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Témoignage

Mobilisation des étudiants en école d'art : "J'aime profondément mes études et je veux qu'elles survivent"

Les étudiants de l'IsdaT se mobilisent contre la privatisation des écoles d'art territoriales.
Les étudiants de l'IsdaT se mobilisent contre la privatisation des écoles d'art territoriales. © Photo fournie par le témoin
Par Pauline Bluteau, publié le 16 mars 2023
8 min

À Toulouse, Bordeaux, Valenciennes, Poitiers-Angoulême, Besançon… depuis quelques mois, des dizaines d'étudiants ont pris les choses en main pour défendre leur école d'art. Les difficultés financières ont eu raison de leur mobilisation : pour eux, c'est l'avenir de leurs études qui est en jeu.

C'est l'annonce des différents déficits qui a mis le feu aux poudres dans les écoles d'art territoriales publiques. Sur les 35 établissements concernés, au moins un tiers pourrait se retrouver dans une situation financière très difficile à la rentrée 2023. C'est ce qu'affirme l'Inter-organisation "Ecoles d'art et de design en lutte", fondée il y a à peine quelques mois.

"Le mouvement d'occupation à [l'EESI] Poitiers a lancé la mobilisation des étudiants et des personnels dans de nombreuses écoles", raconte Samuel, étudiant à l'ENSCI-Les Ateliers à Paris, militant au Massicot (union syndicale des étudiants en école de création) et désigné officieusement porte-parole de l'Inter-orga.

Après une première mobilisation nationale le 18 janvier dernier, de nouveaux rassemblements se sont tenus le 13 mars, devant le ministère de la Culture et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Avec en tête de cortège, le plus souvent, les étudiants.

Des étudiants en art entre inquiétude et incompréhension

Jade, 22 ans, en cinquième année à l'isdaT (institut supérieur des arts et du design de Toulouse) était loin d'imaginer la tournure des événements. Le 29 novembre dernier, en arrivant à l'école, l'étudiante voit des affiches "vertes qui claquent" pour annoncer la tenue d'une assemblée générale. Elle n'hésite pas, elle y va. "J'apprends les chiffres : 230.000 euros de déficit, ça m'a révoltée", relate-elle, encore surprise par cette journée.

Quelques jours plus tard, un comité de lutte est élu avec des syndiqués, des personnels, des étudiants. "J'ai eu le déclic, j'avais envie d'être active sur mon lieu d'études, pour les étudiants." Une première manifestation s'enchaine devant la mairie le 16 décembre. Le 18 janvier, une soixantaine de personnes inondent l'école de banderoles puis, le 1er février, 250 personnes étaient présentes pour accueillir les membres du conseil d'administration par une "haie de déshonneur".

Entre les voyages et les worshop annulés, le burn-out du personnel administratif, les rapports sur les économies, l'augmentation des frais d'inscription… "Le fait que l'école puisse s'effondrer, c'est une inquiétude supplémentaire, la goutte d'eau", poursuit Jade.

Mobilisation étudiants de l'isdaT
Mobilisation étudiants de l'isdaT © Photos fournies par le témoin

Des étudiants mobilisés pour sauver leur école d'art

Erin a elle aussi sentie le besoin de se mobiliser. En deuxième année à l'Ecole supérieure d'art et de design (ESAD) de Valenciennes, l'étudiante de 22 ans est la présidente de la Zone étudiante libre. À la rentrée prochaine, l'école n'accueillera pas de nouveaux étudiants en première ou deuxième année et se retrouve au bord de la fermeture. "Ce qui m'inquiète, c'est la cessation de paiement, que ce soit déjà trop tard", témoigne la jeune femme.

Le directeur de l'ESAD l'affirme, les étudiants pourront tous terminer leurs études à Valenciennes. Mais certains envisagent déjà de partir. "Ça m'a aussi traversé l'esprit, je l'avoue et je connais des amis qui vont quitter l'école. J'ai du mal à envisager qu'il n'y aura plus personne…", admet Erin.

Au total, une vingtaine d'étudiants "soudés" restent mobilisés. Les enseignants sont aussi là pour leur apporter leur soutien. "Je me dis qu'être impliquée me permet un peu plus de contrôler la situation. Je n'ai pas le choix que de rester optimiste si je veux mobiliser d'autres étudiants", assure Erin.

À l'EESI (Ecole européenne supérieure de l'image) aussi, enseignants et étudiants font cause commune. "C'est grâce aux étudiants que la mobilisation a débuté à Poitiers, on a été très impressionné par leur motivation alors maintenant, on essaie de prendre le relai. C'est ce qu'il y a d'enrichissant, on est tous unis et soudés, c'est formidable", estime Géraldine Longueville, professeure et représentante du personnel de l'EESI.

Dans cette école, le déficit pourrait atteindre jusqu'à 1,9 milliard d'euros en 2026. "L'ambiance n'est pas très joyeuse, les étudiants sont fatigués et on peut difficilement les rassurer parce qu'ils sont très lucides. Mais on se doit de les aider pour les valoriser. On tient, on résiste", affirme la professeure.

La qualité de l'enseignement en danger

Tous les étudiants l'affirment, ils n'ont pas choisi leur école par hasard. Même si la majorité des étudiants ne manifestent pas, tous se sentent concernés. "C'est assez inédit, il y a beaucoup d'étudiants qui prennent part au débat parce que ce sont des questions très concrètes qui sont abordées sur les conditions d'études, la vie étudiante… Les étudiants sont attachés à leur école donc il y a un réflexe de mobilisation", confirme Samuel, de l'Inter-orga.

Pour Jazz et Léone, étudiants à l'Institut supérieur des Beaux-Arts de Besançon et élus au conseil d'administration, cet engagement est devenu nécessaire aussi pour défendre la pédagogie : "La situation budgétaire reste très opaque, on n'a ni chiffre, ni plan budgétaire. Il va falloir se battre pour 2024. Or, la qualité de l'enseignement en pâtit déjà et on le ressent aussi en termes d'entretien de l'école, on n'a pas de chauffage, il y a des rats…"

A l'Ecole supérieure des Beaux-Arts de Bordeaux, les étudiants ont décidé de bloquer l'école dès le 7 mars. Depuis plus d'une semaine, ils l'occupent jour et nuit avec un simple cadenas sur la porte. "Les difficultés financières nous empêchent d'avoir une formation de qualité. On ressent vraiment la différence par rapport à l'année dernière. C'est notre avenir qui est en question. On se dit aussi qu'en bloquant l'école, on est plus écouté, notre action n'est pas veine", affirme Amélie*, étudiante en deuxième année.

Mobilisation des étudiants en école d'art à Bordeaux
Mobilisation des étudiants en école d'art à Bordeaux © Photos fournies par le témoin

"Lutter contre la privatisation des écoles territoriales"

Même constat pour Jade à l'isdaT. Même si son école n'est pas menacée de fermeture, elle défend un accès quasi-gratuit aux études artistiques. "J'aime profondément mes études et je veux qu'elles survivent. Je viens d'un milieu prolétaire, j'ai accès à des études d'art publiques, je veux qu'elles restent publiques. Sinon, j'aurais fini caissière à Carrefour ou je me serais endettée pour payer une école privée. Défendre notre école, c'est aussi lutter contre la privatisation des écoles territoriales et défendre le service public."

Après la mobilisation nationale du 13 mars où une délégation de l'Inter-organisation a été accueillie au ministère de la Culture, une autre journée de mobilisation sera organisée le 27 mars prochain. "Je suis inquiet pour les étudiants qui arrivent et du désengagement total de la direction. On est dans l'attente, de propositions et de prise de conscience", se désole Léone.

À l'isdaT, Jade y croit : "Il faut montrer que derrière toute cette mobilisation, il y a des humains, non des chiffres. On veut montrer notre force d'action, notre maillage territorial et montrer qu'il y a une crise structurelle et face à elle, l'Etat doit prendre ses responsabilités."

*Le prénom a été modifié.

Les revendications de l'Inter-organisation "Ecoles d'art et de design en lutte"

L'Inter-orga demande une dotation budgétaire immédiate pour faire face à la crise conjoncturelle : 500.000 euros par établissement et préconise l'organisation d'un calendrier de travail pour évaluer le budget. "Si l’État devait faire marche arrière, nous avons signifié au ministère de la Culture que nous n’attendrions pas l’effondrement de nos écoles pour intensifier nos modes d’action. L’hypothèse d’un blocage des diplômes est d’ores-et-déjà évoquée dans plusieurs établissements."

Le ministère de la Culture a annoncé le 13 mars à la délégation qu'un travail de recensement était en cours pour débloquer des fonds d'urgence. La décision est attendue pour le 27 mars.

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