Violences sexistes et sexuelles : entre omerta et tolérance zéro, la responsabilité des établissements du supérieur en jeu

Pauline Bluteau Publié le
Violences sexistes et sexuelles : entre omerta et tolérance zéro, la responsabilité des établissements du supérieur en jeu
Les murs de la faculté de médecine de Tours recouverts des collages dénonçant la complicité des autorités universitaires dans le traitement des violences sexistes et sexcuelles. // ©  Instagram/Actions feministes Tours
Le transfert d'un étudiant en médecine accusé d'agressions sexuelles et viol de l'université de Tours vers celle de Limoges a remis le feu aux poudres. Certains dénoncent une omerta dans les établissements du supérieur quand d'autres plaident pour un respect de la justice. L'équilibre ne semble pas toujours facile à trouver face à des situations aux lourdes conséquences. Que dit la loi ? Quelles sont les règles et responsabilités des dirigeants d'établissement en cas de VSS commises dans leurs institutions ?

Sciences po, Cours Florent, Mines d'Alès, CentraleSupélec, Polytechnique, ENS Lyon, université de Tours… La liste des établissements du supérieur inquiétés pour des affaires de violences sexistes et sexuelles pourrait malheureusement être bien plus longue. Depuis quelques années, les langues se délient à coups de hashtags sur les réseaux sociaux ou d'enquêtes directement diligentées par les écoles ou les associations.

Faire de la prévention, sensibiliser, former à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les établissements du supérieur ont bien compris qu'il s'agissait d'une priorité. Preuve en est avec la suppression du centre national d'appui en novembre dernier au profit d'un plan national d'actions à l'horizon 2025.

Pour autant, des questions se posent encore du côté des présidents d'université ou directeurs des grandes écoles qui doivent parfois faire face à un flou de conscience vis-à-vis de leurs étudiants quand la justice n'a pas encore tranchée.

Une omerta ou une simple volonté de protéger les victimes ?

"Il y a souvent cette idée véhiculée chez les étudiants que les écoles leur cacheraient des choses mais non, nous préférons simplement éviter de prévenir la presse lorsque les victimes sont encore dans l'établissement par mesure de protection, pas pour des raisons d'image", estime Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles. Eviter d'ébruiter les affaires de violences sexistes et sexuelles, les établissements l'assument, ils y sont confrontés très régulièrement.

Il arrive pourtant que certaines histoires deviennent publiques, comme cela a été le cas à l'université de Tours. Le 15 avril dernier, des collages envahissaient les murs de la faculté de médecine, dénonçant une certaine complaisance du doyen, Patrice Diot, vis-à-vis des VSS. La presse révèle alors qu'un étudiant en médecine a été transféré vers l'université de Limoges à la rentrée 2021, après que plusieurs plaintes pour viol et agressions sexuelles ont été déposées un an plus tôt à son encontre. Le jeune externe, placé en détention provisoire pendant deux mois et sous contrôle judiciaire depuis, poursuit toujours ses études à Limoges sans sanctions supplémentaires de la part des universités.

Une attitude qui ne plaît pas aux étudiants et à l'ANEMF (association nationale des étudiants en médecine de France) qui dénoncent une omerta : "Aujourd’hui, doyens et ministères doivent respecter leurs engagements. La tolérance zéro réclamée par tous doit être appliquée", indique leur communiqué.

Face aux VSS, cas d'écoles et cas de conscience pour les directeurs d'établissement

Une tolérance zéro, mais à quel prix ? C'est justement là que le flou commence. Depuis 2015, plusieurs textes de loi, circulaires, vademecum ou plan d'actions sont venus encadrer la procédure à suivre. S'il est majoritairement question de la sensibilisation et de l'accompagnement des victimes, la responsabilité des établissements n'est pas toujours expressément énoncée. Notamment sur la question des sanctions disciplinaires.

"La règle, c'est l'écoute immédiate du plaignant, pose Didier Samuel, président de la Conférence des doyens de médecine. Selon les plaintes, des actions vont ensuite pouvoir être entreprises. Il faut évaluer les risques pour la victime et prendre éventuellement des mesures d'écartement. Ce sont des mesures conservatoires. En revanche, ce n'est pas clair sur ce que l'on doit faire du côté des mesures disciplinaires… L'affaire à Tours est le signe d'une difficulté à appréhender cette situation."

La règle, c'est l'écoute immédiate du plaignant. Il faut évaluer les risques pour la victime et prendre éventuellement des mesures d'écartement. (D. Samuel, Conférence des doyens de médecine)

Même constat du côté de la Conférence des grandes écoles où la logique semble propre à chacun. "Il y a beaucoup de débat autour de la procédure disciplinaire : si la justice s'empare déjà de l'affaire, pourquoi doubler en interne ? Je sais que tout le monde n'est pas d'accord sur ce point car il faut mener une enquête mais souvent, cela ne tient pas au niveau juridique. Il y a des risques de se faire épingler plus tard", confie Laurent Champaney.

C'est aussi ce que confirme Florence Alazard, vice-présidente en charge des conditions de travail, des relations humaines et sociales à l'université de Tours. Selon elle, tout relève de l'appréciation de la direction de l'établissement. "C'est ce qu'il y a de plus compliqué. Lorsque la situation est trop grave, les sanctions peuvent avoir des conséquences sur l'accusé mais pas indéfiniment", précise-t-elle. Justement pour préserver cette équité entre les étudiants, qu'ils soient victimes ou accusés toujours présumés innocents.

Les établissements du supérieur ne rendent pas justice

Car tous le rappellent, ce n'est pas aux établissements de rendre la justice. "Tant qu'il n'y a pas de décision juridique, je suis dans l'obligation de former les étudiants, c'est ce qu'il y a de plus délicat…", juge Laurent Champaney. En effet, la seule véritable obligation pour les directeurs d'établissement est de prévenir le procureur de la République pour qu'une enquête puisse être menée. Si les victimes ne souhaitent pas porter plainte, les établissements les redirigent alors vers des associations spécialisées pour assurer un accompagnement psychologique et plus tard, pénal.

À l'université de Tours, une enquête doit justement être menée par l'inspection générale de l'éducation, du sport et la recherche (IGESR) pour lever toute suspicion de complaisance. Suspicion infondée estime déjà l'université : "En aucun cas l’action du doyen n’a eu pour but de protéger l’accusé ou de dissimuler les faits. L’ensemble de la procédure a été menée avant tout dans l’intérêt des plaignantes, dans le respect du droit et du code de procédure pénale."

À Limoges également, la présidente de l'université, Isabelle Klock-Fontanille, n'abandonne pas l'idée de demander une enquête, n'étant pas tout à fait "certaine d'avoir tous les éléments jugeant la gravité" de la situation.

Faire en sorte que la parole se libère autour des VSS

Les établissements du supérieur ont également d'autres leviers leur permettant d'intervenir, encore faut-il que les moyens suivent. "Nous avons besoin de clarifier le mode d'actions qui pour l'instant reste très subjectif, or, nous ne pouvons plus tolérer de tels actes", prévient Didier Samuel.

Selon lui, les étudiants doivent être davantage incités à parler pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. "Aujourd'hui, nous avons des informations sur ce qu'il se passe en soirée mais de manière anonyme, nous avons besoin de déclaratif car nous n'avons pas les moyens d'investiguer", poursuit-il.

Laurent Champaney se dit lui aussi "désarmé pour enquêter". Dans les grandes écoles, les enquêtes internes se multiplient pour quantifier les risques et faire des liens avec d'autres facteurs aggravant les VSS comme la consommation d'alcool ou de drogue.

"Il y a des débats également sur la sphère privée lorsque ces affaires se déroulent en soirée ou au sein d'un couple. J'estime que nous sommes des formateurs et que c'est notre rôle d'accompagner les étudiants, je ne veux pas faire de différences. Mais certains collègues se demandent jusqu'où nous devons aller…" La question reste ouverte… comme tant d'autres.

Pauline Bluteau | Publié le