Enseignement privé : la Cour des comptes demande un renforcement du contrôle de l’Etat

Isabelle Fagotat Publié le
Enseignement privé : la Cour des comptes demande un renforcement du contrôle de l’Etat
La Cour des comptes réclame un contrôle plus important sur l'enseignement privé. // ©  HJBC / Adobe Stock
Alors que les établissements d'enseignement privé sous contrat avec l'État ont perçu 8 milliards d'euros de fonds publics en 2022, la Cour des comptes souligne leurs mauvais résultats en matière de mixité sociale. Elle préconise un renforcement du contrôle de l'État.

Les établissements d'enseignement privé sous contrat intègrent de moins en moins d'élèves défavorisés, telle est l'une des conclusions du rapport de la Cour des comptes, présenté le 1er juin 2023. Un constat sans surprise au vu des débats de ces derniers mois sur le sujet.

Selon l'institution, les élèves issus de milieux favorisés représentaient, en 2021, 55,4% de leurs effectifs, contre 32,3% dans le public. La part des élèves issus de milieux très favorisés y est même en forte progression : elle représentait 40,2% des effectifs en 2021, contre 26,4% en 2000.

Si divers facteurs expliquent cette situation, en particulier le choix des familles et les tarifs pratiqués, la Cour des comptes pointe "une politique de sélection des élèves qui ne prend qu'insuffisamment en compte des objectifs d'ouverture sociale". En cause, notamment, un manque de communication sur les aides qui peuvent être accordées aux élèves issus de foyers aux revenus modestes.

Huit milliards d'euros de financement public

Pourtant, les 7.500 établissements privés sous contrat qui accueillaient à la rentrée 2022 plus de deux millions d'élèves sont tenus, par le contrat qu'ils signent avec l'État, de respecter certains engagements comme "la conformité aux programmes définis par le ministère de l'Éducation nationale et l'absence de discrimination dans l'accueil des élèves".

En contrepartie, ils bénéficient d'un financement public conséquent. En 2022, l'État a ainsi consacré huit milliards d'euros pour payer, entre autres, les salaires des 142.000 enseignants et les forfaits d'externat qui comprennent les charges de personnels de vie scolaire des établissements privés sous contrat.

Les fonds publics constituent donc une ressource indispensable pour ces derniers : ils représentent 55% du budget pour le premier degré et 68% pour le second degré.

Un manque de contrôle de l'État

Mais ce financement public implique, comme le stipule le Code de l'éducation, un contrôle financier et pédagogique des établissements par l'État.

Pourtant, souligne le rapport de la Cour des comptes, ces contrôles ne sont pas ou peu effectués. Les contrôles financiers, qui incombent aux directions locales des finances publiques, ne sont pas mis en œuvre. "Cette inapplication des textes n'est pas admissible et doit être corrigée dans les plus brefs délais", rappelle-t-elle.

L'État s'est assez peu occupé du contrôle de ce vaste ensemble qu'est l'enseignement privé, du fait, probablement d'un manque de moyens.

En ce qui concerne les contrôles pédagogiques, ils sont appliqués de façon minimaliste et ne permettent pas d'avoir une vision globale du projet éducatif de l'établissement.

"L'État s'est assez peu occupé du contrôle de ce vaste ensemble qu'est l'enseignement privé, du fait, probablement d'un manque de moyens. Le dérapage a eu lieu sans que personne ne s'en émeuve jusqu'à ce que tombent les statistiques. Du coup, le rattrapage s'annonce difficile", souligne-t-on à la Cour des comptes.

Des performances difficiles à mesurer

Autre point d'amélioration : l'évaluation de la performance des établissements d'enseignement privé sous contrat.

S'ils semblent avoir dans l'ensemble de meilleurs résultats que ceux de l'enseignement public, la Cour pointe un manque d'indicateurs de mesure pertinents, du fait notamment, de la non prise en compte de la catégorie sociale des élèves scolarisés. Ces indicateurs ne permettent donc pas de vérifier si leurs performances proviennent de l'efficacité de leur pédagogie ou est liée au mode de sélection des élèves.

Il n'est, par ailleurs, pas possible d'évaluer précisément les moyens dont disposent les établissements pour assurer leur mission d'enseignement et in fine de chiffrer le coût de la scolarité par élève.

Le rapport souligne enfin le manque d'éléments et de données au niveau du ministère qui pourraient permettre de comparer les résultats des établissements entre eux, en particulier les lycées, publics et privés sous contrat.

Renforcer le poids des rectorats

"En tant que composante du service public de l’éducation, [l'enseignement privé sous contrat] doit être davantage mobilisé au service de la performance éducative et de la mixité sociale. Pour cela, les relations entre l’État et les établissements privés sous contrat doivent être rénovées en profondeur", note la Cour des comptes.

Pour promouvoir une meilleure ouverture sociale de ces établissements, la Cour met l'accent sur l'importance de mieux évaluer les besoins scolaires au niveau local.

Les relations entre l’État et les établissements privés sous contrat doivent être rénovées en profondeur.

Elle préconise pour cela de renforcer le poids des rectorats dans la définition des priorités éducatives et des ouvertures de classes au niveau académique. Des objectifs en matière de composition sociale définis localement seraient ainsi fixés pour chaque établissement et les systèmes d'allocation des moyens tiendraient compte du profil des élèves scolarisés et des caractéristiques spécifiques, notamment géographiques, de l'établissement.

La Cour recommande également d'introduire des critères d'évaluation de la performance qui tiendraient compte de la répartition sociale et scolaire des élèves.

Ces préconisations interviennent alors qu'un accord a été signé le 17 mai entre le ministère de l'Éducation nationale et le Secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC) pour favoriser la mixité sociale au sein des établissements privés sous contrat. Mais, bien qu'il marque une avancée, il apparaît, d'après plusieurs syndicats de l'Education nationale, peu contraignant.

Isabelle Fagotat | Publié le