Réforme du bac : vers une orientation (trop) précoce ?

Cécile Peltier, Erwin Canard, Laura Taillandier - Mis à jour le
Réforme du bac : vers une orientation (trop) précoce ?
Jean-Michel Blanquer a annoncé mercredi 14 février une réforme du bac qui aura des conséquences importantes sur les processus d'orientation des lycéens. // ©  Nicolas Tavernier / R.E.A
Le bac nouvelle formule devrait renforcer le continuum bac–3/bac+3. Les acteurs de l'enseignement secondaire comme du supérieur s'en félicitent mais craignent que la réforme réduise prématurément le champ des possibles pour les lycéens. Et soit ainsi facteur d'une hausse des inégalités.

"Au-delà du bac." En réformant l'examen validant le premier grade de l'enseignement supérieur, le ministre de l'Éducation nationale souhaite améliorer la transition enseignement secondaire-enseignement supérieur, le bien connu "bac–3/bac+3". Jean-Michel Blanquer l'a répété mardi 20 février, lors de son audition à la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale : "L’esprit de la réforme du baccalauréat peut se résumer en une phrase : comment, en préparant les élèves au baccalauréat, les préparer à réussir au-delà du bac."

La prise en compte, dans Parcoursup, de certaines notes du futur baccalauréat est plutôt bien perçue par les acteurs du secondaire comme du supérieur. "Cela permettra d’avoir plusieurs modalités d’évaluation du dossier", assure Stéphane Coviaux, président de l’APPLS (Association des professeurs de premières et de lettres supérieures). "Actuellement, les établissements du supérieur ne peuvent s'appuyer que sur des fiches avenir dont ils ne savent pas vraiment ce qu'elles recouvrent. Ils bénéficieront désormais des résultats des deux épreuves de spécialités", renchérit Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, principal syndicat des chefs d'établissement du secondaire.

Faire correspondre spécialités et attendus

Pour les différents acteurs interrogés, la mise en place de spécialités au choix des lycéens (trois en première, deux en terminale, en plus d'un tronc commun) permettra de renforcer le continuum entre secondaire et supérieur. "Un lycéen pourra faire plus de maths ou plus d’histoire-géo selon son projet. Telle matière sera plus intéressante pour tel type d’études… Et le travail d’orientation renforcé au lycée éclairera sur les conséquences du choix de ces matières", prédit François Germinet, le président de l'université de Cergy-Pontoise, en charge de la formation et de l'insertion professionnelle à la CPU (Conférence des présidents d’université).

Une adéquation soulignée également par le président de l'APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales). "Les profils qui auront choisi SES et langues, par exemple, devraient pouvoir intégrer une prépa ECE (option économique), ceux qui ont opté pour les maths et les langues, ou la géopolitique, une prépa ECS (option scientifique)", illustre Alain Joyeux. De même, "un élève qui choisira la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques aura un volume horaire conséquent qui facilitera son intégration en classe préparatoire", estime Bruno Modica, président des Clionautes, association de professeurs d’histoire-géographie.

Philippe Tournier émet une condition à ce que la réforme remplisse cet objectif : "L'enseignement supérieur devra expliciter, formation par formation, s'il y aura des conditions de choix de spécialités pour entrer dans une filière du supérieur. Et il ne faudra pas attendre 2021 lorsque les premiers élèves passeront le nouveau bac."

L’enseignement supérieur devra expliciter s’il y aura des conditions de choix de spécialités pour entrer dans une filière du supérieur.
(Ph. Tournier)

Un choix de spécialités crucial

Encore faudra-t-il pour les lycéens faire les bons choix de spécialités, dès la fin de la seconde, au risque de se voir fermer des portes dans le supérieur. "La série ES offrait un parcours cohérent avec des SES, des maths, de la philosophie et des langues, rappelle Erwan Le Nader, président de l'APSES (Association des professeurs de SES). Désormais, un élève pourra prendre des SES sans faire de maths et se fermera alors de nombreuses portes de l'enseignement supérieur. Par exemple, il n'est pas possible de se diriger vers une licence d'éco-gestion sans faire de maths."

Même son de cloche chez Serge Lacassie, président de l'APBG (Association des professeurs de biologie et de géologie) : "Deux spécialités en terminale posent problème car les élèves à vocation scientifique devront choisir entre maths, physique-chimie et SVT et abandonner un des trois. Je suis inquiet pour ceux qui viseront les prépas bio, qui comportent plus ou moins le même nombre d'heures de ces trois disciplines. J'espère que le fait de ne pas choisir mathématiques, par exemple, ne sera pas rédhibitoire."

La disparition des mathématiques du tronc commun reste sensible. "Nous sommes inquiets de la disparition des maths du tronc commun, souligne ainsi Alice Ernoult, présidente de l'APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public). Pour l'orientation dans le supérieur, il y a énormément de filières qui nécessitent des connaissances en mathématiques, même certaines qui recrutent des profils plutôt littéraires comme la psychologie ou la philosophie." Selon elle, de nombreux élèves choisiront la spécialité mathématiques par stratégie d'orientation et non par goût, allant ainsi à l'inverse de l'objectif affiché de la réforme de coordonner davantage les enseignements avec les souhaits des élèves.

On ne met pas les jeunes dans des tubes desquels ils ne pourront pas sortir. On leur permet de se poser les bonnes questions.
(F. Germinet)

Des viviers suffisants ?

Ces évolutions pourraient aussi avoir des conséquences négatives pour les filières scientifiques du supérieur. "Les écoles d’ingénieurs postbac espèrent qu’un nombre suffisant d’élèves optera pour les spécialités mathématiques et physique-chimie, toutes deux indispensables pour intégrer une école d’ingénieurs, et permettra de maintenir un vivier suffisant", souligne Philippe Regimbart, délégué général de la CGE (Conférence des grandes écoles).

De son côté, Alain Joyeux alerte sur un éventuel "scénario où un couple de spécialités deviendrait la voie unique pour intégrer une prépa aux écoles de management, rendant notre vivier beaucoup plus faible". Et de se demander : "Est-ce que les lycées seront tous en mesure d’offrir la trentaine de combinaisons de spécialités à leurs élèves ? L'inverse serait dommage. Nous souhaitons pouvoir recruter dans tous les lycées." Jean-Michel Blanquer a pourtant laissé entendre qu'il serait difficilement possible que chaque lycée puisse proposer l'ensemble des "doublettes".

Un jeune ne sait pas toujours, en seconde ou même en première, ce qu’il veut faire ! (E. Le Nader)

Vers un accroissement des inégalités ?

De là à accroître les inégalités sociales ? Certains s'interrogent. "Un jeune ne sait pas toujours, en seconde ou même en première, ce qu'il veut faire ! Plus il y a une marge de liberté dans les choix, plus cela profite aux mieux informés", alerte Erwan Le Nader. "C'est extrêmement discriminant d'un point de vue social, pour des jeunes qui à 15 ans n'ont pas forcément une grande ouverture sur le monde, qui n'ont pas encore rencontré l'art… Cela renforce l'aspect stratégique du lycée", complète Alice Ernoult.

Un faux problème, pour Philippe Tournier : "Les élèves devaient déjà se positionner tôt avec un choix de série en fin de seconde et qui était difficilement réversible", rappelle-t-il. "On ne met pas les jeunes dans des tubes desquels ils ne pourront pas sortir. On leur permet de se poser les bonnes questions", répond quant à lui François Germinet. Selon lui, les parcours adaptés mis en place avec la réforme du supérieur permettront également de corriger le tir : "Un étudiant qui change d’avis ou fait le choix d’une formation un peu éloignée des spécialités suivies au lycée pourra compléter les savoirs qui lui manquent. Le Plan étudiants et la modification de l’arrêté licence vont renforcer la possibilité de faire des parcours modulaires en deux, trois ou quatre ans. Le fait que l’on soit dans cet état d’esprit peut permettre de faire du bac ce point charnière." Les acteurs et les familles ont désormais trois ans pour s'y préparer.

Cécile Peltier, Erwin Canard, Laura Taillandier | - Mis à jour le