Les écoles d'ingénieurs publiques bientôt dans le viseur de la Cour des comptes

Étienne Gless Publié le
Les écoles d'ingénieurs publiques bientôt dans le viseur de la Cour des comptes
Pour Philippe Rousselot, la hausse non-concertée des droits d'inscription dans les écoles d'ingénieurs publiques a abouti à des disparités entre des formations similaires. // ©  Etienne Gless
Invité à l'assemblée générale de la Conférence des grandes écoles, Philippe Rousselot, conseiller maître à la Cour des comptes, a pointé l'absence de logique financière et l'illisibilité des droits d'inscription dans les écoles d'ingénieurs publiques. La Cour contrôlera davantage les grandes écoles que les universités dans les trois ans à venir.

"En 2019, la Cour des comptes contrôlera plus de grandes écoles que d’universités", a prévenu Philippe Rousselot, maitre conseiller à la Cour des comptes et président de section de la troisième chambre en charge du suivi de l’enseignement supérieur public.

Invité à l'assemblée de la CGE(Conférence des grandes écoles), le 5 février 2019, le haut fonctionnaire est intervenu sur les droits d’inscription dans l'enseignement supérieur public. La Cour des comptes y a, en effet, consacré un rapport à la demande de l'Assemblée nationale, rendu public en novembre 2018.

"Depuis dix ans, nous avons essentiellement contrôlé les universités, cinq ou six en moyenne par an, même si, ponctuellement, nous avons contrôlé des grandes écoles : Science po Paris, les IEP (instituts d’études politiques) de région, ou encore les ENS", rappelle-t-il.

Dans les trois ans à venir, le président de la section enseignement supérieur de la Cour entend contrôler davantage les grandes écoles publiques que les universités. La programmation est tenue secrète, mais ce sont les écoles d'ingénieurs publiques qui seront probablement ciblées.

Des hausses de droits anarchiques en écoles d'ingénieurs

La Cour des comptes souligne la hausse anarchique des droits d'inscription dans les écoles d'ingénieurs : même si elle s'inscrit dans une logique de développement de ressources propres, alors que les subventions publiques stagnent, la Cour y voit "un mouvement non coordonné".

Sur 2006-2018, les droits ont ainsi augmenté de 330 % dans trois écoles sous tutelle du ministère des Armées (ISAE, Ensta, Ensta Bretagne). Au sein du groupe Mines Télécom, les tarifs ont plus que doublé à la rentrée 2014, passant de 850 euros à 1.850 euros. La création de CentraleSupelec, au 1er janvier 2015, s'est accompagnée d'un relèvement des droits de 610 euros à 3.500 euros pour un élève ingénieur soit une hausse de 474 %.

La Cour des comptes ne manque pas au passage d'égratigner les Écoles centrales et les Mines de Nancy, qui ont augmenté très tardivement leurs droits d'inscription de 310 %, au cœur du mois d'août 2018, alors que les inscriptions étaient déjà largement lancées !

Des écarts de tarifs injustifiés

Conséquence de ces hausses menées sans concertation ? "Elles ont abouti à des disparités de droits entre des formations parfois de même nature, constate Philippe Rousselot. Ces écarts ne paraissent pas justifiés, dans la mesure où ils ne reflètent pas nécessairement une disparité de la qualité des formations dispensées, ni même de la performance en termes d’insertion professionnelle."

La Cour n'a ainsi pas vu de différence fondamentale entre des écoles sous tutelle de l'Enseignement supérieur à 601 euros l'année et d'autres à 2.500 euros, voire 3.500 euros dépendant d’autres tutelles ministérielles (Armées, Finances...). Ces hausses peuvent pourtant faire douter les étudiants sur la valeur de leurs diplômes.

La Cour y voit surtout "l’absence d'une vision stratégique claire et partagée" par les différents ministères de tutelle, et invite le ministère de l'Enseignement supérieur à régulariser la situation au plus vite. D'autant qu'actuellement, les droits d'inscription aux concours postprépa sont perçus sans publication d'arrêté ministériel. Une anomalie de plus !

Les finances des universités en berne

Pour ses universités, la France a choisi le "ni-ni": ni le modèle anglo-saxon, avec ses droits d'inscription très élevés (9.250 livres environ en Angleterre), ni le modèle nordique avec gratuité ou quasi-gratuité, mais avec la possibilité pour les universités de sélectionner leurs étudiants. Un choix qui ne permet pas d'assurer les recettes, ni de réguler les flux d'étudiants. Actuellement, les droits d'inscription représentent à peine 2 % des ressources des universités françaises, calcule la Cour des comptes.

Dans leur recherche de ressources financières, les universités ne peuvent pas s'inspirer du modèle atypique propre à Science po Paris ou à l'université Paris Dauphine, dont les droits d'inscription sont basés sur les revenus. À Sciences po Paris, les droits de scolarité en master en 2017-2018 allaient de 0 euro pour des revenus annuels inférieurs à 12.534 euros, et jusqu'à 14.100 euros pour des revenus supérieurs à 66.5340 euros.

Pour la Cour des comptes, ce modèle économique n'est en effet pas transposable aux autres établissements publics du supérieur. "Cette politique produit un effet d'éviction et se traduit par une sur-représentation des boursiers et des classes supérieures au détriment des classes moyennes", déplore Philippe Rousselot.

Des frais à réévaluer si le service aux étudiants s'améliore

Si la hausse des droits d'inscription est enclenchée, elle ne suffira pas à combler le sous-financement de l'enseignement supérieur public. Au passage, la Cour des comptes émet de sérieux doutes quant au chiffrage d'un milliard d'euros supplémentaire par an sur dix ans avancé par la Rue Descartes dans toutes ses demandes budgétaires : "Le montant n'est pas fondé sur des données incontestables", torpillent les magistrats.

Pour les sages de la rue Cambon, il serait difficile de jouer sur le levier de la hausse des droits d'inscription pour augmenter les ressources des universités : il y aurait trop de contraintes à lever, à commencer par le principe juridique d'égal accès à l'enseignement supérieur.

"Ce n’est que dans la mesure où ils se traduiraient par une amélioration substantielle des services aux étudiants que les droits pourraient faire l’objet d’une réévaluation", conclut dans son rapport la Cour des comptes, excluant, à l'inverse, la suppression totale des droits d'inscription.

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