Face aux défis internationaux, l’enseignement supérieur de gestion doit renforcer sa cohérence

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Face aux défis internationaux, l’enseignement supérieur de gestion doit renforcer sa cohérence
Jean-Pierre Nioche, professeur honoraire à HEC, expose les différents défis auxquels sont confrontées les écoles de gestion et de management. // ©  HEC
Dans une tribune rédigée pour EducPros, Jean-Pierre Nioche, professeur honoraire à HEC, expose les différents défis auxquels sont confrontées les écoles de gestion et de management. Avec en point d'orgue le niveau de qualité des diplômes par rapport au référentiel, la nécessité pour les établissements de se différencier dans la compétition mondiale, et naturellement, la question du financement.

En effectifs étudiants, la gestion est le premier secteur de l’enseignement supérieur français. Il en est aussi un champion dans les classements internationaux. Cette position éminente résulte d’un demi-siècle de croissance rapide et d’un rôle pionnier en matière d’internationalisation. Elle est pourtant peu connue des entreprises, des médias, du grand public et, comble du paradoxe, n’est pas reconnue par le ministère de l’Enseignement supérieur.

Elle génère aujourd’hui de nouveaux défis pour les établissements. Nous nous limitons ici à deux d’entre eux, d’ordre institutionnel, sans évoquer les contenus, autre sujet majeur. Le premier défi est de définir une stratégie de formation adaptée à la fois au contexte national et à la concurrence internationale. Or, celle-ci, plus ou moins régulée par les accréditations et les classements internationaux, s’est structurée autour d’un référentiel mondial de diplômes.

Le modèle à trois niveaux de diplômes, que nous appelons LMD, est devenu universel. Mais la gestion se distingue par l’existence de deux diplômes généralistes au niveau "M", qui est le cœur du secteur : le Master en Management, dont l’archétype en France est le "Programme Grande École", et le MBA. Quand nous prédisions cette dualité (cf. "The War of Degrees in European Management Education", EFMD Forum, n°1, 1992), elle fut contestée par les promoteurs du modèle américain. Ils ont depuis abdiqué : London Business School et l’INSEAD ont lancé leur Master en Management.

La concurrence mondiale s’ordonne autour de quatre diplômes : Bachelor (ou Licence) ; Master en management pré-expérience ; MBA post-expérience ; PhD (ou Doctorat), qui connaissent chacun des variantes. Les programmes spécialisés en un an se sont développés, mais restent secondaires. La formation continue, essentielle, est moins normée, car de plus en plus sur mesure.

La difficulté pour les établissements est de combiner trois exigences : une offre de diplômes compatibles avec ce cadre de référence, un haut niveau de qualité dans toutes les activités, y compris en anglais et, surtout s’ils ont des ressources limitées, des éléments de différenciation défendables, malgré les forces de normalisation.

Le deuxième défi est celui du financement. Aux besoins croissants liés à la recherche, à l’innovation pédagogique ou à la digitalisation, l’internationalisation ajoute un surcoût à toutes les dépenses. Relever ces défis ne se présente pas de la même manière dans les deux moitiés du secteur, constituées des grandes écoles et des formations universitaires, leur gouvernance et leur modèle économique étant différents. Et, dans les deux cas, tous les établissements n’y arriveront pas.

Des grandes écoles très hétérogènes et trop de laxisme

Selon les statistiques officielles, il y aurait 333 écoles de commerce en France (RERS, 2019, p. 63), mais ce chiffre a peu de signification. Il résulte des pratiques de groupes privés qui, pour des raisons fiscales et de limitation des risques, créent autant d’entités juridiques qu’ils ont de programmes ou d’implantations. Si l’on s’en tient aux centres de décision, il y a moins de 180 écoles de gestion en France, dont la qualité est très variable.

La principale distinction s’établit entre la quarantaine d’établissements membres de la Conférence des Grandes Écoles, dont le "Programme Grande École" donne le grade de Master, et les autres. Les écoles du premier groupe ont beaucoup progressé ces dernières décennies. Elles ont renforcé leurs corps professoraux et la recherche, se sont regroupées, ont internationalisé toutes leurs activités. La moitié d’entre elles prouvent par leurs accréditations et leurs places dans les classements qu’elles ont une stratégie cohérente avec les meilleurs standards internationaux en termes de diplômes et de qualité.

Il est néanmoins heureux qu’une régulation de la qualité des Bachelors s’engage enfin.

Il n’en est pas de même pour les écoles du deuxième groupe, dont l’offre est souvent peu lisible. Pour contourner la réglementation des diplômes nationaux, elles utilisent des titres ambigus, multiplient les pseudo-MBA, voire utilisent de façon abusive le titre de Master. Le contrôle de qualité exercé par le ministère est très insuffisant.

La Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) fait un excellent travail, mais n’évalue que les écoles qui demandent une accréditation. Et le ministère est laxiste vis-à-vis des écoles qui s’attribuent indûment le titre de Master. Il est néanmoins heureux qu’une régulation de la qualité des Bachelors s’engage enfin, avec l’attribution du grade de licence.

Le défi du financement dû à l’internationalisation a coïncidé, pour les écoles consulaires, avec une réduction drastique de la contribution des Chambres de commerce, dont les ressources ont été divisées par deux sous la présidence Hollande. La gauche a ainsi poussé ces écoles publiques à rapprocher leurs pratiques du privé et, dans certains cas, à recourir à la privatisation.

Pour accroitre leurs ressources propres, les écoles ont créé des programmes, développé la formation continue et augmenté les frais de scolarité. Ce dernier point a aggravé le déficit de diversité sociale qui leur était déjà reproché et conduit à de nouvelles dépenses pour des bourses et des soutiens.

Les écoles de premier rang sont aussi touchées par les privatisations

La question du financement transforme de façon plus profonde les structures économiques du sous-secteur des écoles. Des écoles consulaires ont été privatisées, de grands groupes d’écoles privées à but lucratif se sont constitués et les fonds d’investissement progressent dans leur actionnariat. Mais, jusqu’à présent, ce mouvement ne touchait que des écoles de second rang.

La privatisation, en septembre 2019, de l’EM Lyon Business School crée une situation nouvelle. Le risque majeur pris par la CCI Lyon Métropole est que les actionnaires privés de l’école trouvent un jour que le modèle académique, sur lequel repose sa réputation, coûte bien cher. Il convient de rappeler que les écoles leaders dans le monde, sont des organisations publiques ou à but non lucratif. Et ce n’est pas un hasard. L’EM Lyon privatisée fera-t-elle mentir les statistiques ou perdra-t-elle son rang ?

Des formations universitaires, plus homogènes, mais moins internationalisées

Les formations universitaires sont plus cohérentes en termes de qualité, elles ont moins d’autonomie en matière d’offre ou de recrutement de leurs professeurs et peu d’entre elles sont vraiment internationalisées. Elles pratiquent des frais de scolarité faibles, donc attractifs, qui sont en même temps un handicap en termes de ressources.

Cette situation risque de s’aggraver à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel du 11 octobre 2019, qui consacre le principe de "gratuité" de l’enseignement supérieur public. Il existe pourtant des marges de manœuvre sous-utilisées. Les trois quarts des universités françaises offrent des formations en gestion. Mais très peu d’entre elles ont une stratégie en cette matière.

Ainsi, la plupart ont deux, parfois trois, voire quatre entités délivrant des diplômes de gestion. Pour les universités qui veulent jouer dans la cour des grands, l’efficacité stratégique et l’économie de moyens commandent de n’avoir qu’une faculté de management ou, mieux, une école, comme c’est la norme dans le monde. L’offre universitaire est souvent peu lisible, avec de multiples diplômes et de nombreux "M2", qui ne sont ni d’un diplôme national, ni un standard international.

Le doctorat, atout des universités, n’est pas géré comme l’arme stratégique qu’il pourrait être.

Le doctorat, atout des universités, n’est pas géré comme l’arme stratégique qu’il pourrait être. Les formations universitaires doivent définir une offre claire dont le noyau central s’articule avec les standards internationaux. En matière de ressources les universités peuvent aussi jouer sur les diplômes d’établissement et, surtout, sur la formation continue qui, à de rares exceptions près, y tient une place marginale.

Penser et réguler l'enseignement de la gestion comme un tout

Au-delà des stratégies d’adaptation des deux types d’établissements à la concurrence internationale, la tendance historique est celle d’une convergence. Les écoles se sont "académisées" en développant leurs corps professoraux et la recherche. Les formations universitaires se sont professionnalisées. Renforcer la cohérence du secteur, voie de progrès pour tous les établissements, demande des changements d’attitude.

D’abord du ministère de l’Enseignement supérieur, qui ne considère pas le secteur comme un tout et encore moins comme un secteur majeur. Les statistiques officielles ne permettent même pas d’en avoir un chiffrage global. Les écoles et les formations universitaires sont évaluées par des instances différentes. Et leur tutelle est exercée par des services distincts, non coordonnés.

Les écoles et les formations universitaires sont évaluées par des instances différentes. Et leur tutelle est exercée par des services distincts, non coordonnés.

Les médias donnent une vision tronquée des formations au management. En publiant, par routine et mimétisme, des classements limités aux grandes écoles, ils laissent dans l’ombre des formations similaires, préparant aux mêmes emplois et parfois plus sélectives que bien des "grandes écoles" offertes, entre autres, par Dauphine, l’IAE d’Aix-en-Provence ou Sciences po.

Une vision globale est aussi nécessaire du côté des établissements. Tous les secteurs de l’enseignement supérieur sont dotés d’une instance représentant les directeurs de formation : Conférences des doyens des facultés de droit, de médecine, de science, etc. Et Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDÉFI) pour un secteur, comme la gestion, associant écoles et universités.

Une Conférence des Directeurs d’Écoles et Formation de Management, unifiée, représentative et indépendante est indispensable.

La représentation du secteur de la gestion est faible parce que divisée et partielle. Le Chapitre des écoles de management de la Conférence des Grandes Écoles et IAE France représentent chacun une minorité de leur sous-secteur. La Fnege offre ses services à tous, mais sa gouvernance, partagée entre l’État et le patronat, ne lui permet pas de représenter les établissements.

Une Conférence des Directeurs d’Écoles et Formation de Management, unifiée, représentative et indépendante est indispensable pour permettre au secteur, pris globalement, de penser son rôle face aux enjeux sociétaux et de jouer sa partie dans le jeu international. Notamment grâce à une offre harmonisée et une régulation favorable à la qualité.


Ce texte développe les propos tenus lors d'une interview du 1er octobre 2019 sur Xerfi Canal

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