Eloïc Peyrache (HEC) : "Nous voulons avoir un impact sur la transformation du monde de l'entreprise et de la société"

Agnès Millet Publié le
Eloïc Peyrache (HEC) : "Nous voulons avoir un impact sur la transformation du monde de l'entreprise et de la société"
Eloic Peyrache, directeur d'HEC depuis janvier 2021, fait le point avec EducPros. // ©  HEC PARIS
Directeur par intérim puis directeur général d'HEC, nommé en janvier 2021, Eloïc Peyrache porte différentes ambitions pour l'école de commerce. Missions de l'institution, égalité des chances, évolution et accès au PGE, positionnement sur les grandes transitions mondiales et un nouveau campus pour HEC : il fait le point sur les enjeux de son mandat.

Plus d'un an après votre nomination, quel est votre regard sur votre prise de fonction ?

J'ai pris mes fonctions en pleine crise sanitaire. Ce contexte a le mérite de vous rendre opérationnel très rapidement, car il y a beaucoup de décisions concrètes à prendre. Surtout, lorsque tout le monde est en télétravail, il y a la question du lien !

ELOIC PEYRACHE HEC
ELOIC PEYRACHE HEC © HEC PARIS

Il faut engager tout le monde dans l'institution, en portant un projet collectif. En mars 2021, nous avons lancé un projet de six mois qui a mobilisé 3.000 personnes, notamment les alumni, pour redéfinir notre raison d'être et nos valeurs. Et nous avons défini trois missions : think, teach, act [penser, enseigner, agir].

Comment se déclinent ces trois missions pour HEC ?

"Think" est l'incarnation de notre corps professoral, qui produit de la connaissance. Nous voulons la diffuser plus largement hors du monde académique et dans les médias (Financial Times ou The Economist). Nous voulons la rendre accessible pour renforcer notre impact sur la prise de décision publique et privée. Cela passera aussi par la mobilisation de nos professeurs vers la formation continue pour nourrir les réflexions des décideurs d'entreprise.

"Teach" concentre, bien sûr, notre mission auprès de nos élèves et l'impact que l'on peut avoir sur eux. Depuis 2021, nous avançons dans notre révision du programme grande école, en reprenant le contenu et l'articulation des cours.

À la rentrée 2021, nous avons introduit un cours obligatoire sur les limites planétaires (développement durable, climat, inégalités) pour les élèves de première année. En 2023, nous intégrerons les enjeux de data science et d'IA, de transitions écologique et sociale et d'innovation.

Comment se joue votre troisième rôle, celui de l'action ?

En tant qu'institution, nous pouvons avoir un impact sur des sujets comme les inégalités sociales ou l'entrepreneuriat. On agit beaucoup pour faire de Paris la capitale européenne de l'entrepreneuriat. Cette année, nous accompagnerons près de 250 start-up, dont 80 sont hébergées dans notre incubateur de la Station F. Avec la pandémie, nous savons aussi accompagner ces structures à distance, pour être aux côtés d'entrepreneurs marocains ou coréens.

De plus, HEC gère l'accélérateur ESS (entreprises sociales et solidaires) d'Ile-de-France et ses 24 entreprises de l'économie sociale et solidaire. La question est de savoir comment les faire grandir, sans qu'elles ne perdent leur étoile polaire, qui en font des entreprises de l'ESS.

HEC a été partie prenante des réflexions du gouvernement sur l'égalité des chances. Quels sont vos axes concrets sur ce volet ?

Au-delà de l'évolution du concours, qui accorde un point de bonification aux candidats "carrés" et aux "cubes" boursiers, nous avons lancé, il y a quelques semaines, "HEC Imagine Fellows", un programme de bourses pour des étudiants issus de pays en conflit (Afghanistan, Ukraine, Yémen, …). Nous travaillons avec les associations et le ministère des Affaires étrangères.

Nous allons aussi déployer le programme "Business and peace" à partir de la rentrée 2022. Il a pour objectif d'étudier comment le secteur privé peut contribuer à maintenir la paix et la stabilité dans les zones de conflit. Car nous pensons que les entreprises sont et doivent être aussi au cœur de la solution, sur les questions de transition écologique, d'inégalités, de paix sociale… Nos étudiants puiseront des électifs dans ces thématiques.

Collectivement, nous voulons avoir un impact sur la transformation du monde de l'entreprise et de la société. C'est un sujet structurant.

Irez-vous plus loin dans la réforme du concours d'entrée à HEC ?

Déjà, nous avons décidé que les sujets devaient être plus accessibles et clarifiés. Cela peut se faire sans grande réforme. Par exemple, un thème de débat en triptyque peut être explicité, pour permettre à chacun de comprendre l'énoncé, tout en conservant l'exigence de l'exercice.

Nous menons aussi des réflexions sur le concours. Nous pouvons peut-être mettre plus de diversité disciplinaire dans la classe préparatoire en regardant la place de l'informatique, des sciences de la terre… Il n'y a pas de raisons qu'on ne puisse pas traiter d'autres disciplines. La réforme du bac était intéressante et nous voulons voir comment nous pouvons nous y inscrire.

Avez-vous des projets pour un programme post-bac ?

Ce sont des sujets que l'on regarde. Mais si l'on vise à former des diplômés qui assumeront des responsabilités importantes, il me semble que c'est un non-sens que de donner des cours de business à des jeunes de 18 ans.

Nous sommes très attachés à la qualité de ce qui est fait en prépa. Nos étudiants doivent s'appuyer sur des disciplines diverses, qui structurent, – en mathématiques, en philosophie, en géopolitique, en histoire –, pour qu'on puisse leur apporter ensuite la colonne vertébrale d'une connaissance business forte.

Nous sommes très attachés à la qualité de ce qui est fait en prépa.

Ce sont ces éléments qui leur permettront d'avoir du leadership, de faire bouger les choses et de trouver des solutions innovantes. Ouvrir un bachelor HEC pour un public français n'aurait pas de sens. Si Polytechnique a ouvert son bachelor, c'était aussi dans un souci d'internationaliser le cursus ingénieur. Dans notre cas, nous avons déjà de bons recrutements de ce côté-là.

Des acteurs du continuum prépa éco-écoles de commerce expriment une inquiétude sur l'avenir des CPGE, notamment celles de proximité. Qu'en pensez-vous ?

En dix ans, HEC a enregistré une hausse de 60% des candidatures. Certes, nous pouvons voir qu'il y peut y avoir une baisse générale. Nous sommes attentifs. Je suis très attaché à la diversité du territoire. À HEC, 50% des étudiants ont décroché leur bac en dehors d'Ile-de-France et 50% en Ile-de-France.

Le cycle classe prépa a besoin de rayonner sur l'ensemble du territoire. Sinon, ce sera un problème. Il faut voir comment les rendre plus attractives plutôt que de monter un autre système. Je pense qu'il faut absolument développer des internats d'excellence, dans les grandes villes. Pour que les prépas de région gardent des talents forts, il faut qu'elles offrent quelque chose que Paris ne peut pas proposer.

Je pense qu'il faut absolument développer des internats d'excellence, dans les grandes villes.

Le point de bonification à des élèves carrés augmente aussi un peu les chances d'intégrer des étudiants qui viennent d'autres territoires à HEC, tout en en donnant le crédit à ces prépas, plutôt qu'aux prépas parisiennes où les élèves viennent cuber.

Par ailleurs, à HEC, le poids de l'oral est important dans la sélection, ce qui peut privilégier les grandes prépas : nous regardons cela aussi.

Vous travaillez aussi sur une rénovation de votre campus…

Bien sûr ! Nous prévoyons la transformation du campus pour 2026, avec des investissements évalués à 150 millions d'euros et probablement financés par la Fondation, des aides et de l'endettement. Ce sera un axe structurant, mais l'idée n'est pas d'augmenter de façon significative nos effectifs du PGE.

HEC est reconnue comme la plus réputée des écoles de commerce françaises. Quel est le plus grand risque pour l'école ?

Le risque serait de se reposer sur cette position de leader. Comme nous sommes très ancrés dans une perspective mondiale, cela nous rend modestes.

Hors de France, HEC est encore trop peu connue, même si nous avons une très bonne reconnaissance académique internationale.

Parmi nos étudiants, nous accueillons 110 nationalités. Beaucoup de nos diplômés feront leur carrière à l'international. Nous avons, de plus en plus, une visibilité mondiale. Mais, hors de France, nous sommes encore trop peu connus, même si nous avons une très bonne reconnaissance académique internationale.

Quelle coloration donnera Jean-Paul Agon, président de L'Oréal, le nouveau président du CA de l'école, aux années à venir ?

C'est une personnalité avec une visibilité internationale et des contacts à très haut niveau. Il est aussi très engagé sur la question de l'égalité des chances. Il va nous challenger sur des sujets. Mais il est également aligné sur l'impact que doit avoir l'éducation dans la société.

Agnès Millet | Publié le