons sur la question de la guerre, des réfugiés et de la migration", précise le directeur.

Un échange de bons procédés pour l’école comme pour l’artiste avec pour priorité, l’insertion professionnelle. "Ils doivent s’impliquer dans l’école et cela peut être dans l’enseignement, dans l'activité de recherche ou encore en travaillant à la diffusion de leurs œuvres et de leurs pratiques... Et à vrai dire, la plupart du temps les trois se mélangent, et cela permet une très efficace re-professionnalisation", souligne Stéphane Sauzedde.

Ils doivent s’impliquer dans l’école et cela peut être dans l’enseignement, dans l'activité de recherche ou encore en travaillant à la diffusion de leurs œuvres et de leurs pratiques... (S. Sauzedde)

L’école supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée, de son côté, accueillera une jeune DJ tunisienne, Aida Salander, à partir de mars prochain. "Ce projet, c’est une rencontre, explique Anaïs Déléage, responsable de la stratégie internationale aux Beaux-Arts de Marseille. Nous en sommes aux prémices : nous allons voir ce qui a du sens avec les étudiants, comment implanter ce projet au niveau local, tout cela en fonction des envies de l’artiste."

En attendant, Aida Salander fera sa rentrée à l’école supérieure d’art et de design Grenoble-Valence. Son programme est déjà bien rempli. "Nous mettrons les moyens techniques et humains à sa disposition pour ses projets. Elle va travailler sur les rapports qu'entretiennent la musique électronique et la nature, tout en poursuivant une réflexion sur les soirées ‘safe et inclusive’ ou comment célébrer les différences car nous savons qu’elle est aussi militante...", anticipe déjà l’école marseillaise.

L’art, une histoire d’exil

Pour les écoles, accueillir ces artistes représente un réel investissement. "Nous devons vraiment faire attention, prendre soin de ces personnes et éviter leur isolement, ce n’est pas aussi simple qu’une mobilité Erasmus", estime le directeur de l’école d’Annecy. L’école d’art marseillaise souligne d'ailleurs la pertinence du dispositif PAUSE qui permet de mener ce projet dans de bonnes conditions. "C’est une chance pour nos étudiants qui vont découvrir d’autres pratiques artistiques. C'est un enrichissement réciproque et nous avons hâte de co-construire ce projet ensemble", assure Anaïs Déléage.

À l’IsdaT, toute l’équipe pédagogique semble soutenir le projet : "Nous sommes une école qui essaie de s’engager, le programme PAUSE nous le permet. Toute l’équipe attend de rencontrer Adbul Saboor, nous avons très envie d’apprendre à le connaître." Le directeur envisage déjà de "multiplier cette expérience" et même d’être "plus ambitieux" sur ces mobilités.

Des valeurs qui ont, quoi qu’il arrive, du sens au sein des écoles d’art, comme une sorte "d’évidence". "Il faudrait sortir des peurs et des fantasmes en matière d'immigration et assumer à nouveau une politique d'hospitalité et d'accueil, cela en vaut vraiment la peine, poursuit Stéphane Sauzedde. Après tout, l'histoire de l’art est exemplaire : Kandinski le Russe, Picasso l'Espagnol, Giacometti le Suisse des Grisons, Brancusi le Roumain, etc. Tous ont été accueillis en France après des histoires plus ou moins douloureuses d’exil. Il n'y a aucune raison de ne pas être fidèle à cette histoire-là."


Un financement de 500.000 euros supplémentaires pour le programme PAUSE

Initié en 2017, le programme PAUSE a d'abord été créé pour accompagner les scientifiques en exil. Les artistes ont ensuite été intégrés. En tout, 276 exilés ont ainsi pu bénéficier du dispositif au sein des établissements de l'enseignement supérieur.
A l'occasion de la signature d'une nouvelle convention avec le Collège de France, Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur, a annoncé "l'octroi d’un financement supplémentaire de 500.000 euros au programme PAUSE venant s’ajouter à sa dotation annuelle de deux millions d’euros" pour les cinq années à venir.

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