N. Glady (Télécom Paris) : "La diversité sociale est une question de survie pour nos écoles"

Clément Rocher Publié le
N. Glady (Télécom Paris) : "La diversité sociale est une question de survie pour nos écoles"
Telecom Paris est installée depuis 2019 à Palaiseau. // ©  Télécom ParisTech
Nicolas Glady a pris la tête de Télécom Paris, première école d'ingénieurs du numérique en France, en décembre 2019. Il revient sur sa première année de mandat marquée par la crise sanitaire et évoque ses nouvelles ambitions pour son établissement sur le plan numérique et de l'ouverture sociale.

Lors de votre première année de mandat vous avez dû gérer une crise sanitaire sans précédent. Comment l'avez-vous vécue ?

L'année 2019 a été celle du déménagement de Télécom Paris dans de nouveaux bâtiments à Palaiseau et nous sommes aussi entrés dans une alliance inédite avec l'Institut Polytechnique de Paris. Mais 2020 a été effectivement une année particulière tant au niveau opérationnel que contextuel.

Nicolas GLADY
Nicolas GLADY © Telecom Paris Tech

Sur le plan sanitaire, nous avons envisagé, en concertation avec les enseignants, de passer complètement en distanciel dès le début du mois de mars. Le discours du président de la République a pris beaucoup de monde de court mais il nous a facilité les choses, ce qui était une possibilité est devenue une obligation, et nous avons basculé en distanciel en deux jours bien que la pratique se soit avérée plus compliquée.

Nous avons envoyé des tablettes graphiques aux enseignants-chercheurs et des cartes 3G aux étudiants qui avaient une mauvaise connexion. Nous avons pris le temps pour trouver un bon rythme et expérimenter certaines choses. Nous avons ensuite réalisé de gros investissements au cours de l'été de l'ordre de 600.000 euros pour équiper les salles de classe de caméras, de micros et d'écrans, et préparer une rentrée en mode hybride.

Quel regard portez-vous sur l'enseignement à distance ?

Je ne pense pas que le distanciel va remplacer l'enseignement en présentiel. Il y a plusieurs raisons qui expliquent que ce sont des expériences complémentaires et je pense que c'est comme cela que nous devons concevoir les choses. Il ne faut surtout pas croire que l'on ne reviendra jamais en arrière. Pour les personnes qui travaillent, qui ont une vie de famille, le mode asynchrone est plus pertinent pour la formation tout au long de la vie.

Nous avons réalisé de gros investissements au cours de l'été de l'ordre de 600.000 euros pour équiper les salles de classe.

Par ailleurs, une école représente plus que des cours et des examens, c'est aussi des interactions et des échanges en dehors de la salle avec les associations étudiantes notamment. Il était important que les jeunes aient la possibilité d'avoir une vie étudiante dans le cadre d'un protocole sanitaire, ils ont pu utiliser les locaux pour organiser l'intégration des nouveaux étudiants.

Télécom Paris est précurseur de la formation des ingénieurs dans le domaine du numérique, quels sont vos atouts et points de différenciation alors que les formations en numérique sont très nombreuses ?

Dans le cadre de la nouvelle alliance avec l'Institut Polytechnique de Paris, il était temps de nous demander ce que nous pouvons apporter à la France et à l'économie. La raison d'être de Télécom Paris est de former, imaginer et entreprendre pour concevoir des modèles, des technologies et des solutions numériques au service d'une société et d'une économie respectueuse de l'humain et de son environnement.

Nous avons mobilisé nos enseignants-chercheurs autour d'une grande concertation et ce qui est ressorti de cette démarche collégiale c'est l'importance de l'imagination. Nous avons été l'une des premières écoles à avoir un incubateur et nous avons toujours eu cette envie d'entreprendre.

On voudrait positionner Télécom Paris comme un laboratoire à ciel ouvert dans lequel on peut tester des idées et concevoir des technologies et des solutions numériques. C'est vraiment notre spécificité qui s'inscrit dans la tradition de l'ingénieur à la française. Nous nous distinguons aussi des autres écoles spécialisées dans le numérique et l'informatique par une approche généraliste et transdisciplinaire.

Nous avons mobilisé nos enseignants-chercheurs et ce qui est ressorti c'est l'importance de l'imagination.

Enfin, même si être au service d'une société et d'une économie respectueuse de l'humain et de son environnement ne nous est pas spécifique, nous sommes la première école d'ingénieurs à l'avoir inscrit dans son règlement intérieur. Ce principe est évident pour certaines générations mais peut-être pas encore pour l'ensemble des dirigeants aujourd'hui. La question environnementale fait partie de la dynamique de l'école et nous avons la responsabilité de nous emparer de ces nouveaux enjeux. Les étudiants sont les premiers à nous pousser et à aller encore plus rapidement.

Quels seront les domaines du numérique en vogue dans les prochaines années ? Certains sont-ils en cours de préparation dans votre établissement ?

Télécom Paris représente la première école d'ingénieurs du numérique en France et le numérique constitue le sujet le plus "sexy" du 21e siècle, celui qui change le monde. L'école porte plusieurs sujets qui sont très importants pour l'avenir. On peut prendre l'exemple de la 5G dont il est absolument nécessaire que le débat soit appuyé sur des réflexions scientifiques qui sont factuelles et rigoureuses. Nous allons nous en emparer à Télécom Paris et proposer des éclairages. Les questions associées aux grands réseaux, à l'intelligence artificielle et au quantique sont également des enjeux stratégiques.

Mais il est évident qu'il est important de financer correctement les établissements de recherche et de formation en France. Il faut que nous arrivions à trouver une méthode de financement qui permette à la recherche de pointe et à l'enseignement d'excellence d'être financés à hauteur de ceux avec qui nous sommes en compétition à l'international. Nous devons accélérer la cadence si nous voulons faire les meilleures offres aux enseignants-chercheurs et proposer les meilleures formations aux étudiants.

Quel rôle joue Télécom Paris au sein de l'Institut Polytechnique de Paris ?

Il y a une grande collégialité parmi les écoles membres de l'Institut Polytechnique de Paris, les décisions importantes se font systématiquement à l'unanimité. Nous avons une structure de taille modeste au niveau international avec 160 enseignants-chercheurs et 2.500 étudiants, une taille qui nous permet d'avoir beaucoup d'agilité et qui nous permet d'apporter notre contribution à l'ensemble.

Le numérique constitue le sujet le plus "sexy" du 21e siècle, celui qui change le monde.

L'Institut Polytechnique de Paris est un moyen de pallier à la petitesse et à la fragmentation du supérieur en France. Nous sommes dans une logique de plus en plus internationale mais nous avons des pépites sur le territoire qui n'ont pas la taille suffisante pour être reconnues à l'extérieur de nos frontières. Nous avons mené plusieurs alliances avec d'autres instances académiques dans cette même optique, récemment avec l'Inria.

Quelles sont vos orientations stratégiques au niveau de la recherche ?

Télécom Paris s'inscrit dans le projet de l'Institut Polytechnique de Paris. Nous travaillons avec les autres écoles membres à définir un cadre commun sur la recherche et la politique de recrutement des enseignants-chercheurs. Il faut mettre beaucoup d'argent sur la table et pouvoir recruter les meilleurs talents. Nous avons également créé en septembre un centre interdisciplinaire dénommé Hi! Paris sur l'intelligence artificielle. Il faudra peut-être nous tourner vers nos partenaires de l'université Paris-Saclay concernant le quantique. Nous sommes vraiment dans une logique d'alliance au moins au niveau local.

Nous voulons aussi augmenter le nombre de doctorants au sein de l'Institut Polytechnique de Paris. Nous sommes en train d'analyser programme par programme quelle sera la contribution de Télécom Paris mais nous devons viser une augmentation entre 30 à 40% de nos étudiants tout programme confondu.

Vous avez axé votre stratégie sur la diversité sociale. Comment vous positionnez-vous ?

L'ouverture sociale est un sujet très important auquel nous devons absolument répondre. Nous nous sommes donné comme objectif d'atteindre 30% de jeunes femmes en 2030 à Télécom Paris. Nous allons faire un effort sur les filières existantes mais aussi avec le concours commun Mines-Ponts. Nous allons chercher des jeunes femmes dans les admissions parallèles. On peut imaginer des alliances avec des facultés de médecine pour faire des choses intéressantes autour de l'intelligence artificielle et de l'imagerie médicale. Nous devons travailler dans cette logique pour aller chercher de la diversité sans faire baisser notre exigence.

Nous nous sommes donné comme objectif d'atteindre 30% de jeunes femmes en 2030 à Télécom Paris.

La diversité sociale est une question de survie pour nos écoles, nous sommes obligés de trouver des solutions. Nous avons besoin de plus de financements mais je ne vois pas comment nous pourrions demander à l’État français de financer davantage nos écoles si nous ne faisons pas un effort sur notre diversité sociale. Nous devons trouver une manière d'avoir plus de boursiers et de personnes issues de la diversité pour assumer pleinement notre rôle républicain. On peut aussi réfléchir à des programmes de bachelor qui nous permettraient d'intégrer d'autres profils et ne pas devenir obsolète.

Vous êtes le nouveau responsable de la Commission Aval de la CGE. Quelles seront vos priorités ?

La raison historique de nos grandes écoles c'est l'insertion professionnelle : elles permettent d'apporter des talents à la société et l'économie qui aideront à son développement. Je suis ravi d'avoir cette responsabilité au niveau de la commission Aval. L'insertion professionnelle de qualité constitue le cœur de la promesse des grandes écoles mais nous devons maintenant réfléchir à ce que cela signifie en 2021. Nous avons désormais des étudiants qui veulent des carrières internationales mais aussi des entreprises qui recherchent de nouveaux profils avec plus de soft skills.

La commission va également se pencher sur l'impact que la crise sanitaire va avoir sur cette insertion. Nous faisons face à une crise économique majeure au niveau mondial mais nous attendons les chiffres. La France fait preuve de plus résilience que d'autres pays et les impacts seront très différents par secteur. Plusieurs écoles ont mis en place des task forces spécifiques. Nous avons affaire à une nouvelle génération qui a été forcée d'acquérir des compétences importantes (adaptabilité, nouvelles méthodes d'interaction) mais les étudiants seront très bien formés. Entre la crise économique et climatique, une grande école est encore plus pertinente dans le monde qui s'annonce.

Clément Rocher | Publié le