Mixité sociale : le plan ambitieux de Pap Ndiaye n’aura pas lieu

Malika Butzbach Publié le
Mixité sociale : le plan ambitieux de Pap Ndiaye n’aura pas lieu
Les annonces de Pap Ndiaye sur la mixité sociale dans les établissements publics ne convainquent pas. // ©  Come SITTLER/REA
Pap Ndiaye a présenté le 11 mai son plan laïcité attendu depuis mars. Devant les recteurs, il a appelé à augmenter la mixité sociale dans les établissements publics. Pourtant au cœur de la question, le secteur privé n'est pas concerné par ces annonces. Un protocole avec l'enseignement privé catholique doit être rendu public prochainement.

Le 11 mai, c'est finalement par SMS que la rue de Grenelle a présenté aux journalistes son plan sur la mixité sociale à l'école. Pas de conférence de presse, de passage dans les médias, ni même un communiqué dédié. Une communication qui étonne alors que Pap Ndiaye avait fait du sujet un marqueur de sa politique.

Le jour-même, le ministre a demandé aux recteurs de créer des instances de dialogue sur la mixité associant les collectivités locales, les parents d'élèves et les rectorats. L'objectif est chiffré : il s'agit de réduire les différences sociales de recrutement entre les établissements publics de 20% d'ici 2027.

Une "boite à outils" pour améliorer la mixité sociale

Pour ce faire, Pap Ndiaye a présenté une "boite à outils" destinée à améliorer la mixité scolaire dans les collèges et les lycées.

Parmi les possibilités figure des actions sur la sectorisation : à l'image de l'académie de Paris et de sa procédure Affelnet ; la création de filières d'excellence, notamment les sections internationales dans les établissements défavorisés, ou encore la mise en place de binômes de collèges pour rapprocher les populations scolaires proches géographiquement mais contrastés socialement.

Un rétropédalage sur l'enseignement privé

Alors qu'elles étaient attendues depuis le début de l'année 2023, ces annonces paraissent bien faibles compte tenu de l'engagement affiché par le ministre sur le sujet. Le fait que ce plan soit limité aux établissements publics interroge et fait grincer des dents.

Dans une tribune annonçant les grands axes de son mandat, publiée dans Le Monde en décembre dernier, Pap Ndiaye évoquait l'enjeu de la mixité, "facteur de réussite pour tous", en affirmant que "l'enseignement privé sous contrat devra apporter sa contribution à cet effort".

Un protocole d'engagement avec l'enseignement privé catholique sous contrat est en discussion depuis janvier. Mais son annonce a été dissociée du plan mixité et devrait intervenir "dans les prochains jours, lors de sa signature", précise le ministère.

La publication des indicateurs de position sociale a accéléré la réflexion

À l'automne dernier, la publication des indicateurs de position sociale (IPS) des établissements avait amené le sujet de la mixité sur le devant de la scène politique. Cet indicateur, créé en 2016, attribue un score à chaque élève selon la catégorie socioprofessionnelle des parents.

À l'échelle de l'établissement, la moyenne de ces scores permet de situer le profil social des élèves. Dans les données de l'Éducation nationale, il apparaît que cette moyenne est de 120 points pour les collèges privés, soit 20 points de plus que pour les collèges publics. Des chiffres qui démontrent le recrutement socialement marqué du secteur privé et objectivent le manque de mixité sociale au sein de certains établissements.

Les recherches nous le montrent, les politiques de mixité sociale demeurent limitées sans l'implication du secteur privé. (P. Ndiaye, ministre de l'Education nationale)

"Les recherches nous le montrent, les politiques de mixité sociale demeurent limitées sans l'implication du secteur privé", affirmait Pap Ndiaye le 1er mars devant les sénateurs. Alors que ces établissements sont financés à plus de 70 % par les pouvoirs publics, "il est normal d'exiger d'eux qu'ils favorisent la mixité sociale des élèves, en s'engageant dans une démarche contractualisée", insistait le ministre.

Avant de revenir sur ses positions face aux critiques des élus de la droite, l'accusant de vouloir réveiller la guerre scolaire.

Les syndicats dénoncent un "risque de coquille vide"

Pour la plupart des acteurs de l'éducation nationale, ce rétropédalage ne passe pas. "La mixité sociale et scolaire est sacrifiée sur l'autel des calculs politiques du moment, déplore Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Sans cadrage ni impulsion nationale, ce plan risque de n'être qu'une coquille vide."

Un constat partagé par l'Unsa-Éducation. Alors que "la communauté éducative attendait des mesures fortes, ambitieuses, à même de renverser la vapeur face à un phénomène de ségrégation sociale qui menace la démocratie, le plan d'action annoncé s'est révélé décevant avec des mesures très limitées", pointe l'organisation dans un communiqué.

La mixité sociale et scolaire est sacrifiée sur l'autel des calculs politiques du moment. (S. Vénétitay, Snes-FSU)

Si le Comité national d'action laïque se dit "favorable à l'orientation prise par le ministre, qui contraste nettement avec le bilan inexistant de son prédécesseur sur ce sujet", ses membres s'interrogent sur le fait que "les établissements d'enseignement privés ne soient pas mis à contribution, au regard de l'argent public qui les finance, et de leurs responsabilités dans l'état de la ségrégation scolaire en France".

Les mesures concernant le privé risquent d'être également limitées

Désormais, tous les regards sont tournés vers le protocole que les enseignants et syndicats attendent depuis le 20 mars. Selon La Croix, la date de signature est fixée au 17 mai entre le ministère et l'enseignement catholique privé, majoritaire dans le secteur.

Toutefois, précise le journal, ce texte ne comporterait pas d'obligation de quotas ou encore l'intégration à la carte scolaire. "Si cet accord n'est pas contraignant, le secteur privé pourra choisir les meilleurs des élèves boursiers et exfiltrer des établissements défavorisés les très bons élèves. Ce qui reviendrait à ghettoïser davantage ces établissements", prévient Sophie Vénétitay.

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