Lutte contre les discriminations dans le supérieur : "Il faut une volonté politique et des moyens"

Malika Butzbach Publié le
Lutte contre les discriminations dans le supérieur : "Il faut une volonté politique et des moyens"
Discrimination supérieur // ©  Kasto / Adobe Stock
De plus en plus d'études mettent en lumière des pratiques discriminatoires au sein des établissements de l'enseignement supérieur. Ces observations appellent à des réponses. Et celles-ci doivent être avant tout globales, estiment les acteurs.

L'enseignement supérieur n'est pas épargné par les discriminations, qu'elles soient racistes, antisémites, sexistes ou liées à l'orientation sexuelle. Depuis quelques années, des enquêtes sociologiques s'emparent du sujet pour l'étudier dans sa complexité.

Enseignants-chercheurs se retrouvent à observer les pratiques discriminatoires au sein mêmes des établissements où ils exercent. "Le glissement est récent : les premières études françaises sur ce sujet sont apparues il y a une vingtaine d'années", pointe Yannick L'Horty, économiste et directeur de l'Observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (Ondes). "Nous sommes en retard par rapport aux anglophones. Peut-être qu'auparavant, on préjugeait qu'à l'université, les principes d'égalité et de méritocratie prévalaient."

La discrimination dans le supérieur, une problématique spécifique

Pendant longtemps, cette question a été effacée au profit de celle de l'égalité des chances et des inégalités selon l'origine sociale. Une dimension aussi plus facile à étudier via des indicateurs stables, tels que le taux de boursiers ou la catégorie socioprofessionnelle (CSP) des parents.

"La discrimination, quelle qu'elle soit, est une problématique spécifique puisque les différences de traitements ne sont pas toujours constatées par les victimes", souligne le directeur d'Ondes. Cet observatoire s'est d'ailleurs créé afin de documenter les pratiques de discrimination dans l'enseignement supérieur, à travers des études rigoureuses et scientifiques.

La discrimination, quelle qu'elle soit, est une problématique spécifique puisque les différences de traitements ne sont pas toujours constatées par les victimes. (Y. L'Horty, Ondes)

"Ces études sont bienvenues car nous manquons de chiffres, s'enthousiasme Romain Montbeyre, responsable du secteur étudiant de SOS Racisme. Dans nos permanences, nous avons beaucoup d'étudiants qui soupçonnent d'avoir été discriminés mais peinent à le prouver. Ces enquêtes leur permettent d'objectiver leur vécu et leur ressenti."

Trois méthodes pour mesurer les discriminations

En sociologie, trois méthodes permettent de mesurer ces discriminations, comme l'illustrent les récentes études sur le sujet. En premier lieu, les chercheurs peuvent mener des enquêtes de victimation : des personnes sont sollicitées via un questionnaire afin qu'elles relatent leurs expériences. C'est le cas de l'enquête Acadiscri, lancée en 2018, et dont les premiers résultats ont été dévoilés à l'automne 2022.

Ainsi, plus de la moitié des personnels d'une université francilienne déclarent avoir subi au moins un type de traitement inégalitaire. Dans une autre université de l'ouest de la France, ce sont 20% des étudiantes qui déclarent avoir été confrontées à des situations sexistes, soit une sur cinq, et, pour la moitié d'entre elles, de manière répétée.

Une autre méthodologie part des plaintes et réclamations que l'on recense sur certaines plateformes. L'usage des saisines du Défenseur des droits, également soutien du projet Acadiscri ou de l'Ondes, sont une ressource intéressante, bien que biaisée.

"Les recours sont très peu nombreux. Le premier frein est la méconnaissance des droits des procédures et des dispositifs parmi les personnels et les étudiants", décrivait Géraldine Bozec, sociologue et participante à Acadiscri, lors de la présentation des résultats le 22 octobre dernier.

Enfin, l'autre méthode est celle du testing, déjà utilisée pour mesurer les discriminations d'accès. La dernière enquête de l'Ondes a mis en lumière que, lorsqu'ils demandent des informations concernant la procédure de sélection de master, les candidats et candidates d'origine maghrébine ont 11% de chances de moins de recevoir une réponse que les candidats avec un patronyme français.

"La pratique du testing s'intéresse davantage aux discriminants qu'aux discriminés, pointe Yannick L'Horty. Les trois méthodes sont complémentaires."

Une réponse politique globale nécessaire

Ces études qui visent à mettre en lumière les pratiques discriminatoires dans le supérieur appellent également des actions.

Si, depuis 2015, un ou une référente au racisme et à l'antisémitisme est nommé dans chaque établissement, "cela ne renvoie pas à une politique globale, analyse Philippe Liotard, président de la conférence permanente des chargé.e.s de mission égalité-diversité (CPED). Les actions sont ciblées, par exemple sur les violences sexistes et sexuelles, contre les discriminations racistes ou à l'encontre des LGBTQI+ ou des personnes non valides…"

Il rappelle toutefois qu'un kit de prévention des discriminations a été lancé en décembre 2021 par la CEPD pour accompagner les référents égalité, racisme et antisémitisme et laïcité des établissements, et impulser la mise en œuvre de politiques plus globales.

Former les personnels et les étudiants

Toutefois, des résistances perdurent, constatent les chercheurs qui ont mené ces études. "Ces résistances peuvent être politiques mais aussi simplement involontaires, avec un déni très fort, estime le président de la CPED. Mais c'est aussi parce que les critères de discriminations évoluent. De nouveaux critères sont ajoutés parce qu'ils ont été constatés, notamment à travers les saisines du Défenseur des droits."

Il faut une volonté politique et des moyens. (P. Liotard, CPED)

Lui met en avant le rôle de la formation de tous, personnels comme étudiants. Mais également la nécessité d'un volontarisme politique sur ces questions, alors qu'un groupe de travail dédié a été mis en place au sein de France Universités.

"À mes yeux, la solution serait de nommer, dans chaque établissement un ou une vice-présidente égalité diversité et inclusion. Cela devient d'ailleurs la norme au niveau européen, souligne Philippe Liotard. Mais il faut également mettre en place un service dédié à ces questions. Autrement dit, il faut une volonté politique et des moyens."

Malika Butzbach | Publié le