Les écoles d’art territoriales vont-elles disparaître ?

Amandine Sanial Publié le
Les écoles d’art territoriales vont-elles disparaître ?
esad valenciennes // ©  photo fournie par l'établissement
Depuis plusieurs mois déjà, professeurs comme étudiants alertent sur la situation dégradée des écoles d'art territoriales. Alors que plusieurs établissements sont menacés de fermeture, principalement pour des raisons budgétaires, les collectivités et l’État se renvoient la balle.

Cela fait plusieurs années que la plupart des écoles d'art territoriales sont au bord du gouffre. Après la fermeture de l’école de Perpignan en 2016, c’est celle de Valenciennes, la plus ancienne de France, qui est en péril. L’école ne prend plus de nouveaux étudiants, et doit fermer définitivement d’ici deux ans. À Chalon-sur-Saône, l’École Média Art est, elle aussi, menacée de fermeture.

Il faut dire que cette situation critique a explosé cette année. En mars, la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, avait reconnu que les 33 écoles d’art territoriales faisaient face à "d’importantes difficultés financières", et annoncé un plan d’urgence de deux millions d’euros pour les sauver.

Une aide bien en-deçà des besoins, selon l’inter-organisation Écoles d'art et design en lutte, regroupant syndicats enseignants et étudiants de ces écoles, qui chiffre ce besoin à 20 millions d’euros.

Ainsi, le Sénat votait, le 7 décembre, un amendement pour augmenter de 16 millions d’euros les subventions de l’État aux écoles d’art et de design territoriales. Une proposition qui a peu de chance d'être actée dans le projet de loi de finance.

Un manque de moyens généralisé dans les écoles d'art

Pour tenter de trouver une porte de sortie, deux rapports ont été publiés : le premier, dont les conclusions ont été rendues en avril, émane du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Le second, commandité par le ministère de la Culture et rédigé par Pierre Oudart, ancien directeur des Beaux-Arts de Marseille, a été publié en octobre.

Les deux s’accordent sur l’origine du mal : la situation d’urgence que connaissent les écoles d’art territoriales résulte d’un manque de financement, accentué par la hausse des prix des matières premières.

À ce problème s’ajoute la hausse du point d’indice des fonctionnaires, dans des établissements souffrant déjà d’un sous-financement chronique. Or, dans les écoles d’art, plus de 80% du budget est consacré à la masse salariale. Ainsi, pour le Hcéres, "toute diminution de subvention se traduira par une suppression de poste".

Le statut d'EPCC des écoles pointé du doigt

Au-delà de la crise structurelle, si les écoles territoriales sont aujourd’hui en danger, c’est qu’elles pâtissent d’un statut particulier. Longtemps gérées en régie municipale directe, les 33 écoles ont changé de statut en 2011 pour devenir des établissements publics de coopération culturelle (EPCC), financés très majoritairement par les collectivités locales.

L’État n’intervient, quant à lui, qu’à hauteur de 10% en moyenne dans leur financement. Ainsi, les écoles d'art territoriales, qui regroupent 8.000 étudiants, sont tributaires des décisions politiques des villes et métropoles.

C’est le cas de l’ESAD de Valenciennes, contrainte de fermer en 2025 après des baisses successives de subventions de la mairie. Une catastrophe attendue dont l’État se défend : "On ne peut pas en attribuer l’origine à une baisse du budget de l’État", affirme la ministre Rima Abdul Malak aux députés, lors de son audition sur le projet de loi de finances 2024, le 25 octobre dernier. "Que celui-ci ne soit pas suffisant, je veux bien l’entendre, mais l’État ne s’est à aucun moment désengagé."

Plusieurs écoles territoriales d'art au bord de la fermeture

Et l’école de Valenciennes n’est pas la seule école menacée. À Chalon-sur-Saône, les étudiants et professeurs de l’École Média Art sont inquiets depuis que le président de l’agglomération, qui finance l’établissement à plus de 90%, a laissé entendre que l’école pourrait fermer ses portes.

Un aveu à demi-mot qui ne laisse aucun doute, pour les agents de l’école. "Pour nous, le signal est très clair", témoigne l’un d’eux, qui souhaite rester anonyme. "C’est une décision politique forte qui met en péril la culture. C’est d’autant plus grave qu’il n’y a pas d’autre école d’art en Saône-et-Loire."

Pour justifier une éventuelle fermeture, le président de l’agglomération Sébastien Martin met en avant l’avis des "autorités de tutelle" et du Hcéres. Dans son rapport, le Haut Conseil estime que "beaucoup de choses sont à reconstruire dans cette école" et que "plusieurs démarches d’urgence (…) sont incontournables", parmi lesquelles "envisager un rapprochement statutaire avec d’autres écoles d’art" mais il ne préconise pas pour autant la fermeture de l’école.

Une fausse excuse, pour le collectif Écoles d'art et design en lutte : "L’agglomération cherche à camoufler sa volonté propre de mettre fin à l’enseignement supérieur de l’École Média Art derrière une prétendue injonction ministérielle", fustige l’inter-syndicale dans un communiqué.

L'Association nationale des écoles supérieures d’art (Andéa), le 11 décembre, réagit, elle aussi, à cette menace de fermeture "brutale". L'Andéa estime qu'une "école qui ferme, c’est un territoire qui se replie sur lui-même" et que "toutes les pistes doivent être explorées pour sauver l’école". Plus généralement,  l'association insiste sur "la nécessité d’un réseau d’écoles supérieures d’art couvrant l’ensemble du territoire, garantissant un enseignement supérieur artistique de proximité et de qualité".

À Toulouse, la mairie renfloue l’école pour la sauver

Partout ailleurs, étudiants et professeurs multiplient manifestations et occupations des locaux pour alerter sur la situation dramatique des écoles d’art territoriales, qui touche jusqu’à la direction.

En témoignent les multiples défections de directeurs et directrices d’établissement. Estelle Pagès, directrice de l’Ensab à Lyon, a, par exemple, annoncé sa démission lors de la conférence de rentrée. Au Talm à Angers, la situation critique a poussé le directeur Antoine Réguillon à la démission en juin 2022. Et à Brest, le directeur de L'EESAB a quitté l'établissement à la rentrée 2022.

Du côté de Toulouse, le directeur général et le directeur administratif et financier de l'Institut supérieur des arts et de design (IsdaT) sont en arrêt depuis avril. L’IsdaT, qui compte 450 étudiants en art, mais aussi en musique et danse, essuie par ailleurs un déficit d’un million d’euros pour l’année en cours, selon un audit de l’établissement commandité par la ville.

Pour éponger cette dette, Nicole Yardeni, adjointe au maire de Toulouse et présidente du conseil d’administration de l’école, a fait voter une subvention exceptionnelle en conseil municipal. "Une bouffée d’oxygène", explique l’adjointe, qui prévient de son caractère ponctuel. "On ne pourra pas rajouter un million tous les deux ans."

En contrepartie, il est attendu 400.000 euros d'économie de la part de l’école sur le budget 2024. "Il est tout à fait possible de faire des économies, estime Nicole Yardeni. Mais ce n’est pas à la mairie de l’imposer."

Du côté des élèves, on craint que la situation dégradée connue depuis la rentrée se normalise : pénurie de matériel, annulation de conférences, de voyages d’études… "Cela a des conséquences directes : c’est une menace importante sur l'offre pédagogique", s’inquiète Morgane Autain, étudiante en cinquième année à l’IsdaT et syndiquée à la CGT-SELA.

Une clarification nécessaire entre l'Etat et les collectivités

Tout n'est donc pas encore réglé. Si l’État et les collectivités se rejettent la faute, la situation alarmante des écoles d’art territoriales, dont la répartition est inégale "par rapport à ce qu’elle était il y a une dizaine d’années", pose la question de leur statut. C’est même l’une des interrogations principales du rapport Oudart, qui préconise notamment de "clarifier l’épineux problème du financement".

Et en filigrane, de revoir l’apport de l’État à ces écoles, plus qu'"insuffisante", cette contribution "est aussi perçue, sans doute à raison, comme particulièrement inéquitable" d’une école à l’autre.

Amandine Sanial | Publié le