C. Bosvieux-Onyekwelu (sociologue) : "La recherche à l'université peut être un monde hostile et concurrentiel"

Agnès Millet Publié le
C. Bosvieux-Onyekwelu (sociologue) : "La recherche à l'université peut être un monde hostile et concurrentiel"
Charles Bosvieux-Onyekwelu (sociologue) // ©  Photo fournie par le témoin
Dans un livre témoignage paru le 13 septembre, Charles Bosvieux-Onyekwelu, sociologue, chargé de recherche au CNRS, raconte les nombreuses difficultés et déceptions qui ont émaillé son parcours jusqu'à l'accès à un poste stable. Embûches de la thèse, précariat, horizon incertain, il revient sur ces années pour EducPros.

Issu d'un "milieu doté en capital économique (père pédiatre, mère pharmacienne à l'hôpital)", Charles Bosvieux-Onyekwelu intègre l'ENS après quatre ans de prépa littéraire. Le sociologue usera ensuite les bancs de Sciences po Paris avant de tenter une carrière de chercheur. Un choix dont il ne mesurait pas les difficultés.

"J'ai été recruté à 38 ans, trois ans et demi après avoir soutenu ma thèse. Je n'ai jamais été au chômage puisque j'ai successivement été doctorant contractuel, attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) puis post-doc. En 2017, 2018, 2019 et 2020, j'ai tenté en vain d'obtenir un poste de maître de conférences à l'université et ai été recruté au CNRS à ma quatrième tentative", résume-t-il dans son livre.

"Si les trois années et demie qui se sont écoulées entre ma soutenance et ma réussite au concours m'ont subjectivement semblé très longues et très pénibles, elles sont globalement dans la norme actuelle", écrit aussi le sociologue.

Dans votre livre, vous revenez à plusieurs reprises sur votre milieu social d'origine, plutôt privilégié. Pourquoi insister sur ce point-là ?

Lorsque vous êtes sociologue ou chercheur, comme moi, vous basez vos écrits sur une enquête et des données qui fondent votre propos. Dans le cas de cet ouvrage, même si j'ai effectué des recherches, je me suis d'abord basé sur mon expérience personnelle.

Par ailleurs, lorsque l'on parle précarité, on imagine le chômage et la difficulté à s'insérer. J'ai voulu casser cette image : on peut être "bien né", avoir des titres universitaires censés promettre un avenir radieux et, néanmoins, connaître le précariat.

Quelle était votre vision de ce métier quand vous étiez étudiant ?

Étudiant, je ne pensais pas au métier de chercheur. Comme d'autres élèves de l'ENS, je me suis lancé dans une thèse, après avoir décroché une allocation. C'est lorsque j'ai découvert la sociologie et que je suis devenu ATER, que cette carrière m'a intéressé et que j'y ai vu un avenir professionnel.

Et j'ai dû m'accrocher, car l'ENS ne m'avait pas préparé à ce travail ! La thèse, c'est le moment où se cristallise votre statut de subalterne. Même si, ces dix dernières années, l'encadrement du doctorat s'est structuré, il faudrait sortir du côté personnel de la direction de thèse. Mais c'est après la soutenance que la galère a commencé.

Comment pensiez-vous accéder à un poste de chercheur ?

Je ne l'imaginais pas. Au début de la thèse, nous avions des formations qui nous expliquaient le métier de chercheur, mais j'avais encore une vision littéraire de l'écriture. Je ne la voyais pas comme un instrument scientifique, alors que la carrière se fait en grande partie sur les publications.

Par ailleurs, je croyais aussi que tout se jouait sur des rencontres, le bon "patron" au bon moment. Ce qui n'est pas complètement faux. Mais, s'il faut de la chance pour être recruté à l'université ou au CNRS, il faut aussi énormément se préparer.

Qu'est-ce qui vous a le plus surpris ?

Ce qui m'a le plus troublé c'est qu'on n'est pas recruté uniquement parce qu'on est bon. Bien sûr, il vaut mieux l'être mais cela ne suffit pas. Il faut aussi avoir le sens du placement et les bonnes relations.

En exagérant, on pourrait dire que trouver un poste n'est pas forcément lié à la qualité de ce qui est produit. Notamment à cause de la rareté des postes : vous envoyez des CV, des articles dans le vide, avec l'impression que le monde professionnel ne vous répond pas.

Il est difficile de ne pas devenir complètement cynique.

Quand vous avez ce genre de parcours, cela vous endurcit et il est difficile de ne pas devenir complètement cynique. Et même après avoir été recruté, ces années vous marquent, avec le risque d'adopter ces comportements qui sont à l'origine de beaucoup de souffrance au travail.

Vous ne parlez pas de précarité mais de "précariat" de l'aspirant chercheur. Quelle différence faites-vous ?

Si on lit superficiellement ma trajectoire, on se dit que je ne suis pas précaire. C'est vrai que je ne remplissais pas les critères de la précarité. Mais aujourd'hui, la précarité a tellement infiltré notre société qu'il faut mettre à jour sa définition. Il n'y a pas que la précarité des petits boulots. Il en existe une autre forme, celle des diplômés.

La société est très polarisée entre des secteurs lucratifs et des secteurs non profitables, comme la culture, l'associatif, les ONG, l'information ou le savoir. Ces derniers sont basés sur des modèles économiques dépendant de subventions publiques et de mécènes. Dans ces secteurs, il existe un embouteillage de gens très diplômés, avec des statuts subalternes et payés des clopinettes.

Durant ces années, vous dites avoir fait "l'apprentissage de l'échec". Vous parlez aussi d'isolement et d'une violence qui se reproduit…

Oui, cela pose la question de la violence symbolique. L'université est un milieu feutré et de non-dits. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne se passe rien du point de vue de la violence symbolique, qui peut entraîner une violence physique.

On se bat pour notre réputation, pour intégrer des jurys et des comités.

C'est un monde qui peut être hostile et concurrentiel. Un milieu d'ego et de visibilité où certains ont plus de capitaux, car plus d'expérience. Or, notre carrière dépend de nos pairs, qui évaluent nos publications. La reconnaissance permet la carrière. On se bat pour notre réputation, pour intégrer des jurys et des comités.

L'affichage et le discours mettent en avant le travail d'équipe. En réalité, les récompenses se jouent beaucoup à l'échelle de l'individu.

Dans l'accès à un poste de chercheur, le précariat ne serait plus seulement un "rite initiatique" mais un horizon, selon vous ?

Oui, malheureusement, la France est sur une mauvaise pente, alors que nous avons un avantage comparatif : nous pouvons accéder à un poste de titulaire au bout d'un an de stage après le recrutement. Dans d'autres pays, c'est le système de la titularisation conditionnelle qui prédomine.

Il faudrait arrêter de détruire la fonction publique. On voit des hôpitaux qui ferment leurs services d'urgence, l'accès aux services publics qui se dégrade... Le système français va vers toujours plus de précarisation.

Concrètement, il faut recruter des fonctionnaires dans l'enseignement et la recherche. Mais j'ai plutôt l'impression que ce statut est menacé, voire promis à l'extinction.

Autre priorité : se pencher sur le sort des universités. Il faut les considérer comme ce qu'elles devraient être pour le pays : de grands centres de recherche et d'enseignement, essentiels à la vie intellectuelle.

La valeur du doctorat est obérée par les grandes écoles.

Et prendre à bras le corps la question de la reconnaissance du doctorat, hors du monde académique. Sa valeur est obérée par le système des grandes écoles. Aujourd'hui, vous avez du pouvoir quand vous sortez d'une grande école. Il faut revoir cette hiérarchie.

Enfin, pour rendre la recherche plus attractive en France, il faut repenser la manière dont sont distribués les financements entre crédits récurrents et les appels à projets (AAP). Car de l'argent, il y en a, mais ces AAP dilapident le temps des chercheurs.

Face à ces constats, y a-t-il, tout de même, un point positif ?

Si je dois répondre sur mon parcours, oui : chaque recrutement, chaque publication dans une revue prestigieuse, me rend enthousiaste. Et puis, j'ai trouvé ma voie malgré tout ce que j'écris sur l'ESR. La sociologie et les sciences sociales sont puissantes.

Et puis globalement, il existe des solutions : revoir l'équilibre des financements, ouvrir des postes à la mesure de la démographie étudiante, se pencher sur la direction des thèses et mieux reconnaitre le doctorat…

Quel serait votre conseil à un aspirant universitaire aujourd'hui ?

Déjà, je ne suis pas sûr que je conseillerais à quiconque de faire une thèse. Si c'est vraiment ce que la personne veut faire, je l'inviterais à s'assurer d'une piste de financement avant de se jeter à l'eau.

Ensuite, bien choisir son sujet de recherche! Est-ce que le sujet parle aux collègues ? Est-ce qu'il parle à d'autres forces sociales (institution, monde associatif, grand public) ?

On ne peut pas éluder cette question-là. Les places et les financements sont rares et les thématiques. Les sujets prioritaires des appels à projets fluctuent…

À lire

Précarité générale, témoignage d'un rescapé de l'Université, de Charles Bosvieux-Onyekwelu, paru aux éditions Textuel, le 12 septembre, 127 p., 16,90 euros.

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