Le Hcéres demande un programme national pour les mathématiques à l'horizon 2030

Clément Rocher Publié le
Le Hcéres demande un programme national pour les mathématiques à l'horizon 2030
Hugo Duminil-Copin, co-laureat de la medaille Fields 2022, mathématicien français, enseigne à la faculté des sciences de l'université de Genève. // ©  Laurent COUSIN/HAYTHAM-REA
Les mathématiques sont une discipline clé dans le paysage académique et scientifique français. Mais une analyse portée par le Hcéres et menée par un comité d'experts scientifiques révèle des fragilités. Le comité propose ainsi la mise en œuvre d'un programme national pour les mathématiques à l'horizon 2030.

Le mercredi 9 novembre 2022, le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) a présenté sa synthèse nationale et de prospective sur les mathématiques. Ce travail de fond mené par un comité d'experts scientifiques dresse un tableau très précis des mathématiques en France aujourd'hui.

Le comité propose 21 recommandations spécifiques et encourage la mise en place d'un programme français pour les mathématiques à l’horizon 2030 afin de maintenir le rang des mathématiques françaises au niveau international et répondre aux besoins économiques et enjeux sociétaux.

La place de la France en recherche mathématique, un trompe-l'œil ?

La valeur internationale de la recherche mathématique française est indéniable. La France occupe une place de premier plan à l'international avec 13 médailles Fields, dont la dernière en 2022 remportée par Hugo Duminil-Copin, qui enseigne à l'université de Genève. Et héberge le premier laboratoire de mathématiques au monde à Paris-Saclay selon le classement de Shanghai. Mais le risque de déclassement est perceptible selon le comité d'experts.

"La reconnaissance internationale des mathématiciens français et son dynamisme sur l’ensemble du territoire permet de brosser un tableau très flatteur. Mais c'est un trompe-l'œil. C'est même inquiétant par certains aspects", interpelle Marc Peigné, président du comité, qui émet plusieurs points d'alerte.

Manque de moyens pour développer la recherche et les compétences mathématiques

Car les enjeux sont grands pour la communauté mathématique qui doit répondre dans les années à venir à un besoin considérable de mathématiciens dans les entreprises et la société. "Les besoins liés aux technologies du numérique augmente mais il y a une baisse du vivier […]", poursuit Marc Peigné.

La reconnaissance internationale des mathématiciens français et son dynamisme sur l’ensemble du territoire permet de brosser un tableau très flatteur. Mais c'est un trompe-l'œil. (M. Peigné, président du comité d'experts)

Et le manque d'investissement public dans la recherche française est pointée du doigt. "La recherche a besoin d’être soutenue et financée. On constate une baisse d'enseignants-chercheurs de 8% en 20 ans : il est urgent de renforcer son potentiel humain […] Beaucoup d’universités ne sont pas conscientes de la priorité à mettre aux mathématiques", estime le président du comité.

Le rapport met également en évidence la fragilité financière dans le domaine. "Le financement repose sur des sources non pérennes. Cela fragilise la communauté mathématique et altère sa capacité à répondre aux grands enjeux." Mais le comité ne se prononce pas sur un montant financier précis. "Ce n’est pas la mission du comité. Ce seront aux acteurs et décideurs de prendre en compte nos recommandations."

Créer 100 contrats doctoraux supplémentaires par an pendant dix ans

Autre constat du comité d'expert, la France ne forme pas suffisamment de docteurs en mathématiques. Le comité estime à ce titre qu'il faudrait créer 100 contrats doctoraux supplémentaires par an pendant dix ans et propose un programme post-doctoral national pour retenir les jeunes diplômés et attirer les talents scientifiques de l'étranger.

Le financement repose sur des sources non pérennes. Cela fragilise la communauté mathématique et altère sa capacité à répondre aux grands enjeux. (M. Peigné)

Les titulaires d'un doctorat rencontrent par ailleurs des difficultés à s'insérer dans le monde du travail au regard de leurs compétences acquises. "Le diplôme d'ingénieur reste la référence dans les entreprises. Le doctorat n’est pas reconnu à sa juste valeur alors qu'une part importante des doctorants ont vocation à irriguer le tissu économique", affirme Marc Peigné.

Le comité recommande notamment de soutenir les dispositifs proposant aux doctorants et post-doctorants une formation aux enjeux et pratiques du monde socio-économique.

L'impact de la désaffection des mathématiques chez les jeunes

Autre point d'alerte, le comité s'inquiète de la formation en mathématiques au lycée et du niveau d'entrée des élèves dans l'enseignement supérieur. "Il est évident que la faiblesse de l’enseignement des mathématiques dans le premier et le deuxième degrés fragilise la formation des citoyens de demain. Cela aura un impact sur le potentiel d’innovation", précise le président du comité, qui préconise une modification de l'enseignement des mathématiques avec une plus forte prise en compte de l'interdisciplinarité.

Le rapport montre également la désaffection pour les sciences des jeunes filles dans l’enseignement secondaire. "Le bilan est catastrophique. Il y a une inefficacité des différentes actions pour attirer les jeunes femmes." Afin de pallier cette situation, le comité recommande la mise en place de leviers d'actions comme des journées d’informations, de bourses d’étude, ou de mentorat par exemple.

Clément Rocher | Publié le