Le DUT entame sa mue

Philippe Bohlinger Publié le
Le DUT entame sa mue
Le DUT s'efface au profit d'un diplôme en trois ans postbac. // ©  plainpicture/Lubitz + Dorner
La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, détaillera en octobre prochain son projet de "licence professionnelle de technologie" dont la vocation est d’allonger la scolarité des IUT à trois ans. Les directeurs d’IUT craignent de perdre, avec ce nouveau diplôme, la singularité qui a fait le succès de leurs établissements.

Le tournant de la cinquantaine n’épargne pas le diplôme universitaire de technologie (DUT). Instauré en 1966 en vue d’encourager la poursuite d’études dans le supérieur, le DUT engage sa transformation en un diplôme bac +3, pour s’inscrire notamment dans le cadre européen Licence, master, doctorat (LMD). La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (Mesri), Frédérique Vidal, a confirmé le 11 juillet dernier, lors d’une réunion avec les partenaires sociaux, que cet allongement de la scolarité des IUT (instituts universitaires de technologie) passait, selon elle, par la création d’une "licence professionnelle de technologie".

Ce parcours de formation en trois ans devrait accueillir 50% de bacheliers technologiques, précise la ministre, et offrir des passerelles avec les licences professionnelles, mais aussi avec les licences générales ou encore les BTS. Le DUT serait, quant à lui, maintenu comme "un diplôme intermédiaire". Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une réforme plus globale du premier cycle postbac qui devrait être présentée au mois d’octobre prochain devant le Cneser (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche). "Sans doute cette réforme doit-elle encore être discutée, affinée. Mais les grandes lignes sont désormais dessinées", tranche Frédérique Vidal.

Concrètement, la Mesri propose de bâtir cette troisième année sur le socle des licences professionnelles actuellement délivrées dans les IUT en leur conférant une véritable "coloration technologique". "Cette licence professionnelle de technologie obéirait, bien entendu, à nombre de dispositions communes avec les licences professionnelles. Mais parce qu’elles sont le signe d’une voie technologique qu’il convient de reconnaitre, des dispositions spécifiques devaient leur être également appliquées", indique la ministre.

Les directeurs d’IUT en désaccord

La proposition du Mesri ne recueille pas l’assentiment de l’Assemblée des directeurs d’IUT (Adiut), qui a quitté la concertation au début de l’été et voté contre le projet le 1er juillet dernier lors de son assemblée générale. "Le positionnement proposé et les conditions de mise en œuvre associées […] apparaissent comme insuffisants pour donner une pleine réalité à l’ambition du projet de réforme du DUT", regrette l’Adiut.

L’instance présidée par Alexandra Knaebel espérait obtenir le maintien d’un diplôme propre aux IUT tout en repositionnant son bac +2 dans le cadre européen Licence, master, doctorat. Elle avait défendu en ce sens un "DUT en 180 ECTS" ou encore une "licence universitaire de technologies". Mais, pour le ministère, ces propositions portaient notamment le risque de voir cohabiter dans l’enseignement supérieur trois voies distinctes – une générale, une professionnelle et une technologique –, avec la menace de reproduire à l’université les trois séries du baccalauréat et "de créer trois formations tubulaires sans échanges d’étudiants, d’enseignants et d’enseignements".

Sofiane Tahi, directeur de l’IUT de l’Oise, redoute de son côté que la future licence ne vienne remettre en cause l’autonomie des IUT, garantie par l’arrêté L713-9 du Code de l’éducation. Il indique également que l’association nouvellement créée des directeurs d’IUT des Hauts-de-France "veillera à ce que ce nouveau diplôme conserve une dimension nationale, afin qu’il n’y ait pas de différenciation entre les territoires".

Dérive du DUT

Gérôme Canals, directeur-adjoint de l’IUT Charlemagne à Nancy s’inquiète de voir les IUT délivrer "un sous-diplôme de la licence professionnelle". "Les licences pro conservent une vocation d’insertion immédiate sur le marché de l’emploi, en lien avec les besoins spécifiques d’un bassin d’emploi. De leur côté, les DUT demeurent plus généralistes et dispensent un socle de compétences basées sur des pratiques", remarque-t-il.

La création d’une troisième année constitue pourtant une demande ancienne des IUT. La licence est en effet le diplôme "roi" dans les pays anglo-saxons. Par ailleurs, le DUT a dérivé au fil des années vers "une forme de classe préparatoire qui incite les bacheliers technologiques à privilégier les BTS ou la fac", regrette Françoise Lambert, secrétaire nationale du Sgen-CFDT.

Le patronat n’est pas du tout prêt à faire évoluer le BTS vers un bac +3, dans un contexte où la moitié des titulaires se dirigent vers l’emploi.
(T. Reygades)

Le taux de poursuite d’étude y atteint 90%, contre, 40% après un BTS et 30% après une licence professionnelle, comme l'ont pointé Rodolphe Dalle et François Germinet dans un rapport sur la professionnalisation du 1er cycle postbac. Selon les coauteurs du document remis le 31 janvier 2019 au Mesri, l’enjeu d’une prolongation de la scolarité en IUT est également de répondre à l’augmentation des besoins des entreprises en professions intermédiaires (technicien supérieur, agent de maitrise), ainsi qu’au souhait affiché par de plus en plus d’écoles de créer des Bachelors reconnus au grade de licence.

Le BTS, grand absent du projet de réforme

Difficile pour l’instant de prévoir quel pourrait-être l’impact d’une évolution du DUT sur le BTS, grand absent du projet de réforme du premier cycle universitaire. "Le BTS n’est certes pas reconnu dans l’organisation LMD, mais ce cadre est avant tout destiné à accroitre la mobilité étudiante en Europe. Le niveau bac +2 est, en revanche, largement identifié par le cadre européen des certifications. Et le patronat n’est pas du tout prêt à faire évoluer le BTS vers un bac +3, dans un contexte où la moitié des titulaires se dirigent vers l’emploi. Cela ferait exploser les conventions collectives", prévient Thierry Reygades, secrétaire national du Snes-FSU.

La France ne se retrouve-t-elle finalement pas empêtrée dans la singularité que constituent ses DUT et ses BTS au niveau européen ? "Au cours des 40 dernières années, la France a comblé le retard qu’elle avait sur un grand nombre de pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) concernant le niveau de formation de sa population. Les IUT et les BTS y ont largement contribué. Développer un bac +2 est d’ailleurs devenu aujourd’hui une priorité du gouvernement italien", relève Éric Charbonnier, analyste à la direction Éducation et compétence de l’OCDE, qui juge que les IUT pérennisent désormais un système inégalitaire.

"Les IUT ont été victimes de leur succès. Les bacheliers des filières professionnelles y sont parfois privés de places, au détriment de ceux des filières générales, et se retrouvent en échec scolaire dès la première année universitaire, poursuit-il. Il est nécessaire de réfléchir aux contenus pédagogiques souvent trop théoriques de certaines licences et de développer encore davantage les licences professionnelles, en vue de valoriser les licences pour les employeurs et d’offrir davantage de chance aux bacheliers professionnels d’entrer en IUT."

Philippe Bohlinger | Publié le