Sciences po : la révolution des frais modulables dans les IEP de région

Mathieu Oui Publié le
Sciences po : la révolution des frais modulables dans les IEP de région
IEP de Lyon - amphi de première année - 2012 // ©  DR
Près d’une décennie après leur introduction à Paris, la plupart des IEP mettent en place des frais d’inscription calculés sur le revenu fiscal des parents. Une modulation à l'origine de nouvelles ressources qui visent à résoudre l’équation suivante : développement d’un côté, restrictions budgétaires de l’autre.

A la rentrée 2013, la majorité des IEP (Instituts d’études politiques) ont mis en place une réforme des frais de scolarité. En lieu et place d’un tarif unique, ceux-ci sont désormais progressifs et calculés sur la base du foyer fiscal des parents. Dix ans après le vote de cette réforme à Sciences po Paris, menée sous l’impulsion de Richard Descoings, et dans un contexte de tensions budgétaires, cinq des huit établissements de province appliquent désormais une modulation des droits par tranche de revenus.

Pour les autres, le train est en marche. L’institut de Toulouse a voté le principe en mai 2013 pour une application à la rentrée 2014 ; ceux d’Aix-en-Provence et de Grenoble ont engagé la réflexion. Le futur IEP du Grand Paris qui ouvrira en 2014 à Saint-Germain-en-Laye devrait également fonctionner sur ce modèle. En région, ces droits s’échelonnent désormais entre 200€ par an (à Strasbourg) et 6.615 € (à Bordeaux).

Un contexte de pression

A Rennes, la modulation des frais a été introduite dès 2007. "Auparavant, nous avions un système inadapté où au final, les enfants issus de revenus les plus élevés étaient ceux qui payaient le moins en proportion", se remémore le directeur, Patrick Le Floch. Le système a été affiné en 2012 avec l’introduction de tranches supplémentaires. "Le principe des frais fixes n’est pas très juste tant la marge de revenus entre ceux qui ne payaient rien et ceux qui payaient l’intégralité peut se jouer à quelques euros de différence", complète Jean-Charles Froment à Grenoble. Un constat d’injustice partagé par tous les responsables d’IEP.

Autre argument mis en avant : le développement des établissements, qui ne s’est pas toujours accompagné des moyens financiers. "Ces dernières années, la plupart des instituts ont fortement augmenté le nombre d’étudiants admis et se retrouvent avec des ressources insuffisantes, et du coup, font pression sur l’Etat", analyse Vincent Hoffmann-Martinot à Bordeaux. Dans ce contexte, la modulation des frais d'inscription apparaît aux IEP comme l'une des réponses à la nécessité d'augmenter leurs ressources propres.

Soutiens multiples aux étudiants

A quoi seront utilisés ces nouveaux moyens ? Financement de bourses de mobilité, de bourses de stages (pour les surcoûts liés à un stage à l’étranger ou à Paris) ou d’aides sociales d’urgence, ces ressources supplémentaires devraient bénéficier prioritairement aux étudiants, assurent les directeurs.

Certains instituts engagés dans des travaux immobiliers, évoquent aussi le financement de ces équipements.  "La construction d’une nouvelle aile de l’IEP de Bordeaux entraîne des frais d’aménagement de salles ou d’achat de mobiliers", souligne Vincent Hoffmann-Martinot. La réflexion est similaire à Strasbourg qui doit déménager en 2015 dans un bâtiment en cours de construction : une partie des frais devrait également être affectée à son équipement.

IEP Lille

Un discours qui évolue

L’argument régulièrement affiché par Richard Descoings pour la mise en place de la réforme à Sciences po Paris était la diversification sociale et le financement de bourses d’étudiants. Le discours semble aujourd’hui plus modulé. "La question des sources de financement et celle de la redistribution sont liées", assure Patrick Le Floch. Au sein de l’IEP de Rennes, la forte proportion d’étudiants boursiers (43%) pèse sur les finances. "A la différence des universités, l’Etat ne compense pas les boursiers", relève le directeur. Le financement de deux fonds de solidarité à la mobilité internationale mis en place dans son institut devenait problématique, ceux-ci étant financés par un prélèvement de 50€ supplémentaires sur le montant fixe des frais d’inscription. Avec la forte augmentation des boursiers (exonérés de frais), les besoins en bourses de mobilité ont augmenté alors même que les ressources diminuaient."
La modulation est "l’une des seules solutions pour conserver notre modèle pédagogique dans un contexte financier difficile", confirme le directeur de l’IEP de Toulouse, Philippe Raimbault.

Mise en place progressive à Strasbourg, phase-test à Lille

D’un institut à l’autre, les modalités de mise en place de la réforme des frais d'inscription peuvent différer. Le choix de Strasbourg a été d’étaler cette modulation sur les trois années de formation : les élèves de première et deuxième année sont concernés dès 2013, ceux de troisième en 2014, puis les quatre et cinquième année en 2015. "Plus de 50% de nos étudiants paieront moins de frais d’inscription qu’actuellement", assure Sylvain Schirmann, le directeur. Et sur un budget de 4,8 millions d'euros, l’apport supplémentaire serait de 250.000€ les premières années, puis 400.000€ à terme. Rattaché à l’université, l’institut a subi les mesures de réduction, par exemple la baisse de 15% des heures complémentaires. "Pour maintenir notre qualité d’enseignement, par exemple ne pas augmenter nos effectifs en conférence de méthodes, il nous faut trouver des ressources propres".

A Bordeaux, l'application est également progressive : seule la première année est concernée en 2013-2014. A la rentrée suivante, la réforme touchera les deux premières années ; puis les trois premières, etc. L'ensemble des promotions basculant dans le nouveau système en 2017. A Lille, où le système fonctionne cette année en phase-test mais s’applique globalement à toutes les années, le montant des recettes s’élève à environ 400.000 € ("estimation au doigt mouillé puisque l’on ne connaît pas a priori les revenus fiscaux des parents", nuance Pierre Mathiot), soit une augmentation d’un tiers des revenus des frais de scolarité.

Finalement, on invente un système de réforme de la fiscalité à la place de l’État  (P. Mathiot)

Aix et Grenoble encore en réflexion

De son côté, l'IEP d'Aix s'est donné deux ans pour étudier l'opportunité d'une telle réforme. A Grenoble également, la réflexion est engagée. Mais en lançant une commission de réformes des droits de scolarité, le directeur espère que cette tendance aux frais modulables n’influencera pas trop les travaux. "Au-delà des objectifs de justice sociale et de stabilisation du financement, la commission n’a pas de feuille de route précise", insiste Jean-Charles Froment. "La modulation des tarifs n’est pas la seule possibilité, pourquoi ne pas regarder d’autres modèles à l’étranger ?", poursuit le directeur de Grenoble.

Le travail de la commission est d’étudier les différentes solutions, d’évaluer les systèmes existants, mais aussi d’élargir ses investigations au-delà de la seule question des finances. "Nous avons besoin de mieux connaître nos étudiants dans leurs pratiques de logement, d’équipement informatique, de couverture santé, au-delà des représentations a priori ", estime le directeur. "Ces pratiques peuvent être potentiellement sources d’inégalités fortes : nos étudiants sont-ils aussi bien équipés en informatique qu’on se l’imagine ?", s’interroge Jean-Charles Froment.

"Nous avons un peu l’impression d’être les cobayes du ministère", grince pour sa part Pierre Mathiot, à Lille. "La DGESIP (direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle) observe avec intérêt la mise en pratique des frais modulables, avec probablement l’idée de suggérer cette réforme aux grandes écoles d’ingénieurs. Finalement, on invente un système de réforme de la fiscalité à la place de l’Etat ", conclut le directeur. Les IEP, laboratoire d’un nouveau type de financement dans le supérieur ? Affaire à suivre.

Les frais annuels de scolarité (*) dans les IEP

Montant minimum Montant maximum Montant fixe
Aix 812 €
Bordeaux (1) 280 € (1er cycle)
320 € (2nd cycle)
6.300 € (1er cycle)
6.615 € (2nd cycle)
Grenoble 940 € ( 1ère à 3°année) 1300 € ( 5° année de Master)
Lille 300 € 3.200 €
Lyon 470 € 1.650 €
Rennes 300 € 3.685 €
Strasbourg 200 €
(1ère et 2e année d'IEP)
3.000 €
(1ère et 2e année)
Toulouse 780,10 €
Paris 540 € (Collège universitaire) 13.500€
(Master)

(*) Ces frais de scolarité sont donnés hors sécurité sociale.
(1)  Seule la première année est concernée en 2013, les années 2 à 5 restent soumises aux frais fixes (825 € en premier cycle, 1025 € en second cycle)  

Paris : un contre-modèle ?Sciences po Paris - IEP - Cours amphi Boutmy - Octobre 2012 - ©Camille StromboniSi elle a joué un rôle de précurseur, la réforme de Sciences po Paris n’est pas pour autant un modèle de référence pour les autres instituts. "Compte tenu du fait que c’est l’institut ayant le plus d’étudiants issus de CSP+, la redistribution n’est pas trop compliquée", glisse Patrick Le Floch à Rennes. "La fixation de droits très élevés alors que l’Etat était très généreux par ailleurs lui a permis de se développer encore plus", renchérit Pierre Mathiot.
Autre élément distinctif : le coût de la vie parisienne, notamment en matière de loyers, largement supérieur à celui des autres villes françaises, justifie le besoin de compléter les bourses CROUS.

Surtout, le rapport de la Cour des comptes de novembre 2012 dresse un bilan mitigé de la réforme des droits sous l’argument de la diversification sociale. Entre 2004 et 2010, notent les auteurs du rapport, la part des droits consacré à la redistribution a fortement diminué, de 42,7% à 18,9%. "Les droits d’inscription restent partiellement un outil de redistribution, mais ils sont surtout devenus d’abord un outil de financement majeur de la formation initiale", conclut le rapport.

Mathieu Oui | Publié le