G. Gellé (France Universités) : "L'exercice budgétaire 2025 nous inquiète. Ce sera l'année de tous les risques"

Amélie Petitdemange, Dahvia Ouadia Publié le
G. Gellé (France Universités) : "L'exercice budgétaire 2025 nous inquiète. Ce sera l'année de tous les risques"
Guillaume Gellé Université Reims Champagne-Ardenne // ©  Université Reims Champagne-Ardenne
Dans un entretien à EducPros, Guillaume Gellé, président de France Universités (FU), s'inquiète de la santé financière des universités sur le long terme. Déjà, plus d'une trentaine d'universités sont en déficit alors que les établissements se dirigent vers davantage d'autonomie. Avec la réforme du système des bourses, celle de la formation des enseignants et la création d'un nouveau label, d'autres sujets importants sont sur la table.

Alors que 43% des universités étaient en déficit en 2023, les universités doivent participer à l'effort budgétaire demandé par le gouvernement. En parallèle, ces établissements sont engagés dans de multiples restructurations sans moyens supplémentaires. Guillaume Gellé dresse, pour EducPros, les principaux chantiers des universités, parmi lesquels figurent la réforme des bourses, celle de la formation des enseignants ou la création d'un nouveau label pour l'enseignement supérieur privé.

Un point de situation approfondi alors que le président de France Universités, en fonction depuis 2022, n'est plus président d'université et pourrait quitter la structure avant la fin de son mandat, puisqu'il est candidat à la présidence du Hcéres (Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur).

L'acte II de l'autonomie de l'université a été lancé, fin mars, avec neuf établissements pilotes. Qu'attendez-vous de ces expérimentations ?

Trois chantiers s'imbriquent pour les universités. Le premier, c'est celui de la simplification qui compte 17 universités expérimentales, ensuite vient celui de l’autonomie avec neuf universités expérimentales, enfin, les universités doivent jouer leur rôle de chef de file pour mettre en place les politiques de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les territoires.

Ces trois chantiers sont intrinsèquement liés, l’autonomie étant une condition majeure d’efficacité et de simplification des procédures et des règles.

Concernant l’autonomie, nous sommes dans une phase de propositions. Nous voulons faire évoluer la gouvernance, moderniser et simplifier les modèles de recrutement et de gestion des carrières des personnels. La question de la dévolution du patrimoine est aussi posée. 

Pour la simplification, des premières mesures peuvent être proposées mais nous arrivons vite au constat que beaucoup d'éléments ne peuvent être modifiés que par la loi. Il est donc important de déterminer précisément ce qui relève du législatif. C'est un travail que nous menons avec la Dgesip (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) et l'IGESR (Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche).

Quelles sont les propositions que vous portez sur ces différents chantiers ?

Dans les universités, nous sommes en élections permanentes que ce soit pour la présidence, les conseils centraux, conseils de composantes et directeurs, etc. Nous pensons donc qu'il serait intéressant d'harmoniser la durée des mandats et de resynchroniser les élections majeures de la vie de l'université , et ce afin qu'elles soient mieux en accord avec la réalisation d’un projet d’établissement sur une durée de quatre ou cinq ans et la bonne réalisation des COMP (contrats d'objectifs, de moyens et de performance).

Dans les universités, nous sommes en élections permanentes que ce soit pour la présidence, les conseils centraux, conseils de composantes et directeurs, etc.

Toujours dans un but d’efficacité et dans le cadre de l'autonomie, nous revendiquons également que les universités soient des opératrices de la vie étudiante. Pour l'instant, la formation est reconnue comme une mission fondamentale de l’université, mais pas la vie étudiante, ce qui n’est pas logique.

L'idée n’est pas de remplacer les Crous (Centres régionaux des œuvres universitaires), mais de travailler avec eux, pour trouver le bon équilibre. Ils sont par exemple mieux identifiés sur les aides sociales que les universités. Mais pendant le Covid, avec l'explosion de la précarité, c'est vers les universités que les étudiants se sont tournés. Il faut se répartir intelligemment les missions.

Entre ces enjeux, les expérimentations menées ces dernières décennies et le nouveau volet de l'autonomie, n'y a-t-il pas un risque de saturation ?

Cela fait plusieurs années que France Universités demande un acte 2 de l’autonomie, donc nous ne pouvons pas nous plaindre ! Le premier acte, issu de la loi de 2007, a été bienvenu, nous l’avions appelé de nos vœux.

Il nous faut exploiter au maximum les possibilités que la loi LRU [Loi relative aux libertés et responsabilités des universités] et la LPR [loi de programmation de la recherche] nous offrent déjà, même s’il faut parfois procéder à des ajustements réglementaires.

L'acte II de l'autonomie doit permettre aux universités de piloter l'ensemble de leurs moyens, leur gouvernance et leur politique de ressources humaines. Nous devons bien identifier ce qui doit évoluer pour que les universités disposent d’une véritable capacité de pilotage.

Néanmoins, il s’agit pour nous d’une trajectoire vers l’autonomie, parce que les universités ne constituent pas un ensemble homogène. Certaines ont déjà la capacité d’aller très loin, d’autres moins. Toutes les universités ne seront pas autonomes en 18 mois, et cette diversité est aussi une richesse.

Etes-vous accompagnés financièrement pour mettre en place cette autonomie ?

Nous n’avons pas de moyens dédiés pour les expérimentations : c’est un accompagnement au cas par cas. Les universités volontaires ne reçoivent pas d’enveloppe spécifique. Mais s’il y a des projets coûteux à mettre en place, nous devrions être aidés.

Le gouvernement a annoncé une coupe budgétaire de 900 millions d’euros dans la recherche et l'enseignement supérieur, notamment via des prélèvements sur les fonds de roulement des universités. Quelle a été votre réaction ?

Nous comprenons la situation à laquelle est confronté notre pays. Le problème est que le nombre d'étudiants augmente chaque année, mais la dotation de l’État n’augmente pas de manière proportionnelle. Nous avons donc une dotation par étudiant qui baisse, avant même les coupes budgétaires que nous devrons supporter en plus.

Les perspectives à moyen terme nous inquiètent fortement. Si nous avions un horizon pour 2026 et 2027, nous pourrions mieux comprendre les efforts demandés en 2024 et en 2025, cela pourrait être par exemple la perspective d’un plan de rénovation énergétique.

Le nombre d'étudiants augmente chaque année, mais la dotation de l’État n’augmente pas de manière proportionnelle.

Par ailleurs, les fonds de roulement que le ministère de l’Économie et des Finances considère comme de l’argent qui dort… ne dorment pas ! Il s'agit de fonds fléchés pour des investissements car les universités n’ont pas la capacité d’emprunter, sauf cas exceptionnel.

En effet, la plupart des universités se sont dotées de projets pluriannuels d’investissement et de stratégie immobilière. Ces derniers concernent la rénovation énergétique mais aussi la rénovation fonctionnelle des bâtiments, car près de 35% du parc immobilier de nos universités est considéré comme vétuste ou non-satisfaisant par la Cour des comptes.

Le montant de fonds de roulement disponible est donc beaucoup plus faible que les quatre milliards d’euros évoqués par l’État. Nous sommes dès lors obligés de prélever de l'argent qui était sanctuarisé pour d’autres actions.

Enfin, certaines universités n’ont pas de ressources disponibles dans le fonds de roulement !

Justement, comment se portent les universités financièrement et quels sont les risques à venir ?

En 2023, 43% des universités, soit une trentaine, étaient en déficit, contre une vingtaine l'année précédente. Si l’on regarde le résultat cumulé des universités, la somme est de 50 millions d’euros pour l’exercice 2023, contre plusieurs centaines de millions d’euros les années précédentes. Donc cet exercice, nous pourrons le faire une année, peut être deux, mais à un moment donné, nous serons tous en déficit.

En outre, cela fait plusieurs années que les universités absorbent des surcoûts décidés par l’État. Ainsi, le principe du décideur-payeur n’est pas respecté. Il s’agit notamment des mesures Guerini [sur l'emploi et la revalorisation du point d’indice, NDLR]. Ces mesures sont les bienvenues pour nos personnels face à l’inflation, mais elles ne sont pas compensées et nous mettent donc en difficulté.

Nous avons absorbé deux ans d'affilée de telles mesures qui nous pénalisent de plusieurs centaines de millions d’euros par an. Les mesures Guerini coûtent à elles seules 160 à 170 millions d'euros, dont seulement 43% à 45% sont financées par l’Etat.

Enfin, les mesures d'accompagnement énergétiques se terminent. C’est pourquoi l’exercice 2025 nous inquiète. Ce sera l'année de tous les risques. 

Concernant la vie étudiante, le deuxième volet de la réforme des bourses commence à se structurer pour la rentrée 2025. Quelle est la position de France Universités quant à ces pistes ?

Beaucoup d’étudiants - dont des boursiers - travaillent à côté de leurs études et n'ont donc pas les mêmes chances de réussite que les autres. Nous comptons également des étudiants qui ne sont ni boursiers, ni aidés par leurs parents. Il faut quantifier ces populations.

Nous demandons une aide pour les étudiants décohabitants, c'est-à-dire qui ne vivent plus chez leurs parents. C'est une solution entre le système actuel et la dé-familiarisation [la prise en considération de la seule situation personnelle de l'étudiant, à la place de celle de sa famille, piste rejetée par le ministère ndlr], que nous chiffrons à environ cinq milliards d'euros.

Il n'est pas normal que les étudiants boursiers mettent un ou deux ans de plus à obtenir leur licence parce qu’ils ont besoin d’un travail à quasi temps complet pour vivre. Et cela se répercute aussi sur les universités, en termes d’organisation avec des capacités d'accueil dans certaines filières largement dépassées. La lutte contre la précarité étudiante, c’est favoriser la réussite de toutes et de tous.

Dans les autres enjeux pour France Universités, figure la nouvelle réforme de la formation des enseignants, prévue pour la rentrée 2025. Les universités seront-elles prêtes pour sa mise en place ?

La formation des futurs enseignants sur un temps plus long et l’obtention d’un diplôme de master universitaire s'inscrivent dans la logique défendue par France Universités. L'alternance en master nous convient aussi. Nous sommes donc satisfaits sur les grands principes de cette réforme.

Le problème, c'est le calendrier intenable et les arbitrages qui ne sont pas encore pris. Une réforme prévue en 2025, ce sont des étudiants à préparer en 2024. Or, nous n'avons toujours pas les grandes lignes du cahier des charges pour la préparation des concours [déplacé en L3, NDLR].

La rentrée se fait en septembre dans les universités et dès fin août dans les Inspé. Il faut être réaliste : nous ne pouvons pas créer les enseignements d'une année de préparation en un ou deux mois.

Avez-vous des inquiétudes quant à la délivrance de la formation dans des Ecoles normales ?

Bien que la formation des maîtres reste à l’université, nous ne connaissons pas le statut officiel des "Écoles normales du XXIe siècle". De fait, les éléments sur la gouvernance sont extrêmement importants : une structure interne à l'université doit être pilotée par l'université.

Les éléments sur la gouvernance sont extrêmement importants : une structure interne à l'université doit être pilotée par l'université.

Nous sommes dans un cadre très particulier : le concours est préparé à l’université, mais le futur employeur des enseignants formés et lauréats du concours est l'Éducation nationale. Il est normal que cette dernière fixe le cahier des charges de la formation, mais à l'heure de l'autonomie des universités, il faut leur donner les moyens et la liberté de piloter toutes leurs composantes. C’est une question de cohérence des politiques publiques !

De façon générale, ce que prône France Universités, c'est la confiance dans les universités pour mettre en place les réformes. Ensuite, une véritable évaluation a posteriori par le Hcéres (Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) est légitime, et l’on en tire les conséquences. Les universités devront donc prendre leurs responsabilités et jouer le jeu afin de répondre au cahier des charges. La responsabilité des établissements est inséparable de leur autonomie : il faut rendre des comptes.

Un projet de décret sur la formation des enseignants "franchit une ligne rouge"

Un projet de décret, rendu public quelques jours après cet entretien, évoque une formation des enseignants organisée dans "un organisme de formation du ressort géographique d’une académie désigné par le ministre chargé de l’éducation nationale". Cette formule est substituée à celle "d’établissement public de formation" actuellement en vigueur.

"Le changement n’est pas anodin et franchit une ligne rouge", a réagi France Universités, le 29 mai. Les présidents d'université s'inquiètent de la sortie de la formation de leurs établissements.

"La formule est ambiguë car, par sa généralité, elle laisse entendre qu’il pourrait s’agir d’un organisme dénué de toute attache universitaire, autrement dit d’un organisme public ne relevant pas du ministère chargé de l’enseignement supérieur ou d’un organisme privé, lucratif ou non", met en garde France Universités.

Depuis plus d'un an, la régulation de l'enseignement supérieur privé se pose, avec en ligne de mire la création d'un label de qualité. Quelle est la position de France Universités ?

Nous sommes dans un système où il y a de la place pour le privé et pour le public. Mais nous différencions les formations privées, qui professionnalisent à court terme, des formations à la fois universitaires et professionnalisantes. L'université professionnalise : elle forme les médecins, les juristes, les enseignants, les data scientists, etc., et la moitié des écoles d’ingénieurs sont dans les universités…

La force de nos établissements, c’est que cette professionnalisation est articulée à la recherche, et à un développement de l'esprit critique, ce qui permet d’être employable tout de suite, mais aussi de s’adapter à des conditions professionnelles sans cesse changeantes.

Pour nous, la mise en place d’un label doit favoriser à la fois la transparence et la clarification. Il y a d'un côté ce qui relève de l'université, seules habilitées à délivrer les diplômes nationaux de licence, master et doctorat. Et de l'autre côté des diplômes post-bac, dont les jeunes et leurs familles doivent être en mesure d’apprécier la qualité. Le financement de l'État doit être conditionné à l'évaluation de cette qualité.

En toute logique, un établissement dont la qualité est insuffisante ne devrait ni être sur Parcoursup, ni recevoir les aides publiques pour l’apprentissage

La question du label est extrêmement intéressante, s'il y a une approche qualitative de la formation dispensée aux étudiants. Il faut évaluer la qualité de la formation, ainsi que la structure qui porte cette formation, afin de vérifier qu'elle est suffisamment stable.

Nous sommes dans un système très complexe et parfois opaque. Un établissement dont la qualité est insuffisante ne devrait ni être sur Parcoursup, ni recevoir les aides publiques pour l’apprentissage. C’est pourquoi l'autre élément qui nous semble important est la reconnaissance de ce label à la fois par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et par le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités.

Nous avons activement participé aux groupes de travail et attendons les arbitrages sur cette question.

Amélie Petitdemange, Dahvia Ouadia | Publié le