Dans les coulisses de la levée de fonds de Sciences po Paris

Jean Chabod-Serieis Publié le
Dans les coulisses de la levée de fonds de Sciences po Paris
Avec sa campagne massive de levée de fonds, l’IEP de Paris compte bien augmenter la part du mécénat dans le budget de l’établissement, qui est actuellement de 9%. // ©  Sciences-po
Avec un objectif de 100 millions d’euros d’ici 2022, date anniversaire de ses 150 ans, Sciences po Paris lance la plus grande campagne de levée de fonds de son histoire. Baptisée Campus 2022, elle s'appuie notamment sur ses anciens diplômés devenus chefs d’entreprise, et vise à financer son développement national et international.

À Sciences po Paris, les campagnes de levées de fonds, c’est la routine. L’établissement récolte chaque année "entre 15 et 20 millions d'euros, taxe d’apprentissage comprise", rappelle Nathalie Jacquet, la directrice de la stratégie et du développement. Parallèlement, l'Institut organise des campagnes de levées de fonds pluriannuelles dont les objectifs sont plus ambitieux encore, et desquelles la taxe d’apprentissage est exclue du calcul.

La dernière en date de ces campagnes, baptisée Campus 2022, ambitionne de lever pas moins de 100 millions d'euros en quatre ans, un chiffre encore jamais atteint par l’établissement. La précédente grande levée de fonds, s'étendant de 2007 à 2013, avait permis de lever 40 millions d'euros.

L’école parisienne aime à rappeler qu'elle doit sa fondation, en 1872, à des "dons d’actionnaires et de bienfaiteurs" réunis par son créateur Émile Boutmy. Et que son histoire est ainsi, dès l'origine, liée au mécénat. Celui-ci représente aujourd’hui 9 % du budget de l’établissement. "Avec Campus 2022, l’idée est d’augmenter cette part", explique Nathalie Jacquet, sans préciser davantage l’objectif que souhaite atteindre l’Institut.

"Le reste de notre budget provient à 33 % des droits de scolarité, à 37 % de la dotation de l’État, les 21 % restants venant de la formation continue et de la vente de services." Et de rappeler que "la dotation de l’État n’a pas baissé depuis le début des années 2000, mais elle a chuté en valeur relative car nous sommes passés en quinze ans de 3.500 à 14.000 étudiants."

Le PDG de Carrefour en tête de la campagne

Pour réunir une telle somme, l’IEP (Institut d’études politiques) de Paris s’est donc lancé dans une campagne de séduction des entreprises et des donateurs individuels, en misant sur des relais éprouvés : les anciens diplômés devenus patrons. Avec, en tête, Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour. Cet ancien diplômé de Sciences po, dont le groupe finançait déjà une chaire, a accepté la proposition de l’établissement de présider le comité de campagne.

Il regroupe une douzaine d’ambassadeurs (alumni ou pas), tous à la tête de grandes entreprises, que ce soit dans le secteur bancaire, industriel, technologique, ou encore des services. "La tâche de chacun est de démultiplier notre effort de campagne, justifie Nathalie Jacquet qui rappelle qu’au total, une centaine de grandes entreprises sont partenaires."

Vu les sommes visées, l’établissement s’est fait accompagner, dans la phase de stratégie de janvier à septembre 2018, par une agence spécialisée en levée de fonds. Début octobre, il a annoncé publiquement le lancement de Campus 2022, dont les collectes avaient commencé… fin 2015. "C’est une pratique courante dans le monde anglo-saxon du mécénat : une phase dite 'silencieuse' précède la phase publique et lorsqu’on annonce la levée de fonds, c’est qu’on a déjà réuni au moins la moitié de la somme."

Et en effet, Sciences po Paris a déjà levé 39 millions d'euros, auxquels s’ajoutent 8 millions d'euros de promesses de dons. Le reste à réunir pendant la phase publique : 53 millions d'euros.

Trois fonds collecteurs

Les dons sont collectés par trois entités, relevant toutes de Sciences po Paris. La principale est la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Reconnue d’utilité publique, elle fait partie intégrante de l’IEP de Paris et réunit sous sa houlette les sept campus de l’établissement, dont celui de la rue Saint-Guillaume, le futur campus de l’Artillerie (dans le 7e arrondissement de Paris) et le campus de Reims.

Les deux autres sont la Sciences Po American Foundation et le UK Charity Trust : le premier collecte sur le sol américain et le second sur le territoire britannique, "parce qu’il n’est pas toujours facile ni avantageux de verser de l’argent en France pour un résident fiscal à l’étranger", rappelle Nathalie Jacquet, qui ajoute qu'"un diplômé sur deux est étranger. Beaucoup d’entre eux résident à Londres et à New York."

Quant à l’association Sciences po Alumni (qui avait levé 6,3 millions d'euros en 2016), elle garde son propre budget et lève des adhésions pour son compte.

L’immobilier attire plus de donateurs

Les 100 millions d'euros visés financeront plusieurs projets dont les plus importants sont le nouveau campus de l’Artillerie (14.000 m2), la poursuite de la politique d’égalité des chances, la création de nouvelles chaires, le lancement de bourses d’excellence, le développement de partenariats avec des établissements africains.

Pour attirer les donateurs, Sciences po Paris a mis au point une stratégie de séduction reposant sur trois piliers : "D’abord, il y a nos programmes qui concourent à l’égalité des chances, amorce Nathalie Jacquet, dont l’objectif est de permettre à tous les publics de suivre leurs études supérieures chez nous. Il y a ensuite l’innovation pédagogique et la recherche avec nos chaires partenariales. La dernière en date est une chaire sur l’entrepreneuriat des femmes, soutenue par Chanel, le fonds Axa pour la recherche, Goldman Sachs et PepsiCo. En tout, nous abritons 3 chaires* financées par ce biais, et 6 autres sont en projet. Enfin, le troisième pilier est l’immobilier, avec la création du campus de l’Artillerie, puis la rénovation de la totalité du campus parisien. C’est sur ce pilier que nous recensons le plus de donateurs individuels ; pour les dons les plus importants, nous proposons d’ailleurs la nomination d’espaces du campus."

Fundraising en France : une histoire récente

La pratique des levées de fonds massives est récente en France, de même que le recours à des fondations, alors qu'elle est traditionnelle dans le monde anglo-saxon. Ce n’est qu’en 2007, au moment où est votée la loi LRU relative aux libertés et responsabilités des universités, que la pratique se structure : les établissements créent des fondations et des chaires pour attirer les grandes entreprises. Selon l’Association française des fundraisers (AFF), "39 fondations ont été créées à ce jour dans l’enseignement supérieur, dont 24 fondations universitaires et 15 fondations partenariales".

Et, dans un univers mondialisé où la concurrence entre grands établissements de l’enseignement supérieur est exacerbée, les alumni sont devenus des cibles comme les autres permettant d’accéder à des niveaux de collecte jamais atteints. En 2013, HEC levait 112 millions d'euros après cinq ans de campagne. En 2016, la fondation de l’École polytechnique lançait sa deuxième campagne de levée de fonds, avec comme objectif 80 millions d'euros d’ici 2021. À ce jour, 50 millions d'euros ont été collectés.

*Les deux autres sont la chaire Santé et la chaire Mutations de l'action publique et du droit public (MADP).

Jean Chabod-Serieis | Publié le