Carole Grandjean : "La voie professionnelle doit poursuivre sa transformation"

Propos recueillis par Étienne Gless Publié le
Carole Grandjean : "La voie professionnelle doit poursuivre sa transformation"
La ministre déléguée chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean. // ©  Eric TSCHAEN/REA
Cinq ans après la loi "Liberté de choisir son avenir professionnel" réformant l'apprentissage, Carole Grandjean, reconduite le 20 juillet en tant que ministre déléguée chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnels, fait le point. Objectifs quantitatifs, règlementation et financements, amélioration des filières... Elle livre ses pistes à Educpros.

Avec 837.000 nouveaux contrats signés en 2022, l'objectif d'un million d'apprentis chaque année, d'ici 2027, semble atteignable. Est-ce le moment de se préoccuper de la qualité de l'apprentissage ?

Le développement de l'apprentissage ne doit pas se faire au détriment de la qualité des formations initiales. Avec la réforme de 2018, en reconnaissant l'apprentissage comme voie d'excellence pour tous nos jeunes, dans tous les secteurs et sur tous les niveaux, nous avons considérablement transformé son image.

Cette évolution a été réalisée avec l'engagement des centres de formation et des entreprises, qui ont déployé une offre de formation dans tout le pays, passant de 1.000 à 3.000 centres en cinq ans.

Au-delà, la certification Qualiopi a conduit à harmoniser les processus visant à garantir la qualité des formations dans les centres de formation d'apprentis (CFA).

Nous sommes allés plus loin : le processus d'audit vient d'ailleurs d'être précisé au terme d'un semestre de consultation, avec la publication d'un arrêté qui doit renforcer les exigences de Qualiopi. Je fais de ce sujet un fil rouge de mon action.

Des structures se sont montées opportunément pour saisir la manne financière de l'apprentissage. Faut-il règlementer davantage ces établissements, qui ne proposent pas toujours des formations de qualité ?

Je considère que les meilleurs indicateurs de la qualité d'une formation sont ses résultats, c'est-à-dire les taux d'accès à la certification et à l'emploi durable. Or, dans son ensemble, l'apprentissage favorise l'insertion professionnelle.

Pour le suivi, nous avons créé un outil dédié : Inserjeunes. Il recense les données telles que le taux de réussite à l'examen, le taux de poursuite d'études, le taux d'insertion, mais aussi les taux de rupture de contrats ou d'abandon… Ces données, accessibles au public, permettent d'évaluer la qualité de la formation.

Nous devons collectivement – État, financeurs et certificateurs – organiser les conditions d'une meilleure surveillance et nous doter de contrôles et de sanctions renforcés.

En plus de cela, nous devons collectivement – État, financeurs et certificateurs – organiser les conditions d'une meilleure surveillance et nous doter de contrôles et de sanctions renforcés. Mon objectif est clair : signaler les abus en organisant mieux les contrôles, en coordonnant et en ciblant mieux nos actions, et en outillant la puissance publique et ses partenaires pour sanctionner.

En mars, la Fnadir remettait 14 propositions pour améliorer la qualité de l'apprentissage. Quelles mesures envisagez-vous ?

La Fnadir [Fédération nationale des directeurs de centres de formation d'apprentis] – regroupant 600 directeurs de CFA – a alerté sur la redondance des contrôles qualité diligentés par les opérateurs de compétences et des audits Qualiopi, qui pour beaucoup se tiennent concomitamment. Elle interroge sur l'articulation des contrôles, au regard des objectifs de renforcement de la qualité pédagogique des formations et de sanctions des organismes défaillants.

Nous avons entamé des travaux visant à déterminer les conditions d'une meilleure coordination des contrôles ainsi qu'à renforcer leur aspect pédagogique. Les futures mesures devront être concertées avec les partenaires sociaux.

La Fnadir a aussi développé une charte pour renforcer et valoriser l'accompagnement des apprentis en entreprise. C'est un point crucial, tant l'accompagnement dont bénéficie l'apprenti au sein de son entreprise conditionne sa réussite. L'Association des apprentis de France (Anaf) travaille également sur cette initiative utile.

Vous allez lancer un travail sur les contenus des formations. Quelle mission avez-vous confié à France Compétences et à quel horizon ?

Les conditions d'enregistrement des certifications méritaient d'être analysées et améliorées, près de cinq ans après l'adoption de la loi.

France Compétences a reçu la mission d'y travailler pour harmoniser les procédures et les critères, qu'il s'agisse de diplômes ministériels de l'agriculture ou du sport, de titres proposés par un organisme privé ou d'un certificat proposé par une branche.

L'enjeu est de garantir la prise en compte des besoins en compétences du marché du travail et un fonctionnement plus collaboratif. Des propositions sont attendues pour fin juillet.

Quelles sont les nouveautés mises en place en lycée professionnel, à la rentrée ?

À partir de la rentrée, douze mesures seront mises en place progressivement. Parmi les nouveautés, il y a la création d'un bureau des entreprises dans chaque lycée, la mise en place de la gratification des périodes de formation en milieu professionnel, la création de dispositifs pour prévenir le décrochage et la création de formations courtes et complémentaires après diplômes.

Comme les formations complémentaires d'initiative locale (FCIL) ?

Les chances d'insertion des jeunes qui ont suivi une formation de spécialisation – FCIL ou mentions complémentaires – après leur baccalauréat augmentent de 20 points.

Ces formations accueillent 4.500 élèves sur plus de 230.000 alternants. Notre objectif est que chaque baccalauréat offre au moins une spécialité correspondant à une formation bac+1, de sorte qu'à l'horizon 2025, 20.000 élèves puissent en bénéficier chaque année.

En juin, vous avez détaillé au Sénat votre feuille de route à trois ans. Quels en sont les axes ?

La voie professionnelle doit poursuivre sa transformation pour contribuer à la réponse aux enjeux d'urgence écologique, de vieillissement de la société, de transition numérique et de souveraineté industrielle.

Cela implique de fermer les formations qui n'offrent pas de perspectives d'emploi ou de poursuite d'études et de proposer davantage de parcours de réussite, attractifs et répondant mieux aux besoins du monde professionnel partout en France.

Concrètement, combien de formations vont fermer à la prochaine rentrée ?

À la rentrée, 146 formations non-insérantes seront fermées au profit de l'ouverture de 212 formations qui répondent aux besoins exprimés localement par les entreprises, dans le cadre de France 2030.

Il est indispensable d'accélérer ces transformations. Je connais les craintes autour de la fermeture de certaines formations mais je tiens à préciser que ces mutations seront accompagnées.

Quel effort financier supplémentaire est prévu pour la voie professionnelle ?

L'État consacre près de 4,9 milliards d'euros chaque année à l'enseignement professionnel sous statut scolaire, répartis entre dépenses de personnel, de fonctionnement et d'intervention. Ces moyens ont été maintenus en 2023.

À partir de 2024, l'État investira un milliard d'euros supplémentaire dans le lycée professionnel, chaque année. Cet investissement massif est inédit : il représente une augmentation très significative de 20%. Il vient financer la valorisation des missions supplémentaires des enseignants, les gratifications des stages, les actions du mentorat, etc.

La formation continue des professeurs sera aussi renouvelée pour être au plus proche des besoins des élèves

France 2030 sera mobilisé, en soutien, dans le cadre de la transformation de la carte des formations des lycées professionnels. Ces fonds seront destinés à la rénovation des plateaux techniques, à la création de filières, à des mises en visibilité de certains métiers ou à la formation des enseignants. Ce sont 2,5 milliards d'euros qui sont alloués.

Nous avons des investissements inédits sur la formation, par exemple. Cette évolution de l'offre de formations sera tournée vers les défis écologiques, numériques et technologiques de demain. La mission Inserjeunes a développé un outil de pilotage appelé "Orion" pour objectiver la réussite des formations existantes et les besoins des territoires.

À cela s'ajoute une mesure importante : le recrutement de chargés de relations entreprises dans les 2.100 lycées professionnels. Dans chaque lycée, cette personne développe les partenariats entreprises et sera le réseau des jeunes qui n'en ont pas.

Vous avez évoqué devant le Sénat la formation des professeurs et proviseurs des lycées professionnels. Pouvez-vous nous en dire plus ?

À la rentrée prochaine, la formation de l'équipe éducative va être repensée pour permettre aux professeurs et cadres de mieux appréhender les spécificités de l'enseignement professionnel et ses évolutions nécessaires pour rester en phase avec les besoins de l'économie.

La formation initiale des nouveaux proviseurs affectés en lycée professionnel a été mise en place de manière renforcée dès cette année pour les former au management d'un lycée professionnel et à des profils d'élèves présentant parfois de grandes fragilités. Et, dès l'année prochaine, nous proposerons à tous les proviseurs de lycée pro des modules de formation continue pour les accompagner sur le volet managérial.

La formation continue des professeurs sera aussi renouvelée pour être au plus proche des besoins des élèves et en phase avec les évolutions de la carte des formations. La formation continue est une opportunité, permettant d'apprendre à former des publics mixtes (apprentis/scolaires) mais qui ouvre aussi des perspectives d'évolution dans les carrières.

Propos recueillis par Étienne Gless | Publié le